dimanche 22 juillet 2007

La laïcité, outil d'émancipation

Cet article a été publié dans Salut et Fraternité n°59 de juillet-août-septembre 2007, p.2

  1. Pourquoi avez-vous quitté le Centre pour l’égalité des chances, structure fédérale, pour le Centre d’action laïque, structure communautaire ?

Mon choix ne s’est pas du tout effectué sur le critère fédéral versus communautaire. D’ailleurs, au sein du CAL, je ne suis pas dans une position de repli communautaire. Bien au contraire, j’apprécie les réunions communes avec nos équivalents néerlandophones de l’UVV. Un autre élément à préciser d’emblée est que je n’ai pas quitté le Centre pour l’égalité des chances parce que je considérais qu’après 15 ans de travail en son sein, il n’y avait plus rien à y faire et que les combats étaient gagnés. Enfin, ce n’est pas davantage en désaccord avec la politique qui y est menée.

Mon départ pour le CAL est vraiment né d’une opportunité qui s’est présentée un an avant la fin de mon mandat au sein du Centre. J’étais donc dans une position où il allait de toute manière falloir que je réfléchisse à mon avenir professionnel. Lorsque j’ai été prévenue qu’une annonce pour le poste de Secrétaire générale du CAL allait être publiée dans Le Soir, j’ai entamé une intense mais brève réflexion qui a débouché sur un vrai choix : celui d’aller vers un lieu - et ils ne sont malheureusement pas si nombreux que cela - où l’on défend des valeurs dans une pluralité de formes d’actions et de thématiques et qui n’hésite pas à sortir de la revendication « exclusivement » laïque.

  1. Quelle(s) différence(s) de perception avez-vous de la structure CAL depuis que vous la vivez de l’intérieur par rapport à celle que vous aviez de l’extérieur ?

Bien avant de postuler, je connaissais un grand nombre de militants de la structure laïque. Ma vision de l’extérieur était celle d’une laïcité revendicative sur le plan philosophique, mais aussi, via Bruxelles Laïque, les Territoires de la Mémoire et le CAL de Liège que je connaissais davantage, d’une laïcité impliquée dans l’action et dans des activités aux thématiques plus larges.

De l’intérieur, je suis tout d’abord époustouflée par le nombre des associations (environ 300), des publications ; par le volume et la diversité des activités et des actions qui sont menées… bref d’un formidable dynamisme dont je n’avais pas connaissance précédemment, malgré mon parcours et mes fonctions successives. Cela m’amène donc à réfléchir sur la communication du CAL, sur les éventuelles synergies possibles pour être plus efficace. Mais cette réflexion n’est encore qu’embryonnaire et je suis consciente des difficultés.

En fait, il manque une photographie de la laïcité « organisée » qui permettrait de se réinterroger sur la pertinence actuelle de nos actions. De se poser la question : « Sommes-nous aux bons endroits avec la bonne organisation et les bons outils ? ». Cet état des lieux, j’essaie de me le représenter via les rencontres avec les régionales. Mais c’est insuffisant. Car il y a aussi les nombreuses associations affiliées directement au niveau communautaire, mais également les personnes qui travaillent en IPPJ, en maisons de repos…

Et nous ne parlons ici que de la laïcité « organisée » alors que nous devons absolument réfléchir à comment communiquer et contacter le « peuple laïque » selon l’expression de Pierre Galand. Je prendrai ainsi l’exemple des migrants que l’on n’entend pas au sein de la laïcité à l’exception de quelques grandes figures. Pour atteindre ces personnes, je pense qu’il faut que l’on dépasse l’image que la laïcité a, et, c’est un discours que j’entendais au Centre pour l’égalité des chances, qui est « le rouspéteur professionnel contre les religions ». Nous devons absolument dépasser et éradiquer cette vision réductric

  1. Justement, Pierre Galand, lors du débat avec Philippe Grollet à Liège le 26 mars, a défendu la nécessité pour la laïcité d’être « sociale et internationaliste ».

Exactement. Mais attention, d’une part, comme je l’ai déjà souligné, il y a longtemps que le mouvement se préoccupe d’autres questions que celles de la religion, et d’autre part nous ne devons pas non plus perdre notre spécificité et oublier nos valeurs et nos combats centraux. Le défi est important et il faut bien réfléchir à la manière dont nous communiquerons. La laïcité a tout à gagner en s’ouvrant à des partenariats avec d’autres associations, y compris confessionnelles, sur des thématiques où le combat est commun, comme par exemple la lutte contre l’extrême droite. Mais s’ouvrir à des partenariats, ce n’est pas perdre son identité, ce n’est pas mettre de côté ses spécificités. Il faut aussi y porter nos idées, nos objectifs et nos valeurs.

  1. N’y a-t-il pas là un contraste entre cette volonté de s’ouvrir, de s’internationaliser et les rivalités qui peuvent exister entre les différentes régionales du CAL ?

Les hommes et les femmes ont tous leurs défauts et leurs contradictions. Il est normal que les laïques n’échappent pas à la règle. Mais je crois qu’au contraire l’internationalisme peut aider à gommer les tensions et à quitter « l’esprit de clocher » en donnant des perspectives plus larges qui permettent de relativiser les questions des « pré carrés ». Aujourd’hui (mais je pourrais changer d’avis d’ici quelques mois) j’ai l’impression que par son histoire et ses valeurs, le mouvement laïque a un ancrage assez individualiste. Et par rapport à cela, je crois qu’il est essentiel de forcer les verrous et de nous pousser vers l’avant.

  1. Le congrès du 30e anniversaire de la régionale de Liège aura pour thème « femmes et laïcité ». Quelle(s) articulation(s) voyez-vous entre ces deux termes ?

Au vu de l’histoire, il me paraît clair que les femmes sont toujours les premières victimes lorsque l’intégrisme religieux arrive à imposer ses vues. De plus, le Dictionnaire historique de la laïcité[1] montre que 90 % des femmes ayant permis des avancées en faveur de l’émancipation du sexe dit faible fin 19è, début 20è étaient des militantes laïques. Il est donc indiscutable que la laïcité est un outil terrible et indispensable pour l’émancipation et qu’elle a donc un rôle politique fondamental à jouer. Il y a un élément qui mériterait une réflexion plus poussée encore : « comment la religion est-elle plus aliénante pour la femme que pour l’homme ? ». C’est en tout cas pour moi un vrai questionnement. Je voudrai cependant encore préciser que sur une telle question, il faut bien entendu distinguer l’individu croyant de la structure ecclésiale.

  1. A un niveau plus personnel, pourriez-vous nous dire quel est LE dossier que vous estimez devoir être au centre du travail du prochain gouvernement qui sortira des urnes au lendemain du 10 juin ?

La première réponse qui me vient spontanément est l’école, et plus généralement l’éducation qui n’est plus l’outil magnifique d’ascension sociale qu’elle a été et qu’elle devrait toujours être. Dans ce cadre, il faut lutter pour la mixité scolaire et celle-ci ne peut passer que par l’école publique qui se doit de développer au mieux l’accueil et l’intégration des jeunes d’origine étrangère et/ou marginalisés dans la structure scolaire. Enfin, ce qui m’étonne le plus est la grande peur de repenser vraiment l’école. Je suis clairement, notamment par mon passage par les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA), partisane des méthodes visant à développer la capacité et le désir d’apprentissage les jeunes, plus qu’à leur transmettre un savoir. Dans le même ordre d’idée, pourquoi ne pas faire des classes de 40 élèves mais qui auraient deux professeurs en permanence comme on le pratique beaucoup dans le secteur de la formation pour adultes et de l’éducation permanente ?

Mais je m’égare quelque peu car l’enseignement n’est plus une compétence fédérale. Je verrais donc trois grands thèmes :

- La vigilance sur les Droits de l’homme qui sont de plus en plus mis à mal, voire carrément contournés, par la dérive sécuritaire qui accompagne la lutte conte le terrorisme et la création, inquiétante à mon sens, de la « forteresse Europe ».

- L’emploi, mais à nouveau, il s’agit d’une compétence partagée entre plusieurs niveaux de pouvoir. Emploi qui est la seule solution crédible au fléau de la précarité. Cette montée des pauvretés est vraiment totalement inacceptable dans notre société.

- Enfin, on ne pourra avoir un avenir en Europe sans résoudre la question des pays du sud de la planète. Nous ne pouvons pas, y compris dans une vision égoïste, nous désintéresser de la détérioration des conditions de vie des populations du Sud qui ont connus ces dernières années un énorme recul par rapport aux espoirs nés lors du mouvement de décolonisation.

Mais, je pense aussi à bien des thèmes chers au CAL et, avec un clin d’œil, je renverrai chacune et chacun à la lecture de notre Memorandum !


Propos recueillis le 29 mars 2007

[1] Pol Defosse, sous la direction de, Dictionnaire historique de la laïcité en Belgique, coll. Voix de l’histoire, Bruxelles, Fondation rationaliste – Luc Pire, 2005.

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