lundi 24 décembre 2007

Etre de gauche pour refuser la marche actuelle du monde


Je suis le signataire d'une carte blanche parue dans La Libre Belgique le mercredi 19 décembre 2007, p.27 sous le titre Etre de gauche au XXIe siècle, c'est... et dont vous pourrez lire ci-dessous le texte intégral. Des signataires s'ajoutent depuis sur le site du collectif A Contre Courant.


A l’attention de celles et ceux qui pensent que le clivage gauche-droite est dépassé. A l’attention des modérés, des centristes dissimulés et des progressistes autoproclamés. A l’attention de ceux qui se réclament de la gauche sans jamais dans leur actes ni dans la politique qu’ils mènent justifier cette qualité. A l’attention de Ségolène et de Nicolas, de Joëlle et de Jean-Michel, d’Elio et de Johan. Voici quelques lignes pour dire qu’être de gauche au XXIe siècle, dans son idéologie comme dans sa pratique, cela a du sens, que cela est moderne et que surtout cela est vital.

Une tendance lourde

Un peu partout fleurissent les discours déclarant que le clivage gauche-droite est dépassé.

Il est des écologistes pour penser que la dimension environnementale de l’alternative transcende ce clivage, des sociaux démocrates tellement rôdés à appliquer des politiques néolibérales qu’ils en viennent à parler de troisième voie. Ce discours est pour eux l’occasion de ne pas nommer une conversion aux logiques droitières.

Ce discours est tenu également par des gens de droite (voir de l’extrême droite) qui sèment le trouble comme Jean-Marie Le Pen citant Gramsci ou Nicolas Sarkozy invoquant des penseurs de gauche ou faisant lire le militant communiste Guy Môquet. La vérité est qu’ils exhument de façon sélective des bribes dénaturées de leur pensée. Mais leur objectif -brouiller les pistes- fonctionne plutôt bien.

La tristement immuable raison d’être de la gauche, ou quand le pessimisme de la raison rencontre l’optimisme de la volonté…

Les mots ont sans doute vieilli et la terminologie a été souvent dénaturée, pourtant, même au cœur de nos riches sociétés, il y a encore et toujours des inégalités, des exploiteurs et des exploités. La lutte des classes existe, même si les formes de la lutte et les caractéristiques des classes ont changé. C’est une réalité immuable, jamais dépassée jusqu’ici, qui donne sens à la notion de gauche et justifie à elle seule son combat.

Ce clivage à l’intérieur de chaque société, existe également entre les pays riches et ceux qui le sont moins ou pas. Il convient dès lors de refuser les nationalismes, d’être internationaliste et de cultiver, ici et partout, la fraternité. Comme l’écrit Raoul Marc Jennar, « Jamais plus qu’aujourd’hui n’a été pertinent l’appel aux prolétaires de tous les pays à s’unir, même si la définition du prolétariat a quelque peu changé. ». C’est pourquoi il demeure essentiel de ressentir qu’aujourd’hui encore, ceux qui ne possèdent que leur force de travail, physique et/ou intellectuelle, n’ont d’autre patrie que leur propre condition.

Concrètement au XXIe siècle, être de gauche c’est …

Etre de gauche recoupe une palette de positionnements en vue de contrer les inégalités et de protéger celles et ceux que le système exploite, exclut et précarise. On peut dire d’une politique qu’elle est de gauche lorsqu’elle œuvre concrètement à diminuer l’écart entre les plus pauvres et les plus riches ce qui nécessite une opposition franche à la logique de l’économie de marché libre et non faussée.

Etre de gauche c’est viser d’abord à la disparition des inégalités sociales qui explosent aujourd’hui entre sociétés et dans les sociétés. Il ne s’agit pas d’imposer une égalité « uniformisante », de nier les spécificités ou l’aspiration à des particularismes – qui peuvent nourrir l’individu et enrichir la société - mais bien de mettre fin à l’inégalité d’accès à toute une série de biens essentiels à la survie, au bien-être et à l’épanouissement (logement, soins, nourriture, culture, loisirs,…). « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins », selon la célèbre formule des révolutionnaires du XIXème siècle, popularisée par K. Marx . Concrètement, être de gauche, c’est dès lors abroger fermement les lois iniques récemment imposées un peu partout à travers la planète et qui approfondissent les inégalités sociales. Elles concernent notamment le droit du travail et les retraites, la fiscalité, les politiques migratoires ou encore l’accès aux soins de santé.

Etre de gauche , c’est vouloir au minimum rééquilibrer la distribution des richesses entre le capital et le travail. En Belgique comme dans de nombreux pays, la part du capital, par rapport à celle des salaires, ne cesse de croitre dans le PIB sans qu’aucun gouvernement étiqueté « à gauche » ou « centre-gauche » ne stoppe cette logique. Dans le même temps, les politiques menées font baisser la part du capital dans les recettes de l’Etat.

Etre de gauche , c’est toujours privilégier l’intérêt collectif à l’intérêt particulier et en cela c’est définitivement reconnaître le nécessaire rôle de l’Etat ou d’une forme d’organisation collective à grande échelle, garant des droits et libertés, redistributeur, régulateur et planificateur essentiel au bénéfice de l’intérêt collectif face à la puissance économique. Via l’Etat, il s’agit dès lors soit de réguler le marché (actuellement outil de la logique capitaliste), soit de le circonscrire et de l’exclure de certains secteurs économiques (eau, énergie, transport,…), soit encore de purement et simplement viser à sa disparition. Par Etat, nous entendons ici un outil au service des décisions collectives avec des fonctions administratives, économiques, législatives et exécutives et non l’Etat en tant que force armée servant à la défense de privilèges et à la restriction de la sphère démocratique. Tout en maintenant une volonté d’équité sociale et écologique globale, cette logique inclut également la possibilité – et même la nécessité - d’initiatives locales, d’une grande décentralisation dans le fonctionnement et la gestion des outils publics, d’une autogestion des processus de production, et ce en vue de répondre au plus près aux besoins et réalités.

Etre de gauche , c’est ne pas marchander la solidarité au prix d’une liberté sans limite. Cela signifie-t-il que l’on veut brider la liberté individuelle ? Au contraire. Il s’agit toutefois de constater que la liberté individuelle pour s’épanouir et se généraliser réclame un contexte dans lequel la solidarité et l’intérêt collectif ne sont pas mis en péril. C’est pourquoi il faut d’abord s’assurer que les choix puissent se prendre après un juste débat d’idées, entre tous les citoyens et dans le cadre d’un objectif de solidarité, ce qui est aujourd’hui un leurre absolu. Il est clair, pour expliquer cela de façon imagée, que les renards et leurs amis qui se présentent aujourd’hui en défenseurs de la liberté nous prennent à vrai dire pour de la volaille écervelée car ils savent pertinemment que, vu le rapport de force actuel, nous ne sommes, le plus souvent, pas en mesure d’exercer celle-ci. Ils sèment également le doute car la liberté qu’ils réclament est avant tout celle du pouvoir économique vis-à-vis d’une tutelle démocratique et non celle des citoyens. D’ailleurs, la plupart des gouvernants « libéraux » - mais aussi sociaux-démocrates - attaquent parallèlement certaines libertés collectives (droit de grève, droit à la lutte sociale, droit des migrants,…). Un arsenal de lois liberticides est mis en place.

Etre de gauche , c’est étendre aussi aux générations futures la notion de solidarité. En cela, c’est se déclarer fondamentalement opposé à la logique productiviste actuelle qui menace lourdement les générations à venir en épuisant les ressources et en polluant la biosphère. Il faut stopper la prépondérance de la logique économique sur les considérations sociales et environnementales.

Etre de gauche , c’est prôner un Etat laïc et républicain par opposition à toute réflexion corporatiste privilégiant les droits associés à l’identification et à la classification des individus par leur appartenance. Il est ahurissant de voir des personnes se réclamant de la gauche défendre le régime archaïque de privilèges basé sur le sang que constitue la monarchie. La monarchie est une injure à la démocratie et à la modernité.

Etre de gauche , c’est revendiquer l’absolue égalité de droit entre les humains quelles que soient leurs origines, leurs appartenances sexuelles, leurs croyances et leurs coutumes, dans les limites de la loi républicaine et laïque. C’est ne pas revendiquer un mode de vie plutôt qu’un autre, c’est accepter et proclamer l’égalité de droit sans tenir compte des différences apparentes. Le nationalisme s’est aujourd’hui immiscé au cœur même de la social-démocratie. Il en va de même d’une certaine forme de racisme bon-teint.

Etre de gauche , c’est lutter contre l’uniformisation des médias instaurée par des intérêts privés brisant le débat démocratique et aboutissant à une manipulation destinée au pouvoir de quelques uns. C’est promouvoir les médias publics pluralistes et en exclure la publicité. C’est proposer une protection plus grande et spécifique des journalistes les rendant idéologiquement indépendant vis-à-vis des propriétaires des médias. L’actuelle concentration médiatique et la mainmise de grands patrons sur les médias constituent une grave menace pour la démocratie.

Etre de gauche c’est défendre un enseignement public de qualité, correctement financé et préservé de la sphère privée. C’est opter pour un enseignement qui forme des citoyens critiques et autonomes.

Etre de gauche , c’est privilégier le débat d’idées à la politique de l’image et aux coups de force médiatiques qui nivellent vers le bas et rendent la pratique politique lointaine et confuse, créant les conditions d’une démocratie privée de fond et mise en danger plutôt qu’une démarche d’élaboration collective et d’éducation permanente. Relayé par un clientélisme qui s’installe, le marketing politique prend aujourd’hui le pas sur tout débat d’idées ce qui ne peut que détruire à terme les aspirations de gauche.

Pour conclure

Comme souvent, il n’est pas inutile de replonger dans les classiques pour éclairer le présent. En 1848, Marx et Engels écrivaient ceci dans le Manifeste : « la bourgeoisie (…) ne laisse subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme que le froid intérêt (…). Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés si chèrement conquises l’unique et impitoyable liberté du commerce. ».

Il n’est pas une virgule qui mérite d’être changée dans cette analyse. On aimerait dès lors que celles et ceux qui se réclament de la gauche tendent vers ces objectifs et que celles et ceux qui y ont renoncé cessent de revendiquer un qualificatif qui ne leur convient décidément plus.

Ce texte a reçu les signatures de :

- Jacques BRAIPSON (Vice-Président de la CGSP-RTBF Liège)
- Didier BRISSA (Militant éco-socialiste, UAG, ACC)
- Vladimir CALLER (Rédacteur au Drapeau Rouge, PC)
- Luc CREMER (Ancien conseiller provincial Ecolo)
- Jean CORNIL (Militant éco-socialiste, ancien sénateur PS)
- Jean-Maurice DEHOUSSE (Ancien Ministre PS, ancien Bourgmestre de Liège)
- Céline DELFORGE (Députée à la région bruxelloise, Ecolo)
- Julien DOHET (Historien, collectif Le Ressort)
- Pascal DURAND (Professeur d’Université)
- Pierre EYBEN (Militant éco-socialiste, Secr. Politique Fédération de Liège du PC)
- Guy FAYS (Secrétaire régional de la FGTB Namur)
- Marc GOBLET (Président de la FGTB Liège-Huy-Waremme)
- Nancy HARDY (Formatrice au PAC Ourthe-Amblève)
- Bahar KIMYONGUR (Militant de gauche, membre du CLEA)
- Madeleine MAIRLOT (Enseignante, ex-conseillère communale à la Ville de Liège)
- Jean-Pierre MICHIELS (Prés.de l’Association Culturelle Joseph Jacquemotte)
- Jorge PALMA (Assistant à l’ULg)
- Christine PAGNOULLE (Présidente d’ATTAC-Liège, enseignante à ULg)
- Jean-François PONTEGNIE (Membre d’Une Autre Gauche)
- Madeleine PLOUHMANS (ATTAC Liège)
- Jean-Claude RENDA (Journaliste, président interrégional wallon de la CGSP-RTBF)
- Ataulfo RIERA (Secr. de rédaction du Mensuel "La Gauche", LCR-B)
- Jean-Claude RIGA (cinéaste)
- Alfonso SECONDINI (Ancien président d’ATTAC Verviers)
- Mauro SOLDANI (Réalisateur)
- Olivier STARQUIT (Altermondialiste, collectif Le Ressort)
- Pierre STASSART (Conseiller communal et Echevin PS à la Ville de Liège)
- Annick STEVENS (Professeur de Philosophie, ULg)

Une initiative publique indispensable


Après La Libre Belgique a plusieurs reprise, c'est L'Echo qui a publié, à la dernière page de son édition du w-e du samedi 15 décembre 2007, le dernier texte que j'ai écrit dans le cadre du Mouvement Le Ressort. Les co-auteurs sont Yannick Bovy, Didier Brissa, Pierre Eyben, Christian Jonet, Michel Recloux et Olivier Starquit. Inutile de préciser que la parution dans ce journal économique nous réoujit particulièrement et répond à nos objectifs de reconquête de l'imaginaire culturel.


Au seuil du 21ème siècle, l’enjeu politique essentiel est la manière dont seront gérées la production et la distribution de l’énergie. Un rappel historique s’impose : en 1945 sont créés un Comité de contrôle pour les prix de vente et le Comité national de l’Energie (composé en tripartite patronat-syndicats -Etat) qui était chargé d’établir pour toutes les parties un projet de plan d’équipement. Tous ces organismes de régulation ont disparu avec la libéralisation ainsi que les budgets pour l’Utilisation Rationnelle de l’Energie (URE). Reste la CREG qui n’a plus qu’un pouvoir symbolique. On a donc perdu tout contrôle sur ce que font les producteurs. Les choix politiques ont supprimé le contrôle citoyen. La politique s’est elle-même mise hors-jeu.

Des initiatives solidaires ont surgi pour l’achat d’énergie et principalement la remise au goût du jour du système des coopératives via des groupements d’achats. Citons par exemple Power4you, un regroupement de citoyens, via la participation de nombreuses associations comme la Ligue des Familles ou la FGTB, visant à acheter de l’énergie verte à la société Lampiris à prix réduit. Ce critère du prix est d’ailleurs le principal argument. A contrario, le critère des conditions de travail est complètement absent dans le choix du fournisseur, malgré la présence de syndicats des travailleurs parmi les coopérateurs. D’autres initiatives ont vu le jour comme des propositions politiques visant à la création de sociétés publiques d’achat. Mais si ce consumérisme de gauche constitue certes une riposte au capitalisme sur le terrain des pratiques individuelles, il ne remet pas en cause la situation et ne constitue d’aucune manière une réforme de structure.

La libéralisation a également entraîné la fin de la péréquation tarifaire [1] alors que, nonobstant l’existence des directives européennes, « on possède des solutions pour maintenir une situation plus solidaire […] on pourrait demander aux 13 gestionnaires de distribution wallons de pratiquer un seul et même prix. On ne le fait pas » [2]

Dans le même ordre d’idées, il eût été et il serait certes préférable de disposer d’un seul gestionnaire public de distribution.

En ce qui concerne la production, principalement aux mains de deux acteurs principaux en Belgique (Electrabel et SPE, le deuxième étant un petit poucet face au premier, ce qui entraîne une situation de fait de quasi-monopole) [3], quelques initiatives et projets permettent de poser des questions pertinentes. Ainsi, face aux nombreuses demandes d’éoliennes, quelques communes envisagent de s’unir pour en installer le long de l’autoroute E40. Si aucun projet n’est encore officiellement déposé, elles ont décidé de ne pas se laisser faire face aux géants. L’idée serait de créer une intercommunale qui pourrait elle-même devenir productrice d’électricité verte. Par ailleurs, d’autres outils, certes méconnus, existent comme les programmes PALME, UREBA et EPURE qui aident techniquement et financièrement les communes soucieuses de développer l’URE [4]. Ainsi, au-delà de l’efficacité énergétique de ses bâtiments, la commune peut aussi produire de l’énergie verte, conseiller ses habitants, intervenir en tant que tiers-investisseur. Notons également qu’une dizaine de communes wallonnes ont été sélectionnées comme communes photovoltaïques pilotes [5].

Un autre modèle est celui constitué par les coopératives de production, fourniture et vente d’énergie. Ces coopératives créent ainsi un fournisseur proche des producteurs et des consommateurs tout en incitant à une utilisation rationnelle de l’énergie.

Ces pistes lèvent le tabou en Belgique du producteur public d’énergie (car rappelons que Nuon compte parmi ses actionnaires principaux la ville d’Amsterdam et des provinces hollandaises) [6] et soulignent également l’importance de la réappropriation citoyenne de la production. Elles induisent également la conclusion provisoire selon laquelle ce n’est pas en continuant la fuite en avant dans une production énergétique toujours croissante qu’on répondra aux défis actuels : il faut coupler une réduction drastique de la demande à un basculement vers un système énergétique décentralisé individuel et collectif [7] (que permettent notamment les capteurs solaires). Cette double mutation est possible mais pas sans planification, sans initiative publique et sans rupture avec le productivisme et l’inextinguible soif de profit des intérêts privés.

Notes

[1] Principe selon lequel les frais liés à la fourniture étaient mutualisés : la personne habitant loin d’une centrale électrique payait le même prix que le voisin d’une centrale.

[2] Le Drapeau rouge n°16, « Libéralisation de l’électricité, interview de Jean-Claude Galler, secrétaire fédéral CGSP Gazelco », septembre 2007

[3] La fusion annoncée entre Suez et Electrabel renforcera à terme ces monopoles privés

[4] Eric Van Poelvoorde « Une politique durable de l’énergie au niveau communal : outil pour un développement durable « revue Etopia analyse 2005/21, 17/09/2005

[5] Voir http://energie.wallonie.be/xml/doc-IDD-10575-.html

[6] Ce qui au demeurant ne l’empêche pas en Belgique d’avoir des techniques de marketing et de ventes particulièrement agressives et peu respectueuses des gens comme des travailleurs.

[7] Les communes pourraient ainsi devenir productrices : citons l’exemple de Couvin et de son parc à éoliennes