mercredi 19 septembre 2007

Anticommuniste par socialisme :

Cet article a été publié dans Espace de libertés n°356 de septembre 2007, p.25

L’œuvre de Georges Orwell est bien plus complexe que l’image anticommuniste donnée par ses deux derniers ouvrages, qui sont aussi les plus connus, La ferme des animaux et surtout 1984. C’est ce que démontre une biographie enfin publiée en français[1]. Le livre replace l’ensemble des écrits d’Orwell dans leurs contextes et a la bonne idée d’être complété par un glossaire, mais aussi de distinguer les notes explicatives – mises en bas de pages – des notes justificatives renvoyées en fin de volume.

Comme le souligne bien Newsinger, « Le problème est que la tentative d’Orwell pour briser le mythe soviétique a échoué. L’une des conséquences de cet échec a été la récupération de La ferme des animaux et de 1984 par la droite. L’opposition très ferme d’Orwell, en tant que socialiste, à la dictature communiste et à ses thuriféraires n’en demeure pas moins un exemple d’honnêteté intellectuelle et de courage politique »[2]. Cet état de fait ne peut se comprendre qu’en étudiant la vie d’Orwell et son évolution politique. De son vrai nom Eric Blair, Orwell est né en 1903 au Bengale dans une famille de fonctionnaires coloniaux et reçoit une éducation typique de la classe aisée anglaise. A la fin de ses études il devient policier en Birmanie à une époque où les premières initiatives de libération nationale se déroulent. Les cinq années qu’il y passe créent la première rupture dans sa vie et l’amènent au socialisme. Son premier ouvrage, Une histoire Birmane, est d’ailleurs une charge dénonçant l’impérialisme. Désirant rompre avec son milieu d’origine, Orwell s’immerge dans le monde ouvrier dont il tire son deuxième livre, Dans la dèche à Paris et à Londres. « Dans ce texte, Orwell aborde, avec une intensité extraordinaire, l’expérience de la pauvreté, et ses effets sur l’individu et sur la mentalité des pauvres. Il est quasiment le seul écrivain de gauche d’origine bourgeoise à avoir enduré effectivement l’expérience de la faim, la vie des sans-abri, les travaux épuisants mal payés, et bien des outrages et humiliations auxquels les pauvres sont exposés. Pour des centaines de milliers de gens, la pauvreté ne signifiait pas simplement un faible niveau de revenu, ni même seulement le manque d’argent, mais un mode de vie, une manière d’exister. »[3]

A partir de ce moment, l’engagement d’Orwell envers le socialisme est total, même s’il évoluera d’une position révolutionnaire à une intégration au réformisme. Son implication n’est pas purement intellectuelle et Orwell s’engage dans les milices du POUM pendant la guerre civile espagnole. Il y est gravement blessé à la gorge et échappe de justesse à la répression communiste. Cet épisode constitue le second tournant politique. Il en tirera deux leçons, dont il oubliera vite la première. Tout d’abord « Son expérience espagnole l’a convaincu qu’il ne sert à rien d’être antifasciste si l’on n’est pas également anticapitaliste, et que l’on ne peut vaincre le fascisme sans renverser le capitalisme »[4]. D’autre part, et cela marquera définitivement sa pensée, « Ce qui le détourna des communistes, ce n’est pas leur ajournement de la révolution pendant toute la durée de la guerre mais la contre-révolution qu’ils réussirent à mener effectivement derrière les lignes républicaines »[5]. Dénoncer le Stalinisme, qu’il ne considère pas comme une dérive mais bien une suite des idées et actes de Lénine et Trotski, devient la principale ligne politique de Georges Orwell qui, avec le début de la seconde guerre mondiale, se rallie à un « patriotisme révolutionnaire » qui l’éloigne de ses positions de départ même s’il continue à avoir des relations avec la gauche révolutionnaire, principalement via la fourniture de textes pour des revues américaines d’obédiences trotskistes.

Orwell ne peut donc être réduit à son anticommunisme. «(Il) est parfaitement conscient de la menace que le contrôle capitaliste des médias fait peser sur la liberté intellectuelle, mais elle est pour lui secondaire par rapport au danger que fait peser la tentation totalitaire. Sa priorité absolue, c’est de faire barrage à ce qu’il appelle « les effets délétères du mythe russe sur la vie intellectuelle anglaise ». Ce choix illustre, à bien des égards, son attitude politique des années 1945-1950 »[6]. Il illustre aussi à notre avis la plus grande erreur d’appréciation d’Orwell car, plus d’un demi-siècle plus tard, il faut bien constater que Big Brother devient de plus en plus une réalité grâce à la victoire du capitalisme.

Notes

[1] John Newsinger, La politique selon Orwell. Préface de Jean-Jacques Rosat, Marseille, Agone, 2006, XXVI-332 p. 24 €
[2] p.235
[3] p.47
[4] p.108. Sur ce constat que nous partageons concernant la lutte contre l’extrême droite aujourd’hui, voir notre article Lutter contre les dérives du capitalisme, une solution à l’extrême droite ? in Espace de libertés n°345 de septembre 2006, p.26.
[5] pp.91-92
[6] p.248

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