mardi 27 décembre 2005

Victoire sur le nazisme. Réflexions sur un 60e anniversaire.

Ce texte paru dans Espace de libertés n°337 de décembre 2005 m'a valu deux courriers très virulents, émanant de deux personnes proches du lobby sioniste Belgique-Israël, qui me taxaient notamment "d'antisémite primaire".


Dans son numéro d’avril 2005, Espace de libertés consacrait son dossier à la question de la mémoire et soulignait que, s’il était important de se souvenir du passé, il fallait que celui-ci soit un souvenir critique et non une construction servant des intérêts nationalistes, religieux ou autres[1]. Cette année a vu l’illustration d’une manipulation idéologique importante allant à l’encontre de ce principe[2] et qui est passée quasi inaperçue : la négation presque totale du rôle prépondérant de l’URSS et de l’Armée Rouge dans la victoire sur le nazisme il y a 60 ans.

Pendant toute la durée des manifestations consacrées au 60e anniversaire de la Libération de l’Europe et de la fin de la deuxième guerre mondiale, reportages, films et shows à grand spectacle se sont succédés pour glorifier les USA présentés comme unique libérateur (avec les Anglais il est vrai)[3]. Les commémorations du débarquement en Normandie – fait de guerre pourtant loin d’être décisif en rapport aux gigantesques batailles du front de l’Est – ont constitué à ce niveau un summum. Un rappel de la réalité de la deuxième guerre mondiale, par les chiffres, est ici nécessaire. A partir du déclenchement de l’opération Barbarossa le 22 juin 41[4], l’Armée rouge du se battre seule contre l’immense majorité des troupes nazies et attendre 1943 pour qu’une esquisse de réel second front s’ouvre à l’Ouest. Il est aujourd’hui indiscutable que la bataille de Stalingrad fut le réel tournant de la guerre, coûtant près d’un million et demi d’hommes aux Allemands entre juin 42 et le 31 janvier 1943, et amorçant le début des victoires alliées et de la marche sur Berlin. Sur l’ensemble de la guerre les nazis perdront, sur un total de 13,5 millions de tués, 10 millions d’hommes sur le seul front de l’Est. Les pertes des alliées sont également illustratives, les différences tactiques et technologiques souvent mises en avant pour les expliquer ne pouvant justifier la différence entre les 600 000 Anglos-américains tués sur tous les fronts, y compris Pacifique, et les 13 millions de soldats soviétiques[5]. Ainsi, en mars 1945 encore, seules 26 divisions allemandes se battaient sur le front Ouest tandis que ce n’étaient pas moins de 170 divisions qui étaient déployées à l’Est. En plus du rôle majeur joués par les Communistes au sein de la résistance intérieur dans les pays occupés, l’Armée rouge a donc clairement été le facteur premier de la victoire militaire contre le nazisme. Seule 60 ans de propagande anticommuniste[6] a réussi à gommer de la mémoire collective de l’Europe de l’Ouest ces évidences qu’il n’était pas de bon ton de rappeler en 2005, à l’heure où les USA sont de plus en plus contestés, jusque dans leur propre pays, pour leur invasion impérialiste de l’Irak et leurs atteintes aux libertés fondamentales sous couvert de la lutte antiterroriste et de la défense de la Liberté et de la Démocratie.

Ce révisionnisme historique ne s’est d’ailleurs pas limité à l’URSS mais s’est étendu à la minorisation du rôle de la résistance intérieure et à celle, parallèle, des déportés politiques, au profit des déportés « raciaux ». Ce basculement c’est produit dans un contexte qui n’était pas anodin, celui de la construction du mur de séparation en Cisjordanie et d’offensive médiatique agressive des lobbies sionistes[7] hurlant à l’antisémitisme contre toute personne osant critiquer la politique d’extrême droite de l’état d’Israël[8]. Ce basculement de la priorité de la commémoration d’Auschwitz (symbole de l’extermination raciale) sur la commémoration de Dachau (symbole de la déportation pour faits de résistance) a d’ailleurs été dénoncé avec force par Arthur Haulot lors de ses dernières interventions dans les médias.

Ces mensonges ont heureusement été à l’origine d’une réaction de chercheurs et personnalités scientifiques belges sous le nom d’ « appel pour le respect de l’histoire » dont seule la Libre Belgique s’est faite l’écho via la publication d’une carte blanche sous le titre Pourquoi minimiser la victoire des rouges ? montrant à nouveau par là le besoin urgent d’une presse alternative non confidentielle en Belgique, indispensable pour lutter contre l’uniformisation des esprits.

Notes

[1] Histoire et mémoire in Espace de libertés n°330 d’avril 2005, pp.4-16
[2] Sur les questions abordées dans cette article, mais également sur d’autres, voir le dossier publié par Le Monde diplomatique dans son édition de mai 2005 intitulé Les faces cachées de la seconde guerre mondiale (pp.19-25), et plus particulièrement l’article d’Annie Lacroix-Riz, L’Union soviétique par pertes et profits.
[3] Ce questionnement avait déjà été posé à l’occasion du 50e anniversaire, notamment en ce qui concerne l’exposition J’avais 20 ans en 45. Voir A. Colignon, C Kesteloot et D. Martin, Commémoration. Enjeux et débats. Bruxelles, CREHSGM, 1996.
[4] Coupons directement court à l’habituelle polémique autour du pacte germano-soviétique en rappelant que les entreprises américaines ont continué à faire des affaires avec l’Allemagne nazie jusqu’à la fin de la guerre comme l’a notamment montré le livre d’Edwin Black, IBM et l’Holocauste, Paris, Robert Laffont, 2001.
[5] Jacques R. Pauwels, Le mythe de la bonne guerre. Les Etats-Unis et la deuxième guerre mondiale, Bruxelles, Aden, 2005.
[6] Ajoutons éventuellement le facteur psychologique du fait que ce sont les Anglos-américains qui ont libéré nos pays.
[7] Dominique Vidal, Les pompiers pyromanes de l’antisémitisme in Le Monde diplomatique n°602 de mai 2004, pp.6-7 et Esther Benbassa, Edgar Morin, juste d’Israël ? in Le Monde diplomatique n°619 d’octobre 2005, p.32. Sur l’utilisation de la Shoa on se référera au livre de Norman G. Finkelstein, L’industrie de l’Holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs, Paris, La Fabrique, 2001.
[8] Sur les pratiques israéliennes, voir le numéro spécial de 40 pages de Palestine. Comprendre et agir de septembre 2005 intitulé Les prisonniers politiques palestiniens

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