mardi 27 décembre 2005

Victoire sur le nazisme. Réflexions sur un 60e anniversaire.

Ce texte paru dans Espace de libertés n°337 de décembre 2005 m'a valu deux courriers très virulents, émanant de deux personnes proches du lobby sioniste Belgique-Israël, qui me taxaient notamment "d'antisémite primaire".


Dans son numéro d’avril 2005, Espace de libertés consacrait son dossier à la question de la mémoire et soulignait que, s’il était important de se souvenir du passé, il fallait que celui-ci soit un souvenir critique et non une construction servant des intérêts nationalistes, religieux ou autres[1]. Cette année a vu l’illustration d’une manipulation idéologique importante allant à l’encontre de ce principe[2] et qui est passée quasi inaperçue : la négation presque totale du rôle prépondérant de l’URSS et de l’Armée Rouge dans la victoire sur le nazisme il y a 60 ans.

Pendant toute la durée des manifestations consacrées au 60e anniversaire de la Libération de l’Europe et de la fin de la deuxième guerre mondiale, reportages, films et shows à grand spectacle se sont succédés pour glorifier les USA présentés comme unique libérateur (avec les Anglais il est vrai)[3]. Les commémorations du débarquement en Normandie – fait de guerre pourtant loin d’être décisif en rapport aux gigantesques batailles du front de l’Est – ont constitué à ce niveau un summum. Un rappel de la réalité de la deuxième guerre mondiale, par les chiffres, est ici nécessaire. A partir du déclenchement de l’opération Barbarossa le 22 juin 41[4], l’Armée rouge du se battre seule contre l’immense majorité des troupes nazies et attendre 1943 pour qu’une esquisse de réel second front s’ouvre à l’Ouest. Il est aujourd’hui indiscutable que la bataille de Stalingrad fut le réel tournant de la guerre, coûtant près d’un million et demi d’hommes aux Allemands entre juin 42 et le 31 janvier 1943, et amorçant le début des victoires alliées et de la marche sur Berlin. Sur l’ensemble de la guerre les nazis perdront, sur un total de 13,5 millions de tués, 10 millions d’hommes sur le seul front de l’Est. Les pertes des alliées sont également illustratives, les différences tactiques et technologiques souvent mises en avant pour les expliquer ne pouvant justifier la différence entre les 600 000 Anglos-américains tués sur tous les fronts, y compris Pacifique, et les 13 millions de soldats soviétiques[5]. Ainsi, en mars 1945 encore, seules 26 divisions allemandes se battaient sur le front Ouest tandis que ce n’étaient pas moins de 170 divisions qui étaient déployées à l’Est. En plus du rôle majeur joués par les Communistes au sein de la résistance intérieur dans les pays occupés, l’Armée rouge a donc clairement été le facteur premier de la victoire militaire contre le nazisme. Seule 60 ans de propagande anticommuniste[6] a réussi à gommer de la mémoire collective de l’Europe de l’Ouest ces évidences qu’il n’était pas de bon ton de rappeler en 2005, à l’heure où les USA sont de plus en plus contestés, jusque dans leur propre pays, pour leur invasion impérialiste de l’Irak et leurs atteintes aux libertés fondamentales sous couvert de la lutte antiterroriste et de la défense de la Liberté et de la Démocratie.

Ce révisionnisme historique ne s’est d’ailleurs pas limité à l’URSS mais s’est étendu à la minorisation du rôle de la résistance intérieure et à celle, parallèle, des déportés politiques, au profit des déportés « raciaux ». Ce basculement c’est produit dans un contexte qui n’était pas anodin, celui de la construction du mur de séparation en Cisjordanie et d’offensive médiatique agressive des lobbies sionistes[7] hurlant à l’antisémitisme contre toute personne osant critiquer la politique d’extrême droite de l’état d’Israël[8]. Ce basculement de la priorité de la commémoration d’Auschwitz (symbole de l’extermination raciale) sur la commémoration de Dachau (symbole de la déportation pour faits de résistance) a d’ailleurs été dénoncé avec force par Arthur Haulot lors de ses dernières interventions dans les médias.

Ces mensonges ont heureusement été à l’origine d’une réaction de chercheurs et personnalités scientifiques belges sous le nom d’ « appel pour le respect de l’histoire » dont seule la Libre Belgique s’est faite l’écho via la publication d’une carte blanche sous le titre Pourquoi minimiser la victoire des rouges ? montrant à nouveau par là le besoin urgent d’une presse alternative non confidentielle en Belgique, indispensable pour lutter contre l’uniformisation des esprits.

Notes

[1] Histoire et mémoire in Espace de libertés n°330 d’avril 2005, pp.4-16
[2] Sur les questions abordées dans cette article, mais également sur d’autres, voir le dossier publié par Le Monde diplomatique dans son édition de mai 2005 intitulé Les faces cachées de la seconde guerre mondiale (pp.19-25), et plus particulièrement l’article d’Annie Lacroix-Riz, L’Union soviétique par pertes et profits.
[3] Ce questionnement avait déjà été posé à l’occasion du 50e anniversaire, notamment en ce qui concerne l’exposition J’avais 20 ans en 45. Voir A. Colignon, C Kesteloot et D. Martin, Commémoration. Enjeux et débats. Bruxelles, CREHSGM, 1996.
[4] Coupons directement court à l’habituelle polémique autour du pacte germano-soviétique en rappelant que les entreprises américaines ont continué à faire des affaires avec l’Allemagne nazie jusqu’à la fin de la guerre comme l’a notamment montré le livre d’Edwin Black, IBM et l’Holocauste, Paris, Robert Laffont, 2001.
[5] Jacques R. Pauwels, Le mythe de la bonne guerre. Les Etats-Unis et la deuxième guerre mondiale, Bruxelles, Aden, 2005.
[6] Ajoutons éventuellement le facteur psychologique du fait que ce sont les Anglos-américains qui ont libéré nos pays.
[7] Dominique Vidal, Les pompiers pyromanes de l’antisémitisme in Le Monde diplomatique n°602 de mai 2004, pp.6-7 et Esther Benbassa, Edgar Morin, juste d’Israël ? in Le Monde diplomatique n°619 d’octobre 2005, p.32. Sur l’utilisation de la Shoa on se référera au livre de Norman G. Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs, Paris, La Fabrique, 2001.
[8] Sur les pratiques israéliennes, voir le numéro spécial de 40 pages de Palestine. Comprendre et agir de septembre 2005 intitulé Les prisonniers politiques palestiniens

mercredi 21 décembre 2005

Le roman de Renard


Cet article a été publié dans Espace de libertés n°337 de décembre 2005, p.24

André Renard. C’est ce titre on ne peut plus sobre que Pierre Tilly donne à son imposante biographie (700 pages… et 704 notes !) du leader syndicaliste liégeois[1]. Un titre sobre qui se garde bien de qualifier d’une manière ou d’une autre André Renard, illustrant ainsi toute la complexité du personnage.

Entre sa naissance à Valenciennes le 21 mai 1911 et son décès le 20 juillet 1962, soit en 51 ans seulement, Renard va marquer l’histoire de la Belgique, non seulement sur le plan social mais également sur le plan politique. C’est en effet lui qui avec le Mouvement populaire wallon, donnera une réelle assise populaire aux idées wallonnes portées jusque là essentiellement par une bourgeoisie intellectuelle. Il est d’ailleurs significatif que la revendication wallonne de Renard portera principalement sur une régionalisation à des fins économiques et non sur une communautarisation à des fins culturelles et identitaires.

La biographie de Pierre Tilly replace systématiquement et (trop) précisément les étapes de la vie de Renard dans leur contexte socio-économique rendant son parcours et ses choix compréhensibles pour peu que l’on ne se perde pas dans le dédale des nombreux détails. Elle a surtout comme intérêt de démontrer combien la période qui précède la seconde guerre mondiale, puis l’expérience de la Résistance, sont déterminantes et fixent, au plus tard en 1945, les lignes doctrinale et d’actions qui seront mises en œuvre les 17 années suivantes. Ainsi sa relation avec le monde patronal et, surtout, le monde chrétien (notamment avec le leader de la CSC Fafchamps) s’établit-elle dans la Résistance à laquelle Renard participe dans un groupe, l’Armée de libération, de tendance démocrate-chrétienne. Plus important encore, la grande attention que Renard portait à la formation des travailleurs venant de sa propre expérience de formation d’abord au cours du soir, puis comme responsable du service de documentation de la fédération des métallurgistes à partir de 1936. Enfin, dernier exemple qui sera le plus fondamental, la forte implication de Renard dans la mobilisation en faveur du Plan du travail élaboré par Henri De Man. Les conceptions planistes seront au centre de la doctrine, dite renardiste, des « réformes de structure »[2] - terme d’ailleurs déjà utilisé dans les années 30 - mises sur pied par les deux congrès importants de la FGTB, Situation économique et perspectives d’avenir en 54 et Holdings et démocratie économique en 56, deux congrès au contenu toujours aujourd’hui d’une actualité troublante. Les réformes de structure, loin d’être un programme révolutionnaire, s’appuyait sur un triple axe : nationalisation de l’énergie[3], planification (souple) de l’économie et enfin le contrôle des holdings qui visait à « enfoncer un coin dans le mur du capitalisme » pour reprendre une expression d’André Renard souvent citée par Jacques Yerna.

L’important ouvrage de Pierre Tilly revient également sur les légendes qui se sont construites autour de l’action de Renard, parfois cependant, ce qui est paradoxal dans une somme aussi importante, de manière fort elliptique. Ainsi de l’épisode du gouvernement provisoire wallon de 1950. Mais d’autres questions sont abordées comme l’aide de la CIA à Louis Major pour que la FGTB participe à la création de la CISL[4], la menace de l’abandon de l’outil, la volonté séparatiste qui fit suite à la défaite de la grève de 60-61… Le livre se termine par une étude du « réseau de Renard » très intéressante qui montre combien le syndicaliste liégeois avait su sortir du milieu syndical pour élargir sa zone d’influence dans les milieux intellectuels, européens, politiques, chrétiens… et même patronaux. Enfin, sur un autre plan, le livre montre combien la société belge fut loin d’être calme dans les années qui suivent la Libération. Les conquêtes ouvrières obtenues durant cette période seront en effet le produit d’un jeux dialectique constant entre intégration au système (ex : déclaration commune sur la productivité) et explosions sociales violentes.

Une biographie qui au final se présente comme une référence incontournable pour les lecteurs avertis et qui montre combien Renard était un pragmatique qui ne reniera cependant jamais ses origines ouvrières.



[1] Pierre Tilly, André Renard, Bruxelles, Le Cri, 2005, 809 p., 38€. Il s’agit de l’édition de la thèse de doctorat défendue par l’auteur à l’UCL. La forme et le style s’en ressentent fortement.
[2] Structure ne prenant pas « s » comme on le lit trop souvent car il s’agit des réformes de la structure économique. Voir Guy Desolre, 50 ans de débats sur le contrôle ouvrier, Bruxelles, La Taupe, 1970 et la contribution de Jacques Yerna dans le colloque de la Fondation André Renard, Les réformes de structure 10 ans après le congrès extraordinaire de la FGTB, Liège, FAR, 1965.
[3] À méditer à l’heure de la vente d’Electrabel…
[4] Confédération internationale des syndicats libres. Créées après la seconde guerre mondiale dans le contexte de la guerre froide pour détacher de la Fédération syndicale mondiale (FSM) les syndicats des pays du bloc de l’Ouest. Le terme de « libres » est donc à comprendre uniquement dans un sens anticommunistes.

lundi 21 novembre 2005

Le retour du suffrage capacitaire ?


Cet article a été publié dans Espace de libertés n°336 de novembre 2005, p.20

Au moment où les initiatives pour lutter contre l’Extrême droite se multiplient[1] dans la perspective des élections communales d’octobre 2006, une étude française sur le concept de populisme[2] remet fondamentalement en cause ce terme qui semble pourtant faire l’unanimité tant il est utilisé dans le monde scientifique et dans les médias.

Dans la nombreuse littérature consacrée à l’extrême droite, le livre d’Annie Collovald – maître de conférences en science politique à l’université de Paris X-Nanterre – est une excellente surprise qui pousse la réflexion bien plus loin que son titre ne peut le laisser penser.

Au premier abord le livre est une destruction en règle, aux accents parfois pamphlétaires, du concept de « populisme » tel qu’importé des débats sur la nouvelle droite aux USA par Pierre André Taguieff au début des années 80.

Chiffres et exemples à l’appui, cette étude démontre combien ce terme ne peut s’appliquer à désigner le phénomène politique qu’il prétend définir. A. Collovald développe sa thèse à partir de l’exemple du Front National français. Ainsi si les électeurs du PCF ont certes déserté ce parti, ce n’est pas pour voter FN mais pour s’abstenir. Le vote FN est par ailleurs caractérisé par une grande volatilité qui empêche toute homogénéisation sociale affirmée de son électorat[3]. En outre, mais on regrettera ici un manque d’exemple précis, le programme du FN est idéologiquement, dans ses références plus ou moins explicites (à Maurras, à Vichy, à l’OAS…) comme dans ses propositions, ancré clairement à droite : « la xénophobie frontiste est d’abord un programme « anti-social » qui vise directement les catégories les plus vulnérables »[4]. Outre cette démonstration, dont nous n’avons repris que quelques points, du caractère clairement de droite du FN, l’auteure critique également les méthodologies et les préjugés des tenants de la thèse « populiste ». Elle va jusqu’à dénier toute réelle scientificité aux diverses études qui la consacrent.

Mais ce qui fait de ce livre un ouvrage indispensable pour la réflexion politique aujourd’hui, c’est sa réflexion sur le fonctionnement démocratique découlant de sa critique du « populisme du FN ». Car pour Annie Collovald, outre le fait d’être une inexactitude scientifique relevant d’une conceptualisation intellectuelle non vérifiée (et, plus grave, démentie) par la réalité sociologique, le concept de « populisme » est surtout un outil idéologique au service du conservatisme néolibéral. « (…) Avec le populisme, il est bien question du peuple, mais d’un peuple réduit au statut de problème et refait par les préjugés d’une élite sociale et pour les besoins de la cause néolibérale qui projette la construction d’un avenir radieux, conduit par la mondialisation des logiques financières, contrôlé par des experts (…) Le peuple doit être méprisé et méprisable pour que se réalise l’utopie conservatrice du néolibéralisme rêvant d’une démocratie dépeuplée et réservée à une étroite élite « capacitaire » »[5]. Et de développer longuement et de brillante manière combien le « populisme » ainsi entendu déqualifie les classes sociales inférieures et les transforme en exclues de l’intérieur, permettant ainsi de remettre en cause de manière subtile la légitimité du suffrage universel au profit d’une bonne gouvernance laissée au bon soin des experts qualifiés. Un des exemples mis en avant est celui du message humanitaire qui rejette la faute sur l’exclu au lieu de s’interroger sur les causes socio-économiques facteurs de son exclusion. Ce qui est en fait une réactualisation du discours charitable des bourgeois catholiques du 19e siècle. On retrouve ce discours particulièrement présent en Belgique dans le débat sur les chômeurs[6].

Un livre qui pose de vraies questions et suscite la réflexion, surtout après la campagne du référendum sur la constitution européenne où en France – mais le constat est le même partout – les partisans du Oui ont tenu un discours particulièrement méprisant envers les citoyens[7]. Certes, un référendum populaire ne peut avoir pour but de trancher de la vérité (si elle existe), mais les débats au soir des résultats étaient significatifs d’une « élite » qui refuse de comprendre le sens d’un vote et qui continue à s’attribuer la seule vérité possible (celle du capitalisme triomphant) tandis que les électeurs n’auraient été mus que par la peur ? Bref mieux vaut ne pas demander leur avis aux citoyens incultes. C’est d’ailleurs le choix de la Belgique et de nombreux autres pays…

Notes

[1] Plate-forme « Pour que vive la démocratie », projet www.lacible.be...
[2] Annie Collovald, Le « Populisme du FN ». Un dangereux contresens. Broissieux, éditions du Croquant, 2004, 253 p. 12 €
[3] p.148
[4] p.226.
[5] p.234.
[6] voir le site www.stopchasseauxchomeurs.be
[7] voir le mini dossier Clefs pour l’après-29 mai dans le numéro de juillet du Monde diplomatique, pp.4-6.

mardi 27 septembre 2005

Vers une affirmation de la Wallonie


Cet article a été publié dans Espace de libertés n°334 de septembre 2005, p.25

Si la Flandre est aujourd’hui demandeuse d’un nouveau débat institutionnelle afin de gagner encore plus d’autonomie, en Wallonie également la question a été reposée avec acuité. Au niveau wallon, c’est principalement la question de la régionalisation de la communauté française qui est à l’ordre du jour depuis la publication d’un deuxième « Manifeste pour la culture wallonne » et la constitution dans son sillage du Mouvement pour le manifeste wallon où l’on retrouve notamment José Fontaine et Jean Louvet.

C’est dans ce contexte que l’Institut Jules Destrée, qui travaille depuis plusieurs années maintenant à permettre l’élaboration d’une réelle identité wallonne [1], a publié en début d’année une somme[2] de pas moins de 519 pages richement illustrées dont l’objectif est « (d’)Offrir une vue globale, synthétique et critique de la société wallonne en ce début du XXIe siècle (…). »[3] Le livre s’inscrit clairement dans la problématique décrite plus haut, Philippe Busquin s’interrogeant dès la première page sur « L’adhésion politique à un projet wallon (francophone ?) radical qui sera peut-être prochainement la seule alternative aux tensions fédérales belges » et Philippe Destatte plaidant clairement dans sa contribution pour la régionalisation des compétences culturelles de la Communauté française.

Impossible ici de résumer les contributions de la soixantaine de chercheurs sollicités. Soulignons simplement que si tous les champs sont couverts on peut s’étonner de certains choix, comme celui de placer « travail, chômage et santé mentale », qui au demeurant est une excellente question, dans la partie « mode de vie » et non dans celle intitulée « économie et société ». Notons également que l’article sur le « patrimoine en Wallonie » concerne exclusivement le patrimoine financier. Pour l’aspect culturel, c’est une longue énumération de tous ce que l’on peut étiqueter de près ou de loin « wallon » qui est faite dans « la culture en Wallonie » où malheureusement la forme des œuvres prime largement sur le fonds, comme lorsqu’Edmond Dubrunfaut n’est évoqué que via ses tapisseries, sans un mot sur la dimension sociale que cet artiste engagé a donné à une immense partie de son travail.

De la lecture de la partie « économie et société », seule partie que nous développerons, se dégage un sentiment très mitigé guère optimiste. Si les différents auteurs montrent que des pistes d’avenir existent, elles sont bien maigres face aux problèmes posés par la reconversion économique d’un sillon industriel qui garde son caractère structurant avec 2/3 de la population wallonne qui y vit toujours aujourd’hui. De plus il est clairement démontré que le pouvoir économique est maintenant dans les mains de grands groupes multinationaux, l’investissement public ne faisant de plus en plus que pallier aux déficits du privé. On est loin de l’époque ou « la revendication wallonne d’autonomie régionale répondait à une prise de conscience des problèmes posés par la structure économique de la Wallonie et visait à obtenir les moyens de maîtriser son destin économique »[4]. L’auteure « oublie » ici de préciser que c’est la FGTB, via le renardisme, qui posera le débat en ces termes comme le rappelle plusieurs contributions du livre Changer la société sans prendre le pouvoir [5]. Enfin, pour Michel Capron, la rupture actuelle n’est pas seulement économique, mais également technologique et sociale, elle serait donc bien plus qualitative que quantitative même s’il souligne que la productivité wallonne reste de 6% plus élevée que la moyenne européenne.

Un ouvrage qui, au final, se révèle une bonne photographie de la Wallonie d’aujourd’hui tout en permettant également le débat sur l’avenir.

Notes

[1] Voir l’Encyclopédie du mouvement wallon en trois tomes et le livre de son directeur Philippe Destatte, L'identité wallonne. Essai sur l'affirmation politique de la Wallonie (XIXe – XXe siècles). Charleroi, Institut Jules Destrée, 1997.
[2] La Wallonie à l’aube du XXIe siècle. Portrait d’un pays et de ses habitants. Charleroi, Institut Jules Destrée, 2005. Notons que dans les crédits, le livre est renseigné comme édité en Wallonie et non en Belgique.
[3] p.7
[4] Anne Vincent, Le pouvoir économique, p.403.
[5] Matéo Alaluf (sous la direction de), Changer la société sans prendre le pouvoir. Syndicalisme d’action directe et renardisme en Belgique. Bruxelles, Labor, 2005.

jeudi 21 avril 2005

"La chute" de l'esprit critique

Cet article a été publié dans Espace de libertés n°330 d'avril 2005, p.15

La Chute, ce film consacré par le réalisateur allemand Olivier Hirschbiegel aux derniers jours d’Adolf Hitler, fait beaucoup parler de lui et a suscité un vif débat.

De celui-ci trois grandes questions ressortent. La première porte sur le positionnement actuel, repris dans les dernières études et dans le film, du peuple allemand comme également victime du Nazisme et de la seconde guerre mondiale. C’est là un processus classique dans les sciences historiques que chaque génération questionne le passé d’une manière différente, liée aux préoccupations contemporaines. Quant à la culpabilité, à l’heure où les personnes ayant vécus cette période – et donc les électeurs éventuels d’Hitler – disparaissent progressivement, elle soulève deux interrogations. D’une part la pertinence depuis 1945 de condamner collectivement une Nation alors que des Allemands – certes très minoritaires, mais les Résistants dans les pays occupés ne l’étaient-ils pas non plus ? – sont morts en s’opposant au régime et à ses atrocités. D’autre part, elle supposerait que « racialement » un peuple devrait supporter la culpabilité des actes des générations antérieures[1].

La deuxième question, qui fut la plus médiatisée, porte sur « l’humanisation » de Hitler. Tout d’abord, il nous semble important de souligner que le film ne montre à aucun moment Hitler à son avantage. Le film montre un homme vieilli qui se déplace avec peine, contrôle très difficilement le tremblement de sa main gauche et, surtout, apparaît comme un être paranoïaque, complètement coupé de la réalité et hurlant la moitié des mots qu’il prononce. On est très loin du Siegfried germanique tant vanté par les Nazis. Plus largement, il est justement essentiel de présenter Hitler comme un homme ordinaire, comme quelqu’un que l’on peut croiser à tous moments dans la rue. Le diaboliser, en faire un phénomène « surnaturel », empêche toute analyse des causes socio-économiques, politiques et historiques de son succès[2]. Plus grave, cela suppose qu’il serait impossible que le phénomène se reproduise et ainsi déresponsabilise la génération qui l’a mis au pouvoir, mais également et surtout la génération actuelle et les générations futures qui ne feraient rien pour lutter contre la résurgence de l’idéologie d’Extrême droite.

Ce qui nous amène à la troisième question, la plus importante aujourd’hui. Elle apparaissait en filigrane d’une autre polémique récente, celle autour du documentaire Vlaams choc consacré à Filip Dewinter. Outre la question d’avoir rendu humain le Führer du Vlaams Blok/Belang, ce qui était soulevé par le débat sur la projection de ce documentaire, comme pour La chute, est l’absence de recul et de commentaires explicatifs, partant du postulat que le spectateur est incapable de décoder ce qu’il voit. C’est là une question importante qui souligne d’une part le manque de confiance en l’esprit critique du citoyen Lambda, et d’autre part un constat – rarement exprimé dans les débats évoqués ici – d’échec de notre modèle éducatif. En effet, si le public ne sait pas encore que le Vlaams Blok est raciste, s’il ne reconnaît pas Le Pen au côté de Dewinter sur la photo encadrée trônant en évidence dans la bibliothèque de ce dernier et sur laquelle la caméra revient à deux reprises, s’il n’a pas connaissance des atrocités du régime nazis, s’il est incapable de comprendre ce que Hitler évoque lorsqu’il explique qu’il aura au moins réussi à purger l’Europe du cancer Juif. Si tous ces éléments choisis parmi de nombreux autres ne sont pas compris par les spectateurs, cela voudrait dire que l’école, les médias publics, et l’ensemble des associations d’éducation permanente ont lamentablement échoués dans leur mission de développer les facultés d’esprit critique de chacun.

Notes

[1] A un autre degré d’intensité, la Belgique est confronté à cette dimension avec son passé colonial, comme le montre la vive polémique autour de la pièce adapté du livre de Mak Twain.
[2] De nombreux livres ont tenté d’expliquer le « phénomène » Hitler. Le meilleur, pour nous, reste sans aucun doute l’étude de Ian Kershaw, Hitler. Essai sur le charisme en politique, Paris, Gallimard, 1995

dimanche 6 mars 2005

Hommage à la Commune


Cet article a été publié dans Espace de libertés n° 329 de mars 2005, p.34

La Commune de Paris est un événement majeur de lhistoire du mouvement ouvrier mondial. Commencée dans la nuit du 17 au 18 mars 1871 à la suite de la débâcle des armées de Napoléon III dans la guerre qui opposait la France à lAllemagne, la Commune se terminera dans le bain de sang de la semaine sanglante du 21 au 28 mai, contre le Mur des fusillés du Père Lachaise.

La Commune constitue 72 jours pendant lesquels le peuple de Paris se gouvernera à travers ses 90 élus du 26 mars dont 25 ouvriers. Une série de mesures sociales seront prises, mais très vite la Commune doit concentrer toutes ses forces à la lutte contre Thiers et les Versaillais qui attaquent dès le 2 avril grâce à laide de la Prusse qui a libéré un grand nombre de soldats prisonniers.

Cest cette grande histoire qui constitue la toile de fonds de lenquête policière que nous raconte le dessinateur Tardi[1], sur base du roman de Jean Vautrin[2].

Lenquête tourne autour de lobsession vengeresse du notaire Charles Bassicoussé, devenu policier sous le nom dHorace Grondin, et qui est persuadé que sa fille adoptive est morte à cause du jeune officier Antoine Tarpagnan. Pour mener à bien sa vengeance, Bassicoussé utilise le flicard Hippolyte Barthelemy. Mais au fil de lhistoire, on découvre que Barthelemy profite de sa position pour enquêter sur le passé de lancien notaire. Autour de cette intrigue principale, Vautrin développe une série dhistoires secondaires : Ziquet faisant le coup de fusil, Marbuche et sa troupe de théâtre ambulant, la belle Gabriella Pucci qui sera le modèle de Courbet pour son tableau lOrigine du monde

Mais cest surtout pour la reconstitution fidèle du Paris de la Commune que cette bande dessinée sort du lot. Dans son style et avec cette conscience militante quon lui connaît tout au long de sa carrière, dAdèle Blanc-Sec à Nestor Burma en passant par lillustration de romans de Céline, mais surtout via son album sur la Grande Guerre, C’était la guerre des tranchée[3], Tardi nous offre un splendide ouvrage découpés en quatre tomes en noir et blanc, dans un format à litalienne. Au travers des pérégrinations de lhistoire, cest le Peuple de Paris et ses espoirs que lon découvre avant dassister au massacre ordonné par Adolphe Thiers. De Blanqui à Louise Michel, en passant par le général Dombrowski et Eugène Varlin, on rencontre au hasard des cases les grandes figures de la Commune. Les auteurs ont lintelligence de les situer et, de par le dessin ou le phylactère, de donner des indications sur le rôle quils ont joués et les positions quils ont défendues.

En 2005, 134 ans après que la Commune aie été écrasée par les forces de la réaction. Elle reste bien vivante dans lhistoire des luttes, malgré la pauvreté du Musée que lui consacre la Commune de Saint-Denis[4]. Cette tétralogie lui rend un superbe hommage, dont on espère bientôt un coffret avec bonus.



[1] Le Cri du Peuple chez Casterman: T.I, Les Canons du 18 mars, T.II, L’Espoir assassiné, T.III, Les Heures sanglantes, T.IV, Le Testament des ruines.
[2] Jean Vautrin, Le Cri du Peuple, Paris, Grasset, 1999. C'est à l'occasion de l'illustration de la couverture de ce livre que Tardi décida d'en faire une bande dessinée.
[3] Ouvrage paru chez Casterman en 1993.
[4] Ce musée est exemplatif des conditions dans lesquelles la mémoire de lhistoire des luttes sociales, en France comme en Belgique est laissée. Et celui des Canuts à Lyon nexiste même plus !

dimanche 20 février 2005

Terrorisme ou terrorismes ?


Cet article a été publié dans Espace de libertés n°328 de février 2005, pp.11-12

Il y a trois ans, Espace de Libertés consacrait un dossier au terrorisme[1]. De l’ensemble des articles publiés alors, il ressortait clairement que la réalité couverte par ce terme était très hétérogène. Il apparaissait également que l’ambiguïté quant à la définition du terrorisme permettait de jeter facilement le discrédit sur une cause en l’intégrant dans ce vaste concept. Depuis, l’inconstance du vocabulaire employé par les médias pour désigner les opposants aux troupes américaines en Irak (on passe de guérilla à résistance, en passant par mouvance islamiste ou rébellion), l’utilisation par l’administration Bush de la « guerre contre le terrorisme » pour attaquer tous ceux qui s’opposent à l’impérialisme américain (voir les agissements contre Hugo Chavez au Venezuela) ou du gouvernement Russe de Vladimir Poutine pour avoir les mains libres en Tchétchénie n’ont certainement pas aidé à y voir plus clair.

Un terme défini dans le temps et l’espace

Le concept est utilisé pour la première fois par la langue française en 1798 dans un supplément au dictionnaire de l’académie française. Il désigne alors la période de la Révolution française qui s’étend du deuxième trimestre 1793 à juillet 1794, de la chute des Girondins à celle de Robespierre. Cette période est connue dans l’histoire sous le nom de « Terreur ». Menée par les Jacobins, avec à leur tête Saint-Just et Robespierre, elle est une radicalisation de la Révolution menacée par les monarchies européennes. Elle est surtout marqué par une utilisation intensive de la guillotine afin d’éliminer de nombreux « ennemis de la Nation » : Nobles, membres du clergé, fédéralistes et monarchistes.

Comme pour le fascisme, qui désigne d’abord et avant tout le mouvement puis le régime mis en place par Mussolini et qui gouvernera l’Italie de 1922 à 1944, le mot « terrorisme » a donc d’abord désigné un phénomène précis avant de servir de qualificatif à de nombreux éléments forts disparates. Et comme Pierre Milza et Serge Berstein l’ont notés à propos du fascisme[2], il faudrait plutôt parler du terrorisme au pluriel, les groupes, faits et situations généralement désignés étant difficilement comparable[3]. En fait, chaque auteur a sa définition et ses caractéristiques pour cerner le phénomène. Deux grandes tendances se dégagent cependant. L’une restrictive et l’autre plus large.

Version minimaliste

La première tendance est bien illustrée par Le Petit Larousse grand format 2005 qui définit le Terrorisme comme « l’ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otages, etc) commis par une organisation pour créer un climat d’insécurité, exercer un chantage sur un gouvernement ou satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système ». Al Qaïda, l’attentat d’Oklahoma City, l’attaque aux gaz Sarin dans le métro de Tokyo, l’assassinat d’Itzhak Rabin par un extrémiste Juif... entrent dans ce cadre. A posteriori, cette définition permet également de désigner des groupes comme la secte religieuse des Sicarii en Palestine au Ier siècle avant JC ou la secte des Assassins en Perse et en Syrie au XIe siècle.

Elle s’applique surtout à la fin 19e - début 20e pour désigner les actes d’une partie du mouvement anarchiste qui alternait l’assassinat politique (le président française Carnot en 1894, le président des USA Mc Kinsey en 1901…), l’attentat spectaculaire ou le banditisme (avec en France Ravachol et la Bande à Bonnot). Il est intéressant de constater que ces actes isolés qui s’inscrivaient – du moins dans le cas des attentats – dans le cadre d’une tactique révolutionnaire de la « propagande par le fait » seront gonflés par la presse à sensation de l’époque, créant ainsi un climat de peur dans la bourgeoisie qui se méfiait déjà de la classe ouvrière. Cette peur permettra au pouvoir de réprimer durement les mouvements de revendications sociales, et notamment les premières manifestations du 1er Mai dont les événements fondateurs de Chicago connaîtront d’ailleurs leur épilogue par la pendaison de quatre anarchistes[4]. Cette forme d’action directe isolée destinée à frapper un grand coup et à marquer les esprits, mais qui ne s’appuyait pas sur un mouvement social important sera condamnée par Lénine qui lui opposait la violence de masse, organisée et subordonnée à la nécessité de l’organisation révolutionnaire[5]. Lénine parlait sur base de l’expérience concrète, lui qui avait été déporté en Sibérie avec sa mère suite à un attentat manqué contre Alexandre III par un groupe auquel son frère Alexandre participait et qui était lié à la « Volonté du Peuple », mouvement populiste démantelé six ans plus tôt après avoir assassiné le Tsar Alexandre II, mais dont l’influence dans le mouvement révolutionnaire russe reste important jusqu’à l’écrasement de la révolution de 1905.

Notons enfin, mais le fait est largement connu, que c’est un assassinat de ce type le 28 juin 1914 à Sarajevo par un étudiant nationaliste serbe, Gavrilo Princip, manipulé par les services secrets serbes via l’organisation « La main noire » qui mit le feu aux poudres et déclenchera la guerre de 14-18.

Version maximaliste

La définition du Larousse, si elle permet de cerner une partie non négligeable des terrorismes, en évacue cependant une dimension importante, qui plus est sa dimension originelle, celle de désigner un régime politique qui maintient son pouvoir et sa domination sur une population aux moyens de la peur. Les exemples pourraient ici aussi être très nombreux. La politique coloniale des pays européens, les dictatures militaires d’Amérique Latine - soutenue par les USA à travers l’opération Condor, les régimes Fascistes, la période Stalinienne, le maccarthisme[6]… Pendant la guerre froide, en Europe de l’Ouest, on a beaucoup insisté sur les actes de l’Extrême gauche dans les années 70-80. Des Cellules Communistes Combattantes en Belgique aux Brigades rouges italienne, en passant par la Fraction armée rouge en Allemagne. Mais ces actions, qui reflètent l’évolution d’une partie extrêmement minoritaire de l’Extrême gauche qui n’arrivera jamais à dépasser le soutien lui permettant la clandestinité pour passer à une liaison avec un mouvement de masse qu’il était censé préparer, ne doivent pas nous faire oublier les groupes mis en place par les Américains pour protéger leurs intérêts en cas de trop grande agitation communiste. On parlera ici du réseau Gladio, de la Loge P2 en Italie, ou d’assassinats de personnalités comme celle de Julien Lahaut à son domicile le 18 août 1950[7]. Ou encore de l’action des Contras au Nicaragua. Sur ce dernier point, l’utilisation de groupes armés n’est pas prête de disparaître, mais est en pleine mutation avec la modification du métier de mercenaire en société de gardiennage « musclée »[8].

C’est dans ce sens que Le petit Robert[9] nous semble plus correct que Le Larousse lorsqu’il définit le Terrorisme comme « l’emploi systématique des mesures d’exception, de la violence, pour atteindre un but politique (prise, conservation, exercice du pouvoir…) et spécialt. Ensemble des actes de violence (attentats individuels ou collectifs, destructions) qu’une organisation politique exécute pour impressionner la population et créer un climat d’insécurité ».

Cette définition repositionne ainsi les terrorismes dans un ensemble plus large qui pose en fait la question de l’utilisation de la violence. Et il n’est pas besoin d’être membre d’un des deux extrêmes de l’échiquier politique pour reconnaître la légitimité de l’utilisation de celle-ci : « Le droit à l’insurrection, pourtant, est un droit de l’homme, non seulement affirmé avec insistance dans la Déclaration de 1793 (articles 33, 34 et 35), mais déjà présent dans celle de 1789 qui proclame dans son article 2 le droit à la « résistance à l’oppression » et réaffirmé dans la Déclaration universelle de 1948 qui reconnaît le « suprême recours » que constitue la « révolte contre la tyrannie et l’oppression » (préambule). C’est au nom de ce principe que de nombreux mouvements de résistance, tels l’ANC en Afrique du Sud, ont eu recours à la lutte armée. »[10]

C’est sur cette même base que l’Armée républicaine Irlandaise (IRA) a été fondée en 1918 et obtiendra en trois ans l’indépendance de l’Irlande du Sud, avant de renaître en 1969 en Ulster. Sur cette base que tous les mouvements de libération (sociaux, ethniques, religieux…) se fondent. Durant la guerre 40-45, on ne le rappellera jamais assez, la Résistance n’hésitera pas à recourir au sabotage, à l’exécution de traîtres, au sabotage d’installations ferroviaires… subissant de nombreuses pertes dans une lutte menée par les Allemands contre « les terroristes ». Avant et après cette période, la limite entre « Résistants » et « Terroristes » sera toujours floues, au point que l’on peut sérieusement se demander si ce que l’on reprend sous le vocable de Résistant, ne serait pas simplement un terroriste victorieux, ou, à tout le moins, un partisan d’une cause à laquelle on adhère. Les Vietcongs, les membres du FLN algérien, les combattants sionistes d’avant 48… tous ont été qualifiés de terroristes avant d’être considéré comme des héros de leur peuple.

Un concept éminemment politique

Le terrorisme apparaît donc, dès qu’il quitte son historicité, comme un terme servant plus à jeter l’opprobre et le discrédit sur un mouvement ou une cause afin de pouvoir la combattre plus facilement, via notamment des moyens extralégaux ou des mesures d’exceptions, que comme un concept permettant d’appréhender une réalité. L’exemple de l’utilisation des attentats du 11 mars 2004 à Madrid par le gouvernement Aznar pour attaquer l’ETA est à cet égard significatif. Comme la réaction très saines du peuple espagnol qui ne s’est pas laissé prendre par la propagande officielle relayée complaisamment par les médias.

Face aux terrorismes, face aux recours à la violence et au débat sur sa légitimité, il faut rejeter les postulats moraux. Seule une analyse critique de la réalité objective et des contradictions en présence confrontées à l’adéquation entre le but final et les moyens utilisés doit permettre à chacun de se forger son opinion.

Notes

[1] Espace de Libertés n°298 de février 2002. Contributions d’Alain Colignon, Claude Javeau, Marcel Deprez, Jérôme Jamin, Jean-Paul Marthoz, Sergio Carrozo, Valérie Peclow, François Dubuisson, Jean Sloover et Michel Gottschalk.

[2] Serge Berstein et Pierre Milza, Dictionnaire historique des fascismes et du nazisme, Bruxelles, complexe, 1992

[3] Voir les articles de Gérard Chaliand in Encyclopaedia Universalis, T.22, pp.421-427 et de Jean-Christophe Buisson in Le Siècle rebelle. Dictionnaire de la contestation au XXe siècle.Le terrorisme international, coll. XXe siècle, Paris-Firenze, Casterman-Giunti, 1994. Paris, Larousse, 2004, pp.885-888 ainsi que le livre de Luigi Bonanate,

[4] Uri Eisenzweig, Fictions de l’anarchisme, (s.l), Christian Bourgeois, 2001.

[5] Notice de Georges Labica, Terrorisme in Georges Labica (s. dir.) Dictionnaire critique du Marxisme, Paris, PUF, 1982, pp.876-878.

[6] Howard Fast, Mémoire d’un rouge, Paris, Rivage, 2000. Cette autobiographie de l’auteur de Spartacus, qui était membre du PC américain, est très instructive sur cette période de l’histoire des USA qui s’étend de 1950 à 1954, et la manière dont une démocratie peut briser des gens sans recourir à des déportations, exécutions…

[7] Jan Willems (s.dir), Gladio, Bruxelles, EPO, 1991 et Rudy Van Doorslaer et Etienne Verhoyen, L’assassinat de Julien Lahaut, Anvers, EPO, 1987.

[8] Voir le dossier paru dans Le Monde diplomatique n°608 de novembre 2004, pp.22-29.

[9] Nous avons utilisé l’édition de 1987, mais n’avons pu vérifier dans une édition plus récente.

[10] Gilles Manceron, Résistances et terrorismes article parut dans la revue de la Ligue des droits de l’homme française Hommes et Libertés, n°117 de janvier-mars 2002 dont le thème était Terrorisme et violence politique, et dont le texte est repris sur le site internet www.ldh-france.org.