samedi 20 décembre 2008

journée nationale de mobilisation interprofessionnelle le 29 janvier 2009

Ci-dessous, un communiqué français dont les syndicats belges pourraient (devraient ?) s'inspirer. A l'heure où les composantes du mouvement ouvrier en Belgique semblent enfin se décider à reparler d'idéologie et à dire que c'est bien le système capitaliste qui doit aujourd'hui être aboli, organiser une action le même jour qu'en France (et, rêvons un peu, ailleurs en Europe) pourrait avoir un certain effet. Cela me semble d'autant moins impossible que les revendications contenues dans cet appel peuvent facilement être reprises par les syndicats belges. L'on renouerait ainsi avec une tradition internationaliste d'autant plus nécessaire au vu de la manière dont fonctionne l'Europe aujourd'hui.

APPEL DES ORGANISATIONS SYNDICALES
CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, FSU, SOLIDAIRES, UNSA.

La crise économique amplifiée par la crise financière internationale touche durement une grande partie des salariés dans leurs emplois et leurs revenus. Alors qu’ils n’en sont en rien responsables les salariés, demandeurs d’emploi et retraités, en sont les premières victimes. Elle menace l’avenir des jeunes, met à mal la cohésion sociale et les solidarités ; elle accroît les inégalités et les risques de précarité.
Surmonter cette crise implique des mesures urgentes d’une autre nature que celles prises par l’Etat et les entreprises, pour être au service de l’emploi et des rémunérations.

C’est pourquoi, les organisations syndicales (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, FO, FSU, SOLIDAIRES, UNSA) appellent les salariés du privé et du public, les chômeurs et les retraités, à une journée nationale de mobilisation interprofessionnelle le 29 janvier 2009 : elle donnera lieu dans tout le pays à des grèves et des manifestations.
Elles appellent à agir massivement et interpeller les responsables gouvernementaux, les responsables patronaux et les employeurs pour :

- défendre l’emploi privé et public,

- lutter contre la précarité et les déréglementations économiques et sociales,

- exiger des politiques de rémunérations qui assurent le maintien du pouvoir d’achat des salariés, des chômeurs et des retraités et réduisent les inégalités,

- défendre le cadre collectif et solidaire de la protection sociale,

- des services publics de qualité qui assurent en particulier tout leur rôle de réponse aux besoins sociaux et de solidarité.

Les organisations syndicales rendront publique le 5 janvier 2009, une déclaration commune développant leurs propositions et revendications.

mercredi 10 décembre 2008

La crise et la "gauche"

C'est à nouveau La Libre Belgique (bien que cette fois-ci Le Soir se soit manifesté positivement mais trop tard) qui dans son édition de ce mercredi 10 décembre 2008 en p.27 publie une nouvelle carte blanche du Ressort que je cosigne avec Yannick Bovy, Pierre Eyben, Raoul Hedebouw, Eric Jadot, Laurent Petit, Michel Recloux, Olivier Starquit, Karin Walravens. Une autre carte blanche, à découvrir ici, a rebondi sur notre texte.

Depuis plusieurs mois maintenant, la crise financière fait la une des journaux et suscite l’inquiétude de la population, et ce d’autant plus que s’aggravent ses répercussions sur ce que d’aucuns appellent l’économie réelle (1).

Paradoxalement, c’est la droite libérale qui, avec plus ou moins de cynisme et d’opportunisme, a réagi le plus rapidement dès le début de la crise bancaire en Belgique, prônant "davantage de régulation" et une intervention massive et immédiate de l’Etat. Qui aurait pu imaginer sans ricaner, avant le début de cette crise, entendre un jour ces idéologues carnassiers, croisés du libéralisme triomphant, membres éminents du VLD ou de l’"Itinera Institute", appeler à la nationalisationdes banques ?

Bien sûr, il ne s’agissait pour eux que de socialiser les pertes au plus vite, en attendant le jour béni d’une juteuse revente au privé. Mais par l’absurde, ils révélaient le silence assourdissant et pathétique dans lequel la gauche restait murée.

La gauche anticapitaliste et les altermondialistes ne parviennent toujours pas à susciter une adhésion populaire suffisante pour permettre une certaine visibilité de leurs messages de rupture nécessaire avec le capitalisme et de leurs propositions alternatives alors que pourtant une part de plus en plus importante de la population va durement subir (ou subit déjà) les conséquences de la crise financière (perte d’emploi, chômage économique, modération salariale, diminution du pouvoir d’achat,)

Le silence timoré de la gauche social-démocrate (qu’elle soit politique, mutuelliste, associative ou syndicale) n’en apparaît donc que plus évident. Bien qu’établie, institutionnelle, au pouvoir, médiatiquement et politiquement audible, elle est restée muette, comme abasourdie, amorphe, ignorant le boulevard politique qui s’offrait à elle. Quelle plus belle occasion, pourtant, que cette crise illustrant la faillite libérale, pour retrouver vigueur et combativité, et renouer avec un vrai projet de gauche, fondé sur l’égalité, la solidarité, la justice sociale? Quelle plus belle occasion de (re)mettre à l’ordre du jour la rupture avec un système qui nous mène à la catastrophe sociale, économique, environnementale?

Hélas, rien de rien, morne plaine. Foin de rupture:après qu'on eût renfloué les banques, il ne fut guère question que de "plus grande régulation du système", de fades mesures correctrices et de nécessité de se serrer les coudes, "au-delà des divergences partisanes", pour surmonter la funeste crise et "sauver le système". Même le grotesque ne nous fut pas épargné, avec l’appel du PS à un "Kyoto de la finance". L’union sacrée pour sauver le capitalisme, comme il faut sauver notre milieu naturel: lumineux parallèle et courageuse ambition pour des héritiers de l’idéal socialiste

Pourtant, on l’a dit, cette crise est plus que jamais l’occasion pour elle, et pour toute la gauche, de reprendre la main. Au-delà de l’émergence de débats critiques sur la fallacieuse "autorégulation des marchés", sur les bienfaits du libéralisme à tout crin, sur le sens de créer de la richesse (comment? pour quoi? pour qui?), ces dernières semaines ont contredit le discours tenu depuis des années selon lequel c’est l’Europe, la "mondialisation heureuse" qui décide, et que seul, un Etat ne peut rien faire.

La rapidité sidérante de certaines décisions gouvernementales récentes (2) montre que lorsque la volonté politique y est, les leviers de l’Etat sont tout sauf inefficaces et inutiles. Il est piquant de constater à cet égard que le principe d’une "concurrence libre et non-faussée" porté aux nues par le projet de Traité constitutionnel européen comme dans son clone, le Traité de Lisbonne, aura été sérieusement malmené Plus de 20 milliards d’euros pour sauver le secteur bancaire, rien qu'en Belgique, c’est une sacrée entorse au catéchisme de la concurrence, pourtant avalisée sans broncher par la Commission européenne

Contredisant la doxa libérale, la puissance publique, l’Etat, semble reprendre sa configuration d'antan. La question est: pour faire quoi? A tous les progressistes, à la gauche, de se saisir de cette question et de revenir au centre du débat politique. Citons ici, en vrac, quelques pistes d’action ni spécialement originales, ni outrageusement révolutionnaires, mais susceptibles de contribuer à une véritable transformation de la société, avec l’intérêt général comme lanterne:

- Création d'une banque publique centrée sur son métier de base. L'exemple de la Kiwibank Néo-Zélandaise créée en 2002, qui connaît un succès populaire impressionnant et reste totalement épargnée par la crise actuelle car n'ayant pas misé sur le marché spéculatif mondial, démontre que c'est possible - et grandement nécessaire.

- Fin des mesures, notamment fiscales, de promotion des pensions par capitalisation, qui alimentent les fonds de pension jouant un rôle central dans la spéculation responsable de la crise. Et renforcement des pensions par répartition.

- Fin des mesures de "consolidation stratégique" ou "d'adaptation à la concurrence" qui ne sont dans les faits que des privatisations et donc des destructions du service public. La crise est l'occasion de tirer le frein à main et de procéder à des reprises de contrôle public (3). Les exemples du secteur de l'énergie, qui voit les prix exploser, ou de la poste, nous semblent ici particulièrement emblématiques.

- Remise en cause de la croissance du PIB comme objectif économique et politique. Intervention de l’Etat pour une affectation prioritaire des facteurs de production vers la satisfaction des besoins fondamentaux de la population, les investissements durables apportant une plus value sociale et environnementale (isolation des logements, énergies renouvelables, transports en commun, infrastructures adaptées pour les personnes handicapées, crèches, aide aux personnes âgées,).

- Augmenter la fiscalité sur les revenus du capital (qui est injustement basse par rapport à la fiscalité sur les revenus du travail), ce qui permettrait une diminution de la fiscalité indirecte.

- Sur le plan international, outre l'abolition inconditionnelle de la dette du Tiers-Monde, la suppression des paradis fiscaux et la création d’une taxe de type Tobin-Spahn sur les transactions financières, il s'agit de réformer en profondeur, voire de supprimer (pour les remplacer par d'autres, démocratiques et axés sur la solidarité internationale et la coopération plutôt que sur la perpétuation de règles économiques iniques) les institutions internationales comme le FMI, la Banque mondiale ou l'OMC, et de renforcer, a contrario, des organismes comme l'OIT, en le dotant notamment d’un pouvoir de coercition.

Toutes ces propositions ne sont certes pas faciles à mettre en œuvre. Mais elles n’en sont pas pour autant irréalisables, loin s’en faut. S’il n’en fallait qu’une preuve: depuis quelques années déjà, certains pays d’Amérique du Sud bouillonnent à des degrés divers. D’innombrables utopies sont devenues réalités concrètes pour des populations entières. Reprise de contrôle par les peuples de leurs ressources naturelles, nationalisations, programmes ambitieux concernant la santé, l’éducation, l’environnement, création d’une Banque du Sud, etc.

Ces propositions nécessiteront des mesures à court terme fondées sur une volonté d’agir dans le long terme, pour transformer radicalement et durablement un système économique qui a suffisamment démontré son incapacité à produire du bien être pour tous. Elles requièrent également d’établir une dialectique entre un changement de la société par la consommation et par la production, afin de ne pas reproduire les impasses productivistes.

Elles nécessitent en outre un travail fondamental d’éducation populaire évitant les discours moralisateurs tout autant que les discours poujadistes. Un travail qui permette à chacun de se forger les outils pour interroger le monde et le transformer. Il faut changer d’urgence l’eau du bain culturel dans lequel nous baignons depuis si longtemps qu’on en a oublié que d’autres façons de nager ensemble sont possibles.

Elles réclament enfin, de la part des responsables et des acteurs politiques qui se disent de gauche, le courage et la volonté non seulement de changer leur discours mais également de passer de la parole aux actes.

(1) Le problème est que l’économie spéculative est aujourd’hui si intimement liée à l’économie réelle qu’il est devenu quasiment impossible de les dissocier

(2) 48h pour sauver Fortis des années pour ne pas sauver les précaires, les chômeurs, les salaires, les pensions, les sans-logis, les sans-papiers

(3) Voir l'exemple de la Norvège: www.france-alter.info/sarkofree.htm

samedi 6 décembre 2008

La fabrique du terrorisme

Ce vendredi 05 décembre 2008, Le Soir a publié cette carte blanche dont je fais partie des signataires

Le 11 novembre dernier en France, une vaste opération de police conduisait à l’inculpation de neuf personnes suspectées de terrorisme. L’opération ciblait une « nébuleuse anarcho-autonome » qui serait à l’origine de sabotages de caténaires provoquant des retards sur le réseau TGV. Les inculpés encourent jusqu’à vingt années de prison.

La destruction de caténaires est un délit de droit commun. Il est admis par ailleurs que les sabotages en question ne pouvaient causer le moindre dommage physique. En conséquence, leurs auteurs s’exposeraient, au pire, à une inculpation pour « dégradation en réunion ». Mais, depuis quelque temps déjà, les Etats européens se dotent de législations anti-terroristes qui leur permettent de requalifier ce type de faits. Les présumés saboteurs sont ainsi poursuivis pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».

« Association de malfaiteurs », voilà ce qui nous a été donné à voir et à entendre, à savoir, la construction pièce par pièce d’une organisation criminelle, avec son « cerveau » guidant « ses troupes » au combat, avec des liens et des opérations à l’étranger, sa méfiance envers les téléphones portables et sa participation à la vie d’un village masquant des activités inavouables. La constitution d’un tel environnement a permis de hausser la mise hors service de caténaires au sommet de l’échelle de la criminalité, puisqu’elle serait « en relation avec une entreprise terroriste ».

Qu’entend-on par terrorisme ? L’usage de ce mot est fluctuant. Il peut prêter à des assignations aussi variables que le statut officiel réservé aux maquisards avant et après la Libération. Dans son sens le plus général, il désigne des actions visant à provoquer la terreur dans la population. Peut-on y assimiler des dégradations de matériel de la SNCF causant des retards de trains ? Selon le gouvernement français, oui. Et c’est cette assimilation qui justifie d’appliquer aux présumés saboteurs un régime judiciaire plus sévère que celui qu’on réserverait à des braqueurs de fourgons.

Dès l’instant où la qualification de terrorisme est énoncée, les inculpés sont soumis à une législation qui déroge de fait au droit pénal ordinaire et aux principes à la base d’un Etat de droit. Ce type de législation crée une discontinuité dans le traitement judiciaire de faits rigoureusement identiques. Cette justice d’exception se traduit concrètement, en France, par la création d’un parquet et d’une brigade anti-terroristes, par des peines doublées, par une garde à vue pouvant durer jusqu’à six jours, ou encore par l’instauration d’une Cour spéciale d’assises sans jury populaire. En Belgique, ces glissements au sein du droit pénal existent également, et sont loin de se limiter à l’utilisation des fameuses « méthodes particulières d’enquête ». Pour avoir traduit un communiqué d’une organisation clandestine turque, Bahar Kimyongür a été condamné à 5 années de prison, tandis que Bertrand Sassoye subissait cet été presque deux mois de détention pour ses liens supposés avec le « Parti communiste politico-militaire » d’Italie.

La seconde mutation qu’introduit ce droit tient au fait qu’on n’y réprime plus seulement des actes mais aussi les simples intentions prêtées à des personnes, en vertu des menaces potentielles qu’elles représenteraient pour la sécurité publique. Le groupe ciblé est ainsi présenté comme « potentiellement dangereux », le procureur allant jusqu’à leur prêter l’intention de projeter « des actions plus violentes contre des personnes » ; toutefois, nuance-t-il, « cet élément n’est pas encore solidifié »…

Un autre trait constitutif de l’action terroriste tient à ce que celle-ci vise à déstabiliser l’Etat. Le terrorisme est un acte criminel dont la particularité tient à sa finalité politique. La ministre de l’Intérieur a ainsi expliqué que les saboteurs « ont voulu s’attaquer à la SNCF, car c’est un symbole de l’Etat ». Pour pouvoir parler de terrorisme, il faut montrer qu’il y a menace d’attentats ou volonté de s’en prendre à l’Etat. Ce qu’ont fait respectivement le procureur et la ministre.

L’intention terroriste fait le terroriste. Mais comment évaluer la nature d’une intention, à plus forte raison en l’absence de toute revendication comme c’est le cas ici ? Par exemple, en prêtant au groupe des « discours très radicaux » et en exhibant des extraits d’un livre, L’insurrection qui vient. Mieux, on ressort leur participation à différentes luttes politiques, qu’on présente comme une machination s’autorisant n’importe quelle forme de violence, ne respectant rien ni personne.

Assurément, ce n’est pas la gravité des actes qui est visée ici. Ce qui justifie l’interprétation catégorique et la répression anormalement sévère des actes incriminés, ce sont des idées, des idées jugées inadmissibles, et tenues pour criminogènes. C’est aussi une appartenance politique et le recours à des moyens illégaux, dont la légitimité va pourtant de soi dans la plupart des conflits sociaux.

Ces législations d’exception, approuvées avec une étrange insouciance par nos parlementaires, s’appuient toutes sur un terme, « terrorisme », dont l’utilisation passe inévitablement par une appréciation subjective qui prête à l’amalgame et à l’arbitraire. Tolérer l’existence de ces législations anti-terroristes constitue une menace perpétuelle pour toutes les formes de pensée ou d’action politiques et sociales considérées comme non-conformes. Les inculpés de Tarnac aujourd’hui, et demain, à qui le tour ?

jeudi 4 décembre 2008

Délégation syndicale

Ce jeudi 6 novembre avaient lieues les élections destinées à renouveler la délégation syndicale au sein du CAL. Dans le prolongement de mon élection comme délégué effectif au Conseil d'Entreprise, j'étais à nouveau candidat. Et le résultat des votes m'a très agréablement surpris puisque sur 40 votants j'ai fait le meilleur score avec 31 voix.
Cette élection constitue donc une nouvelle étape, avec mon élection le 2 décembre comme suppléant au comité exécutif du Setca de Liège, dans mon implication syndicale.

vendredi 7 novembre 2008

La RTBF, comme tout le service public, doit être détruite !


Cet article a été publié dans le n° 369 de la revue Espace de libertés du mois de novembre 2008, p.32.

Deux ans après son ouvrage La RTBF est aussi la nôtre, Bernard Hennebert récidive avec un livre salutaire dans les perspectives démocratiques qu’il aborde mais au titre bien plus alarmiste : Il faut sauver la RTBF[1].

Un des points importants que Hennebert aborde est que la RTBF étant une chaine de service public, elle se doit de proposer une offre différente et non de courir derrière les chaînes du privé. Une des questions centrales est ici la publicité. Celle-ci, qu’il trouve déjà trop présente, est réclamée de manière ferme par les dirigeants de la RTBF afin d’augmenter leur recette, nécessité selon eux pour faire face à la concurrence. Mais Hennebert de s’interroger : « Emettons l’hypothèse qu’on découvrira alors que bien des budgets pour mener à bien ces objectifs spécifiques au service public sont souvent moins importants que ceux nécessités par l’acquisition ou à la production de coûteux programmes auxquels sont si sensibles les annonceurs »[2]. La publicité n’est pas la seule source de questionnement. Il en va de même de l’absence d’un réel agenda culturel, d’une émission d’éducation au média qui ne serait pas une vaste hypocrisie (soulignant au passage que Screen et Zoom arrière sont considérés par la RTBF comme relevant de cette catégorie), de la présence de la violence, de la signalétique…

« Bien entendu, les revendications ne doivent pas se limiter au cas de la RTBF. Les partis devraient être interpellés également, par exemple, sur le statut de RTL TVI, Club RTL et Plug TV qui tentent de faire croire qu’ils ont émigré au Grand-Duché du Luxembourg et qui nient que le droit de la Communauté française leur soit applicable, ce qui mène à plus de laxisme dans l’application des règles qui régissent la présence publicitaire, la diffusion d’images de violence gratuite, etc. »[3] Cependant, la RTBF étant un service public et devant renégocier son contrat de gestion, c’est sur cette dernière qu’il centre sa critique, insistant sur le rôle que les citoyens ont à jouer dans un débat qui concerne de manière plus large la démocratie : « Il n’y a pas que les distinctions entre réalité et fiction, ou direct et différé, qu’il importe de souligner, il reste beaucoup de pain sur la planche. Sans la pression des usagers, il est à craindre qu’on en restera là. Les prochains chapitres de ce livre vont tenter d’indiquer au lecteur comment il peut s’impliquer concrètement dans une évolution humaniste de notre paysage audiovisuel ».[4] Le livre de Bernard Hennebert a alors ce grand intérêt de décortiquer les différents moyens d’actions que chacun d’entre nous a pour intervenir et de ne pas en minimiser l’intérêt ni la portée car « Il n’est pas rare que certaines obligations ne commencent à être appliquées qu’à partir du moment où un usager découvre qu’elles ne sont pas encore prises en compte par le diffuseur et le signifie au CSA. Au plus des plaintes judicieuses et justifiées seront déposées, au plus la RTBF hésitera à ne pas appliquer telle ou telle règle sachant qu’une sanction pourrait constituer pour elle un manque à gagner financier. Il ne s’agit donc pas de jouer simplement au gendarme et au voleur, mais bien d’être solidaire d’un travail préventif pour que la RTBF soit davantage au service du public »[5].

Service public, le terme a souvent été utilisé dans ce texte. C’est qu’il est une des composantes qui nous paraît indispensable au fonctionnement démocratique d’une société par les services qu’il offre à l’ensemble de la population. Or comme le dit fort justement Marc Moulin à la fin de sa préface, « La RTBF, comme presque tous les services publics, est victime d’une libéralisation mal comprise et mal conçue. Aujourd’hui, on aperçoit enfin comment l’argent fait main basse sur les dernières sources de richesses qui ne lui appartenait pas encore (postes, chemins de fer, énergie, eau, etc…). La privatisation des services publics fonctionne sur le mode du pillage. »[6].

C’est ce pillage que fort à propos Jacques Moden étudie en détail dans une brique qui deviendra, nous prenons les paris, une référence[7]. Il y retrace les trois vagues de privatisation qui ont marqué la Belgique, l’année 1991 apparaissant ici comme un tournant. Outre une description précise des mécanismes, montrant bien la cohérence entre une idéologie capitaliste triomphante, une construction européenne réalisée pour servir celle-ci et un politique dont l’imaginaire culturel est totalement acquis à la logique de marché, le livre comprend des bilans chiffrés des privatisations ainsi que des fiches morphologiques d’un grand nombre d’ « entreprise publique ».

Notes

[1] Hennebert, Bernard, Il faut sauver la RTBF, Bruxelles, Couleur livres, 2008, 144p

[2] P.52.

[3] P.136

[4] P.102

[5] P.120

[6] P.12.

[7] Moden, Jacques, Les privatisations en Belgique. Les mutations des entreprises publiques 1988-2008. Bruxelles, CRISP, 2008, 367 p.

lundi 3 novembre 2008

Abolir le capitalisme: une course contre la montre

C'est une nouvelle fois dans La Libre Belgique (ce lundi 03.11.08 en p.28) que je publie en compagnie de Didier Brissa, Yannick Bovy, Aïcha Magha, Alice Minette, Olivier Starquit et Karin Walravens une carte blanche dans le cadre du Mouvement Le Ressort.
Ce texte a reçu quelques commentaires mais surtout une réaction sous forme de carte blanche le vendredi 14.11.08 en p.51

La logique productiviste engendre exploitation, stress, souffrance au travail et désastre écologique. Nos sociétés sont en proie à un fétichisme du temps et à un culte de la vitesse.

Nous venons de passer à l’heure d’hiver. Ce changement qui perturbe l’horloge biologique, introduit en Europe occidentale le 28 mars 1976 suite au choc pétrolier de 1973, permettrait, selon ses promoteurs, de réaliser des économies d’énergie sur les éclairages publics, sur la base d’une meilleure utilisation de la lumière solaire naturelle pendant la période estivale.
Par analogie avec cette instrumentalisation du temps à des fins économiques, il n’est pas exclu de penser que la montre est apparue en même temps que le développement du capitalisme, lors de la révolution industrielle (1). L’esclave romain était doté de chaînes, l’esclave moderne porte une montre.
Les réunions nocturnes de la dernière chance convoquées pour sauver les banques de la faillite sont ainsi induites par la notion du temps dictée par les places boursières et les actionnaires: toujours plus, toujours plus vite.
Cette temporalité capitaliste est également impulsée par les entreprises transnationales: gestion des stocks à flux tendus, just in time parce que time is money. Cette logique productiviste, qui abolit les saisons aux dépens de l’environnement et de rapports Nord-Sud équitables, engendre exploitation, stress, souffrance au travail et désastre écologique.
Nos sociétés sont en proie à un fétichisme du temps et à un culte de la vitesse: le champ du travail n’y coupe pas, mais cela est tout aussi vrai dans le domaine législatif. Ainsi, la temporalité électorale ne coïncide pas avec la temporalité démocratique et citoyenne: l’homme et la femme politiques, qui doivent être réélus, se projettent rarement dans le long terme alors que les enjeux (le logement, l’environnement, l’éducation, la santé, la recherche, le plan Marshall les exemples foisonnent) exigent une approche sur le long terme.
Les défis de l’avenir sont connus et ne peuvent être minimisés. Les spécialistes pointent du doigt leur urgence: si rien n’est fait, le prix que nous payerons bientôt sera très élevé. Mais la différence entre le spécialiste et l’homme ou la femme politique réside dans l’adverbe "bientôt". "Bientôt", ce n’est pas ici et maintenant: le choix entre l’échéance électorale et la survie de la planète est vite fait. Faudrait-il envisager des mandataires politiques élus plus longtemps mais révocables à tout moment? Cela impliquerait assurément une redéfinition de notre système démocratique (2).
Le seul remède contre l’arbitraire, c’est le temps, le temps qui gomme les émotions, le temps qui permet de dialoguer, d’analyser, le temps de prendre le risque de la contradiction. La précipitation en politique n’est-elle pas un abus de pouvoir?
Mais tout concourt à cette précipitation: le travail d’information journalistique n’est-il pas soumis à la pression des "actualités", de l’événement? Le fonctionnement de notre société est basé sur l’immédiat, sur la tyrannie de la vitesse et de l’instantané. Et donc sur l’amnésie. Sur le mépris ou l’ignorance du passé. Sur l’occultation ou l’oubli de la mémoire collective. Et cette même construction de l’amnésie contribue à la reproduction, à la survie du capitalisme. La crise financière le démontre amplement: "Par essence, le capitalisme est immédiateté et spontanéité, il prétend annihiler le temps. Par nature, le marché est éphémère et volatil, mais finalement sa main est aussi impuissante qu’invisible. L’un et l’autre sont le contraire de la mémoire qui permet d’analyser le passé, d’apprécier le présent et de projeter le futur" (3).
Le fétichisme du temps et le culte de la vitesse conduisent à cette primauté mortifère des temps rapides sur les temps lents et des temps courts sur les temps longs.
Toute notre intelligence a été mobilisée pour inventer des prothèses techniques (les machines) et sociales pour accélérer. Ne devrions-nous pas maintenant faire l’éloge de la lenteur?
"Combattre la vitesse et délégitimer ses symboles (TGV, avion, voitures puissantes) constitue une nécessité écologique car la vitesse pollue, sociale car la vitesse est la face cachée de la richesse, anthropologique car la vitesse est inséparable du jeunisme, caractéristique du capitalisme" (4).
Et si le temps était la valeur la plus sous-estimée de notre société et la clé d’un changement de paradigme? La pollution du temps serait-elle l’autre dimension, dramatiquement négligée celle-là, du désastre écologique produit par le modèle productiviste occidental? La libération du temps, par essence insuffisant, n’est-elle pas un enjeu de civilisation?
Premier poste dévoreur de temps: le travail. Le temps à profusion, à discrétion, le temps pour soi, celui qui permet de respirer, de s’ennuyer, de s’ancrer profondément dans le monde, de créer, est un trésor rare que l’on doit arracher à un quotidien minuté, saturé.
"Bâtir la civilisation du temps libéré" (5): six mots qui résument à la perfection le seul objectif politique vraiment excitant et émancipateur que l’on puisse se fixer pour les prochaines années.
Réduire collectivement le temps de travail? C’est bien sûr une urgence. Mais le problème, il faut le noter, ne tient pas seulement à la durée légale du travail. Le culte du travail influe également.
Les victimes les plus directes de cette logique de révérence obligée à l’égard du travail salarié sont sans conteste les chômeurs, contraints de plus en plus à accepter des boulots déqualifiants qui ne leur rapportent parfois que quelques cacahuètes de plus que les minimas sociaux.
Remettre le travail à sa place, c’est permettre à l’humain d’accéder à une temporalité plus heureuse: la société doit garantir à chacun(e) un vrai temps pour les activités familiales, sociales, créatives et bien entendu du temps pour soi (6).
L’objectif politique d’une réduction massive du temps de travail est porteur d’un enjeu de civilisation et d’émancipation qui n’a encore jamais été exploré. Cet enjeu d’émancipation concerne le rapport de chacun à lui-même, certes, mais aussi de son rapport aux autres. Libérer du temps permet d’en consacrer plus aux autres, à sa famille, à ses amis, à la société, à soi-même. La réduction du temps de travail est un facteur d’épanouissement individuel en même temps qu’elle cultive le lien social. Le bien-être humain doit passer par la maîtrise du temps de vie et non par une course effrénée aux biens matériels.
"Une diminution drastique du temps de travail considéré comme 'normal’, et le découplage, à travers le revenu garanti prôné par André Gorz et d’autres, du travail et des moyens de subsistance, permettrait de ré-oxygéner nos existences asphyxiées, de remettre du sens et du plaisir dans tout ce que le mode de vie dominant transforme en simulacres absurdes, en corvées exaspérantes, en ébauches vite avortées" (7).
L’enjeu n’est donc pas, ou pas seulement, de se battre pour gagner sur la quantité de temps dont on dispose, mais aussi sur sa qualité.
La réduction du temps de travail est indispensable mais elle ne présentera pas de valeur libératrice ni ne changera la société si elle sert seulement à redistribuer le travail et à réduire le chômage Elle exige une politique du temps qui englobe l’aménagement du cadre de vie, la politique culturelle, la formation et l’éducation (populaires, c’est-à-dire par et pour le peuple et non par des "fournisseurs de temps de cerveau disponible" (8)).
A défaut, les recommandations des magazines visant à prendre du temps pour soi dans un bain moussant ou de dégager du temps pour sauver son couple risquent de se muer en une injonction paradoxale. Notre mode de vie "normal" rend impossible ces salutaires ambitions.
Prendre du temps pour soi, vraiment? Illusoire, à moins d’abolir le capitalisme.

NOTES

1. Ainsi, il n’est pas anecdotique de relever que la date de l’invention de la montre-bracelet coïncide avec celle de la parution de "L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme" de Max Weber.
2. Voir le texte du Ressort "une démocratie unijambiste et sans cœur", http://ressort.domainepublic.net/spip/spip.php?article19
3. Hugues Lepaige, "Le capitalisme n’a pas de mémoire", Démocratie, n°20, 15octobre 2008. C’est nous qui soulignons.
4. Paul Ariès, "La politique de l’escargot", Le Sarkophage, n°7, juillet-septembre2008.
5. Titre d’un article d’André Gorz paru dans Le Monde diplomatique, mars1993.
6. Question ancienne dont le pamphlet de Paul Lafargue, Le droit à la paresse, reste une des plus brillantes analyses.
7. Mona Chollet, "A la recherche des heures célestes", http://peripheries.net/article320.html
8. Acrimed, "Le Lay (TF1) vend "du temps de cerveau humain disponible"", http://www.acrimed.org/article1688.html

vendredi 17 octobre 2008

Panorama des interlocuteurs sociaux

Cet article a été publié dans Espace de Libertés, n°368 d'octobre 2008, p.30


Les mots sont importants. Plusieurs ouvrages ont mis en lumière le fait que l’imaginaire culturel est fondamental et que le vocabulaire y joue un rôle central[1]. Dans ce cadre, un ouvrage[2] refaisant le point sur la composition des différents interlocuteurs sociaux, et les qualifiant comme tels et non comme « partenaires »[3], revêt toute son importance au lendemain d’élections sociales n’ayant pas apportées de grandes modifications mais à la veille d’une négociation autour d’un nouvel accord interprofessionnel qui s’annonce particulièrement difficile.

Le dossier du CRISP se divise en deux grandes parties. La première est consacrée aux organisations syndicales et la deuxième aux organisations patronales. Concernant les organisations syndicales, les deux auteurs analysent de manière précise la FGTB, la CSC et la CGSLB mais également la peu connue Union nationale des syndicats indépendants (UNSI) créée en 1982 mais à la représentativité fort faible. Ils mettent également en lumière toute la complexité du syndicalisme en Belgique : « Si les syndicats sont de grandes organisations, il ne faut cependant pas les assimiler à des administrations bureaucratiques. En tant qu’expression organisée d’un mouvement social porteur des valeurs d’émancipation de la classe des travailleurs, de justice sociale et de démocratisation de l’économie, ils sont toujours marqués par la perspective militante, même si celle-ci doit composer, parfois difficilement, avec un professionnalisme et une expertise très exigeants, requis notamment par la concertation sociale. »[4]. Outre la représentativité et les différentes facettes de ce qu’est aujourd’hui le syndicalisme, les auteurs interrogent également l’actualité de certains concepts pouvant parfois – à tort – paraître comme obsolète. Ainsi de celui de classe : « Les intérêts des travailleurs salariés sont à la fois convergents et divergents. Les points communs entre les travailleurs salariés s’expliquent par la position de subordination qu’ils occupent par rapport aux employeurs. À la différence des travailleurs indépendants, les salariés sont soumis à l’autorité d’un employeur, qui a le droit de leur donner des ordres pour l’exécution de leur contrat de travail. La loi du 3 juillet 1978 sur les contrats de travail défini le cadre légal dans lequel le travailleur exécute le contrat qui le lie individuellement à l’employeur. Ce statut commun aux salariés est l’un des éléments déterminants lorsqu’on recherche ce qui fait d’eux une classe sociale. »[5]

Cette réflexion, on la retrouve également dans la partie analysant les organisations patronales, prise via un autre angle tout aussi pertinent et qui, ajouté au précédent, montre bien qu’une « conscience de classe » existe bien : « Le monde des classes moyennes doit être pris en compte dans une étude sur les organisations patronales, bien qu’un grand nombre d’affiliés à ses organisations ne soient pas des employeurs. Néanmoins leurs représentants siègent du côté patronal dans de nombreux conseils consultatifs, et en premier lieu dans les deux grands organes paritaires que sont le Conseil national du travail et le Conseil central de l’économie. »[6]. De cette deuxième partie, on retiendra principalement que les organisations patronales ne se sont pas divisées sur les questions confessionnelles mais qu’ils existent de vrai différence régionale, les organisations flamandes plaidant pour moins de fédéralisme. On notera également que le patronat consacre des moyens très importants pour sa communication et son travail de lobbying, et ce avec des résultats probants : « En 2003, après la nomination d’un nouvel administrateur délégué, la FEB adopte une stratégie de communication plus incisive et une attitude plus proactive dans la présentation de ses positions. C’est le cas dans le processus de concertation qui a abouti à la loi du 23 décembre 2005 relative au Pacte de solidarité entre les générations, qui rencontre une part importante des revendications de l’organisation. »[7]

Voici donc encore un dossier de référence du CRISP pour toutes les personnes qui désirent s’y retrouver dans le paysage socio-économique belge.

Notes

[1] Sur les questions de vocabulaire voir Les nouveaux mots du pouvoir. Abécédaire critique, Bruxelles, Aden, 2007 et Mateo Alaluf Dictionnaire du prêt-à-penser, Bruxelles, EVO, 2000 mais aussi Eric Hazan, LQR, la propagande au quotidien, Paris, Raisons d’agir, 2006.

[2] Étienne Arcq et Pierre Blaise, Les organisations syndicales et patronales, Bruxelles, CRISP, 200 [3]

p.7

[4] P.24

[5] p.60. Sur cette question des classes sociales aujourd’hui, on lira également Classes sociales : retour ou renouveau ?, Coll. « Espace Marx », Paris, Syllepse, 2003 et Classe ouvrière, salariat, luttes des classes, Coll. « Les cahiers de critique communiste », Paris, Syllepse, 2005.

[6] P.119

[7] P.106