mardi 25 septembre 2007

On ne peut faire table rase des luttes sociales en Wallonie

Du 12 au 16 septembre 2006, soit il y a déjà plus d'un an, j'ai participé à Bucarest à un colloque intitulé Expérience et mémoire. Partager la diversité du monde en français dans le cadre du sommet de la francophonie.
Cette expérience fut évidemment très riche en expériences. Ma communication s'intégrait au Troisième volet consacré à Mémoires au défi de l’expérience : Saisir le passé pour s’engager dans l’avenir et plus spécifiquement à la matinée dédicacée aux travailleurs de la grande entreprise : Mémoire de la modernisation, expériences de la désindustrialisation. Mon intervention est enfin disponible sur Internet en format PDF, en format audio et en format vidéo. J'y aborde d'une manière plus "scientifique" les problématiques soulevées dans ce blog avec l'article La négation des luttes sociales publié le 31 juillet 2007.

jeudi 20 septembre 2007

Décroissance

Lors de l'Assemblée Générale de rentrée d'Attac-Liège, j'ai introduit, en compagnie de François Schreuer, le thème de la discussion du jour : "Quelle croissance ? Quel développement". Ce débat s'est déroulé le mercredi 19 septembre 2007 à 19h30 au Beau-mur (rue du beau-Mur n°48 à Liège).
25 membres étaient présents pour une discussion qui a durée une bonne heure et demie. Vous pourrez en retrouver les deux exposés ici, sur le blog de François

mercredi 19 septembre 2007

Anticommuniste par socialisme :

Cet article a été publié dans Espace de libertés n°356 de septembre 2007, p.25

L’œuvre de Georges Orwell est bien plus complexe que l’image anticommuniste donnée par ses deux derniers ouvrages, qui sont aussi les plus connus, La ferme des animaux et surtout 1984. C’est ce que démontre une biographie enfin publiée en français[1]. Le livre replace l’ensemble des écrits d’Orwell dans leurs contextes et a la bonne idée d’être complété par un glossaire, mais aussi de distinguer les notes explicatives – mises en bas de pages – des notes justificatives renvoyées en fin de volume.

Comme le souligne bien Newsinger, « Le problème est que la tentative d’Orwell pour briser le mythe soviétique a échoué. L’une des conséquences de cet échec a été la récupération de La ferme des animaux et de 1984 par la droite. L’opposition très ferme d’Orwell, en tant que socialiste, à la dictature communiste et à ses thuriféraires n’en demeure pas moins un exemple d’honnêteté intellectuelle et de courage politique »[2]. Cet état de fait ne peut se comprendre qu’en étudiant la vie d’Orwell et son évolution politique. De son vrai nom Eric Blair, Orwell est né en 1903 au Bengale dans une famille de fonctionnaires coloniaux et reçoit une éducation typique de la classe aisée anglaise. A la fin de ses études il devient policier en Birmanie à une époque où les premières initiatives de libération nationale se déroulent. Les cinq années qu’il y passe créent la première rupture dans sa vie et l’amènent au socialisme. Son premier ouvrage, Une histoire Birmane, est d’ailleurs une charge dénonçant l’impérialisme. Désirant rompre avec son milieu d’origine, Orwell s’immerge dans le monde ouvrier dont il tire son deuxième livre, Dans la dèche à Paris et à Londres. « Dans ce texte, Orwell aborde, avec une intensité extraordinaire, l’expérience de la pauvreté, et ses effets sur l’individu et sur la mentalité des pauvres. Il est quasiment le seul écrivain de gauche d’origine bourgeoise à avoir enduré effectivement l’expérience de la faim, la vie des sans-abri, les travaux épuisants mal payés, et bien des outrages et humiliations auxquels les pauvres sont exposés. Pour des centaines de milliers de gens, la pauvreté ne signifiait pas simplement un faible niveau de revenu, ni même seulement le manque d’argent, mais un mode de vie, une manière d’exister. »[3]

A partir de ce moment, l’engagement d’Orwell envers le socialisme est total, même s’il évoluera d’une position révolutionnaire à une intégration au réformisme. Son implication n’est pas purement intellectuelle et Orwell s’engage dans les milices du POUM pendant la guerre civile espagnole. Il y est gravement blessé à la gorge et échappe de justesse à la répression communiste. Cet épisode constitue le second tournant politique. Il en tirera deux leçons, dont il oubliera vite la première. Tout d’abord « Son expérience espagnole l’a convaincu qu’il ne sert à rien d’être antifasciste si l’on n’est pas également anticapitaliste, et que l’on ne peut vaincre le fascisme sans renverser le capitalisme »[4]. D’autre part, et cela marquera définitivement sa pensée, « Ce qui le détourna des communistes, ce n’est pas leur ajournement de la révolution pendant toute la durée de la guerre mais la contre-révolution qu’ils réussirent à mener effectivement derrière les lignes républicaines »[5]. Dénoncer le Stalinisme, qu’il ne considère pas comme une dérive mais bien une suite des idées et actes de Lénine et Trotski, devient la principale ligne politique de Georges Orwell qui, avec le début de la seconde guerre mondiale, se rallie à un « patriotisme révolutionnaire » qui l’éloigne de ses positions de départ même s’il continue à avoir des relations avec la gauche révolutionnaire, principalement via la fourniture de textes pour des revues américaines d’obédiences trotskistes.

Orwell ne peut donc être réduit à son anticommunisme. «(Il) est parfaitement conscient de la menace que le contrôle capitaliste des médias fait peser sur la liberté intellectuelle, mais elle est pour lui secondaire par rapport au danger que fait peser la tentation totalitaire. Sa priorité absolue, c’est de faire barrage à ce qu’il appelle « les effets délétères du mythe russe sur la vie intellectuelle anglaise ». Ce choix illustre, à bien des égards, son attitude politique des années 1945-1950 »[6]. Il illustre aussi à notre avis la plus grande erreur d’appréciation d’Orwell car, plus d’un demi-siècle plus tard, il faut bien constater que Big Brother devient de plus en plus une réalité grâce à la victoire du capitalisme.

Notes

[1] John Newsinger, La politique selon Orwell. Préface de Jean-Jacques Rosat, Marseille, Agone, 2006, XXVI-332 p. 24 €
[2] p.235
[3] p.47
[4] p.108. Sur ce constat que nous partageons concernant la lutte contre l’extrême droite aujourd’hui, voir notre article Lutter contre les dérives du capitalisme, une solution à l’extrême droite ? in Espace de libertés n°345 de septembre 2006, p.26.
[5] pp.91-92
[6] p.248

dimanche 9 septembre 2007

Hommage à Marcel Baiwir (1917-2007)

Marcel Baiwir, né en octobre 1917 (tout un symbole), est décédé le 17 juillet 2007. Il avait publié en 2005 son autobiographie, téléchargeable en format PDF.
Membre d’une famille de sept enfants dont sa maman devait s’occuper toute seule, il du travailler très tôt à Cockerill. La personnalité de sa mère qui était une militante communiste de la première heure le marqua profondément. Il rejoint les jeunesses communistes en 1932 à l’occasion de la grande grève des mineurs. En 1936, à l’âge de 19 ans, Marcel Baiwir lâche tout pour s’engager dans les Brigades Internationales et part lutter contre le coup d’Etat franquiste en Espagne. Il était un des derniers survivants de cette épopée. De retour en Belgique, il enchaîne quasi immédiatement avec la résistance à l’occupant allemand. D’abord via la grève des 100.000 puis, après avoir échappé de justesse à l’arrestation lors de l’opération Sonnewende, dans la clandestinité à Bruxelles. Il sera finalement arrêté en juin 1943, torturé et déporté dans les camps de concentration. Après la guerre, sa militance sera double : au Parti Communiste et à la FGTB. C’est au sein de la délégation syndicale de la FGTB de Cockerill, dont il sera le vice-président, qu’il jouera un rôle important. Ayant pour ligne de conduite qu’un délégué doit toujours être devant les travailleurs et non derrière, Marcel Baiwir est aussi au centre d’un des grands débats historiques de la gauche anticapitaliste belge, et plus particulièrement liégeoise : l’affaire des 7 de Cockerill. Pour faire bref, il s’agit d’une grève liée au pouvoir d’achat des ouvriers de Cockerill. Jugée inopportune par la direction syndicale, elle sera cassée et les sept principaux leaders de la grève qui ne voulurent pas rentrer dans le rang furent exclus du syndicat et licenciés. Marcel Baiwir, communiste, appliqua les décisions de la direction syndicale contre Louis Goire et six autres délégués. Mais ce qui fait le piment de cet épisode est que Goire était membre de la Quatrième internationale trotskyste (aujourd’hui la LCR) et que celle-ci mobilisera autour des sept délégués exclus.

En juin 2007, Marcel Baiwir fut le plus vieux candidat à se présenter aux élections, sur les listes du Parti Communiste. Si Marcel Baiwir fut toujours fidèle à ce parti, il était aussi un partisan de l’unité entre Communistes ce qui explique ses nombreuses discussions à la fin de sa vie avec le Parti du travail de Belgique. Ce dernier attribue à ces échanges une part non négligeable dans son évolution vers moins de sectarisme.

L’hommage qui lui a été rendu le vendredi 7 septembre à la fédération des métallurgistes de Liège-Luxembourg fut un beau succès. Pas loin de 100 personnes étaient présentes à 19h00 pour entendre les différentes prises de parole et prendre le verre de l’amitié.

Francis Gomez (président des métallos liégeois) a beaucoup insisté sur ce qu’il considère comme des erreurs historiques du syndicat, à savoir l’exclusion de Julien Lahaut (voir article du 13.08.07 sur ce même blog) mais aussi la « motion Mertens » qui, en 1924, excluait les communistes de l’organisation syndicale. Gomez a enchaîné sur l’importance de l’indépendance syndicale, mais aussi sur la nécessité pour tous les militants d’avoir un socle idéologique. Et celui-ci ne peut qu’être marxiste. Ne peut que se baser sur la reconnaissance de la validité et de l’actualité de la lutte des classes. Il a terminé son intervention sur le fait que les métallos se sentaient de plus en plus seul sur un tel positionnement.

Cayetano Carbonero (Club Frederico Garcia Lorca) a insisté sur la dimension Internationaliste des Brigades Internationales et de la lutte contre le fascisme.

Marcel Bergen (président de la fédération liégeoise du PC) a essentiellement retracé le parcours de Marcel Baiwir en insistant sur la lutte continuelle nécessaire au maintient, voir à l’approfondissement, des conquêtes sociales. A noter que Bergen, comme beaucoup trop de militants aujourd’hui, a parlé « d’acquis » sociaux ce qui me semble illustratif de la question fondamentale de la reconquête idéologique nécessaire aujourd’hui (voir le texte que j’ai cosigné au sein du Ressort)

Après ces trois interventions prévues, la parole a été donnée à la salle. Quatre personnes en ont profitées.

Nadia Moscufo (conseillère communale du PTB à Herstal) a insisté sur le besoin d’unité entre communiste.

André Beauvois (ancien secrétaire de la CGSP de Liège) a rebondi sur l’importance de redonner une formation idéologique aux militants.

Johnny Coopman (PTB) est revenu sur l’importance de l’unité et sur le rôle fondamentale que des militants comme Marcel Baiwir, qui n’ont pas forcément collectionné les titres et les mandats, jouent dans le cadre de l’histoire du mouvement ouvrier.

Pierre Beauvois (ancien président du PC) a plaidé pour l’unité des travailleurs en Belgique et a insisté sur l’importance des expériences qui se déroulent aujourd’hui en Amérique Latine où, par exemple, on nationalise les énergies alors qu’en Europe on nous présente leur privatisation comme inéluctable.

Pour terminer ce texte, je donnerai mon image de Marcel Baiwir que j’ai un peu connu sur la fin de sa vie. Je l’avais notamment aidé, avec l’IHOES, à illustrer son ouvrage autobiographique et à retrouver l’une ou l’autre informations. Bien que quasi-aveugle, il continuait à militer et je me rappelle l’avoir encore croisé au 1er mai 2007 de la Place St-Paul où il était venu écouter les discours du meeting du PC. Marcel Baiwir, c’est aussi pour moi ce vieux militants qui lors du débat sur la constitution européenne organisé à la FGTB avait montré brillamment combien il était inadmissible pour des socialistes d’envisager de signer un tel traité. Son analyse montrait qu’il continuait à s’intéresser et à disséquer les grands débats qui allaient déterminer notre avenir, et ce à plus de 80 ans. Voilà ce que j’appelle un militant. Voilà le type de personnage qui fait trop souvent défaut.