dimanche 27 mai 2007

Le roman a thème social n'est pas mort


Cet article a été publié dans Espace de libertés n°353 de mai 2007, p.21

Dans l’abondance des romans publiés aujourd’hui, quelques uns continuent à se pencher sur les réalités de la classe ouvrière s’inscrivant ainsi dans la tradition d’auteurs comme Constant Malva dont plusieurs textes viennent d’être réédités[1].

Ainsi Dominique Manotti a choisi de parler des fermetures d’entreprises dans le nord de la France d’une manière originale puisque son dernier livre est un thriller politico-financier basé sur un fait réel qui défraya la chronique judiciaire[2]. L’histoire commence dans la dure réalité d’une usine déshumanisée comme il en existe tant[3], ici une unité de production de Daewoo en Lorraine. Un énième accident fait déborder la colère des travailleurs qui déclenchent une grève. Celle-ci se radicalise lorsqu’ils prennent conscience qu’ils se sont faits duper par la direction, notamment sur des primes dont le paiement sans cesse reporté n’a jamais réellement été envisagé. Ce conflit, si banal finalement, monte en intensité avec la séquestration des cadres. Cette dernière action provoque la panique parmi des actionnaires qui, pour cacher le fait qu’ils utilisent l’usine comme paravent à des détournements financiers, notamment des subsides européens destinés à la reconversion, n’hésitent pas à tuer. Le roman s’aventure alors dans les méandres d’un gigantesque monopoly entre les multinationales Alcatel et Matra pour le contrôle de Thomson. Dans ce Monopoly, tous les coups sont permis et les morts par dommages collatéraux vont se multiplier. Si la vérité est finalement découverte, elle ne sert qu’aux acteurs du jeu. Les travailleurs, eux, ont été complètement brisés.

Fiction toujours, mais l’est-elle tellement ?, avec un gros bouquin consacré à la célèbre grève des mineurs anglais du milieu des années ’80 qui verra le gouvernement ultra-libérale de Thatcher broyer le mouvement ouvrier anglais en mettant à genoux sa composante la plus importante et la plus combative[4]. Utilisation des services secrets comme éléments agitateurs, mise sur écoute des syndicats, corruptions et chantages, collusion entre le patronat et l’état, tout y passe à travers un récit articulé autour de plusieurs récits parallèles. L’ouvrage ne fait aucun angélisme, soulignant les contradictions des travailleurs qui alternent entre solidarité et égoïsme, mais aussi du syndicat qui doit gérer les dissensions entre ses différentes sections tout en étant englué dans son bureaucratisme et la toute puissance de son président Arthur Scargill. Avec ce livre, plus encore qu’avec celui de Malincolli, on vit le conflit à travers les protagonistes des deux camps et l’on ne peut s’empêcher de penser que la fiction n’est qu’une protection de l’auteur, que l’on sent très documenté, contre des procès éventuels.

Le troisième et dernier ouvrage nous ramène en Lorraine pour une suite de courts chapitres, d’instants de vie, mis sous le sceau du roman mais dont il n’est pas difficile de sentir la forte connotation autobiographique[5]. C’est également le monde des mineurs qui est décrit dans ce livre qui tourne autour des épisodes de la vie d’un fils d’immigré italien, mort dans les camps de concentration nazis, mineur comme son père mais qui, syndicaliste communiste, sera adjoint au maire. A la limite de l’étude ethnologique et anthropologique ce roman passe en revue tous les aspects de la vie, de la culture et des luttes de cette classe ouvrière plongée dans le désarroi par la fermeture de son outil de travail. Mais aussi par la fin de ses illusions militantes qui, dans la prolongation du combat antifasciste, passait forcément par le Parti Communiste. Un PCF à qui les personnages du livre ont tout donné, sacrifiant leurs individualités à la discipline de parti, n’en comprenant pas toujours les orientations comme lors de la répression du Printemps de Prague. Mais un Parti qui reste malgré tout pour eux le seul défenseur d’une classe ouvrière qui semble disparaître.

Et l’on partagera l’interrogation du personnage principal au seuil de sa mort : « Le mur était tombé. Tout le pire avait été révélé, avéré. C’était plus qu’un idéal, c’était une vie, c’était mille vies, bafouées, réduites à néant. Comment continuer à être communiste après ça, après tout ce gâchis, et comment décider subitement de ne plus l’être, quand dans vos tripes, tout crie que votre combat à vous, en France, dans le Pays-Haut, était juste. Longwy Lorraine Cœur d’acier. Où trouver la force de se battre encore, simplement pour soi, pour sauver sa peau »[6]. C’est ainsi que des romans d’évasions, permettent malgré tout se poser des questions fondamentales sur le monde.

Notes

[1] Paroles de mineurs. Textes de Constant Malva présentés par Michel Ragon. Paris, Omnibus, 2007
[2] Dominique Manotti, Lorraine connection, Paris, Rivage, 2006, 194 p.
[3] Voir notre article Oui l’usine tue encore in Espace de libertés n°343, p.23
[4] David Peace, GB 84, Paris, Rivages, 2006
[5] Aurélie Filippetti, Les derniers jours de la classe ouvrière, Paris, Stock, 2003,157 p. elle aborde d’ailleurs p.123 le scandale au centre du livre de Manotti
[6] p.156

dimanche 20 mai 2007

Le petit bourgeois fascisant

Cet article a été publié dans Espace de libertés n°353 de mai 2007, p.28

C’est cette expression qui résume le mieux le propos que tient Maxime Benoit-Jeannin dans son deuxième livre consacré à Georges Remi, dit Hergé[1]. Dans cet ouvrage, l’auteur a décidé d’approfondir ce qu’il dénonçait dans son pamphlet Le mythe d’Hergé publié en 2001.

Une longue première partie est consacrée à une réponse aux différentes réactions, le plus souvent négatives, qu’il a reçu depuis 2001. S’il maintient et confirme ses propos et ses accusations, c’est notamment parce qu’Hergé est un mythe intouchable : « Quand je me relis aujourd’hui, je perçois bien l’effet d’amplification de mon texte quant au cas Hergé, qui ne fut, évidemment, qu’un petit collaborateur. Un pâle complice. Il n’a pas de sang sur les mains, certes. Mais ce qui a aggravé son cas au fil du temps et qui a, selon moi, rendu la polémique inévitable, et cela sans que ce soit de sa faute, c’est l’attitude de ses thuriféraires, qui passent leur temps à agrandir et à nettoyer son monument »[2]. Si donc Benoit-Jeannin reconnaît qu’Hergé n’a pas participé à des exactions et n’est coupable que d’avoir dessiné, il ne peut retenir son indignation sur le fait que justement on essaie de minorer la portée de ses actes à de simples « petits Mickey » destinés aux enfants. Car Hergé a le parcours typique d’une personne d’extrême droite des années 30 et n’a jamais réellement renié ses idées : « Les vagues concessions qu’il fait à certains journalistes concernant son passé ne tiennent pas face à son soutien constant aux réprouvés fascistes et/ou collaborateurs. Ceux qui résident en Belgique sont engagés par lui au journal Tintin. Ceux qui ont dû se réfugier en France, à Marly-le-Roi, par exemple, comme Robert Poulet ou Paul Werrie, reçoivent son aide financière. Sa fortune, il la met à leur service. Les bénéficiaires de ses générosités sont connus : ses amis belges que je viens de citer, Raymond De Becker naturellement, Ralph Soupault, ancien caricaturiste à Je suis partout, Maurice Bardèche, le beau-frère de Robert Brasillach fusillé pour avoir sans relâche soutenu la collaboration. »[3]

Benoit-Jeannin examine donc avec sa grille d’analyse l’essentiel de l’œuvre d’Hergé, en commençant par Tintin au pays des soviets, réel ouvrage de propagande anticommuniste. S’il trouve à redire sur quasi toute l’œuvre, ce qu’il ne peut réellement pas laisser passer, c’est que « D’octobre 1941 à mai 1942, soit sept mois, le temps de la parution de L’étoile mystérieuse en bandes dessinées (…) coïncide avec les mesures les plus radicales prises à l’encontre des Juifs. L’étoile est, comme par hasard, l’histoire la plus militante d’Hergé. Elle appelle à la punition de Blumenstein et de ses complices »[4], et cela, pour Benoit-Jeannin s’est aller bien plus loin que simplement être imprégné sans esprit critique des idées dominantes représentatives des idées de la classe dominante dont Georges Remi est un pur produit.

Malgré certains excès et manque de nuances inévitables dans un tel ouvrage, ce livre est important à un double titre. Premièrement il est toujours utile de soulever les coins d’ombres d’une vie, surtout si elle a été mythifiée, de s’attaquer aux icônes, afin d’aiguiser l’esprit critique et le rejet de toutes vérités établies. Deuxièmement, face au comportement plus que conformiste d’Hergé, Benoît-Jeannin interroge la question de la désobéissance : « Résister, c’est se rebeller, c’est trahir tous les conditionnements qui poussent l’homme à obéir au pouvoir, quel qu’il soit. Dessiner ses personnages pour un journal nazi, c’est se soumettre aux conditions dominantes. C’est nier la légitimité de la Résistance. Si l’on veut bien y réfléchir, cette attitude est bien dans l’air du temps. Ceux qui tentent de résister aux conditions dominantes et de se réapproprier leur vie sont mal vus. L’accusation de terrorisme n’est pas loin ».[5]

Hergé est donc certes intéressant pour son génie du dessin, mais aussi pour son parcours d’homme se révélant finalement d’une banalité extrême, ce qui n’en exclut pas les responsabilités. C’est justement cette complicité passive, ou plus ou moins active, qui permet tous les crimes comme vient de le souligner le rapport du Ceges sur la persécution des Juifs en Belgique si justement intitulé La Belgique docile. C’est cette même docilité que dénonçait Pierre-Arnaud Perrouty dans une très belle carte blanche[6] sur l’ « estompement de la norme » dans notre démocratie lorsqu’il s’agit d’immigration.

Où comment le présent permet de questionner le passé qui lui-même nous force à nous interroger sur nos actes de citoyens d’aujourd’hui. C’est aussi ce mérite qu’a le pamphlet de Maxime Benoit-Jeannin.

Notes

[1] Maxime Benoît-Jeannin, Les Guerres d’Hergé. Essai de paranoïa-critique. Bruxelles, Aden, 2007, 254p., 20€
[2] p.24. Il sera à ce niveau intéressant de voir comment le musée Hergé prévu à Louvain-La-Neuve pour avril 2009 abordera toutes ces questions.
[3] p.201.
[4] p.159 Notons que l’étoile jaune a été imposée en mai-juin 1942 après de nombreuses mesures destinées à précariser les Juifs et que les déportations vers les camps de la mort suivront rapidement.
[5] p.62
[6] Pierre-Arnaud Perrouty, Politique migratoire : la Belgique docile et méprisante in Le Soir du 21.02.07.