mardi 29 janvier 2008

Nouveau FN, vieille idéologie

Cet article a été publié dans le n°43 de janvier-février-mars 2008 de la revue Aide-mémoire, p.7

On peut retrouver la liste de mes articles publiés dans cette revue ici

La fin de l’année 2007 a été marquée par l’apparition d’un nouveau parti d’extrême droite en Belgique. En effet, profitant des ennuis judiciaires successifs de Daniel Féret, une partie des cadres et des élus du FN ont fait une (énième) scission. Mais cette fois-ci ils ont réussi à garder le nom, le sigle et le logo, éléments capitaux dans le cadre de leur ambition de conquérir un vaste électorat aux élections de 2009.
Droite et Modernité
Ce nouveau parti était en gestation depuis plusieurs mois via le cercle Droite et Modernité apparu fin 2005 au sein du FN et qui regroupait les « durs » de ce parti. L’organe de Droite et Modernité était alors A Droite[1]. C’est justement les trois premiers numéros de ce périodique, s’étendant d’octobre 2005 à juin 2006 et faisant chacun 48 pages, que l’on retrouve téléchargeable en format PDF sur le site du nouveau parti[2].
A Droite est sous-titré La Lettre politiquement incorrecte du sénateur Michel Delacroix. Ce dernier signe les éditoriaux et apparaît en couverture de l’organe. Deux autres cadres historiques de l’extrême droite francophone sont fort présents : Charles Pire et Patrick Sessler, ce dernier signant les textes les plus doctrinaux. On retrouve également une chronique accordée à l’«Alliance Bruxelles contre le déclin », groupuscule poujadiste servant de paravent francophone au Vlaams Belang à Bruxelles, et dont les textes se distinguent par leur pauvreté de contenu comme de ton.
La liberté d’expression
Le thème le plus développé dans les trois numéros, et ce dès le premier éditorial, est la dénonciation de la législation belge qui limite la liberté d’expression en empêchant les partis de la « droite nationale » de s’exprimer[3]. La longue interview du leader du Front National Bruno Gollnisch tourne d’ailleurs quasi exclusivement autour de cette question[4]. Parlant de la situation en Belgique, et plus spécifiquement du procès contre le Vlaams Block, il dénonce le fait que : « Ce qui est extrêmement grave dans la décision de ces magistrats belges, c’est qu’ils s’arrogent le droit, au mépris de la séparation des pouvoirs, de dire ce qu’une formation politique a le droit ou n’a pas le droit de proposer. »[5]. Le procès intenté contre le Vlaams Block est particulièrement développé, « On assiste à la poursuite d’une stratégie de déni systématique d’un droit aussi fondamental que la liberté d’expression »[6]. Ce que confirme le député Filip De Man, par ailleurs membre de l’aile dure du VB, lors d’une conférence-débat « La Belgique a écrit une triste page d’histoire en persécutant le Vlaams Blok et en faisant condamner notre parti par les tribunaux. Dans une véritable démocratie, on n’intente pas de procès contre ses adversaires politiques »[7]. Et Delacroix dans remettre une couche : « Une des grandes victoires de la démocratie consisterait donc à permettre au pouvoir judiciaire de décréter que l’opinion de certains électeurs serait infractionnelle »[8]. A l’inverse le premier amendement américain ou la grande tolérance anglaise sont citées en exemple : « Les conditions d’admission du National Front (…) tomberaient immanquablement sous le coup de la loi en Belgique : « … être blanc, avoir pour compagne une blanche, ne pas être homosexuel, ni usager de drogue… ». »[9] Outre la législation, le rôle des médias dans ce black-out médiatique est dénoncé[10].
Le rejet de l’autre
Ces lois n’ont pas, pour l’extrême droite, comme seule fonction de les interdire de parole : « Nous observons également que les lobbys du multiculturalisme s’appuient sur ces lois dites « antiracistes », en réalité antinationales, pour insinuer leur vision totalitaire au cœur de la société »[11]. Car le péril qui guette la Belgique est bien entendu l’immigration, et plus particulièrement celle de ressortissants de confession musulmane. Patrick Sessler traduit d’ailleurs un dossier du VB très fouillé et documenté sur la politique d’immigration du Danemark[12]. L’immigration est présentée comme un véritable péril. Dans un article intitulé « Insurrection allochtone en France ou la douleur d’avoir eu raison avant tout le monde »[13] on annonce une future guère civile en Europe, ce que Filip De Man confirme lorsqu’il dit qu’« (…) il faudra une atmosphère que je qualifierai de pré-révolutionnaire pour que la droite nationale accède au pouvoir (…) quand la révolte islamique dans nos villes deviendra une vraie guerre civile »[14]. Dans un autre texte au titre tout aussi évocateur de « Bruxelles : ville arabophone et turcophone ? »[15] on affirme que « Nous l’avions dit, nous l’avions écrit. Aujourd’hui, c’est presque une réalité. Il est bien question de reconnaître l’Arabe comme quatrième langue officielle du royaume de Belgique. »[16]. La question de la régularisation des sans-papiers vaut évidemment plusieurs articles véhéments. Charles Pire donne à cette occasion son explication au mouvement : « L’enjeu pour les socialistes francophones, c’est le maintien de leur leadership. Il est pour eux de la plus haute importance de remplacer les nombreux électeurs qui les quittent (notamment pour la droite nationale) par des allochtones (…) Le phénomène crève les yeux à Bruxelles où, dans ce parti, les parlementaires issus de l’immigration sont majoritaires »[17]. Après cela, faut-il s’étonner qu’A Droite est contre l’entrée de la Turquie dans l’Europe ?, reprenant au passage la propagande des identitaires d’Alsace d’abord.[18]
L’ennemi PS
Cette citation nous permet de faire le lien avec le troisième grand thème développé : la dénonciation du parti socialiste. Il s’agit là de l’ennemi politique principal qui se voit attaqué dans presque tous les articles car « Le PS se comporte en parti unique dans une Etat totalitaire, disposant d’une RTBF entièrement à sa solde et des tentacules dans toutes les strates de la société, y compris dans les autres partis de l’establishment. »[19] Une des cibles favorites étant « le clan familial Onkelinckx »[20]. Le PS est considéré comme une maladie qui gangrène la Wallonie, avec des titres comme celui d’un édito de Delacroix « Le socialisme est une maladie honteuse, mais pas incurable »[21], et la mène à sa perte : « Le PS et ses complices chrétiens démocrates ou libéraux ont totalement asservi la Wallonie à leurs utopies dirigistes, identiques à celles qui ont mené à la chute du mur de Berlin »[22]. Les autres partis sont donc complices, y compris en Flandre comme le dit Filip De Man : « le parti libéral – aussi bien côté flamand que côté wallon – est gangrené par des sous-marins de gauche, les démocrates-chrétiens flamands sont à la botte du syndicat ACV (le MOC, en plus grand) et leurs collègues francophones sont présidés par une mégère qui essaie de dépasser les Ecolos par la gauche »[23]. Cette conception de l’infiltration par les socialistes de tous les autres partis revient à plusieurs reprises : « Les socialistes qui nous gouvernent (mal !), qu’ils soient du PS, d’Ecolo, du CDH ou du MR, comprendront-ils un jour que les entreprises se gèrent toujours dans un souci de rentabilité et que cette rentabilité ne peut se développer que dans la liberté, la souplesse et dans un climat fiscal raisonnable et même favorable. »[24]
Un parti de droite
Nous en arrivons à ce stade de l’analyse à un des éléments les plus intéressants politiquement. En effet, loin de se positionner comme une troisième voie[25], le nouveau parti de Delacroix se positionne clairement comme le seul représentant d’une vraie droite, d’une droite nationale. Le titre de son organe est déjà significatif, tout comme le logo qui l’accompagne représentant un éléphant, c’est-à-dire le symbole du parti républicain aux USA. Les choses sont d’ailleurs claires dès le premier éditorial : « nous avons décidé de créer une revue délibérément identitaire à vocation internationale. Son nom n’est évidemment pas innocent. Notre encrage est clairement à droite, sans complexe et sans tabous »[26]. Ce positionnement est développé dans un article idéologique de Patrick Sessler[27] qui rappelle que « (…) le concept de « droite nationale » est repris par quasi l’ensemble des partis politiques européens qui représentent quelque chose (…). C’est une manière de se reconnaître et d’affirmer son appartenance à une même famille de pensée »[28]. On retrouve d’ailleurs une série de positions classiques de la droite comme la critique des syndicats et la volonté de leur donner une personnalité juridique[29], l’indignation face à la possibilité d’avoir un cadastre des fortunes en Belgique[30] ou une taxation des plus-values boursières[31]. Le positionnement est une défense absolue de la liberté d’entreprendre qui doit être sans entrave et une dénonciation de la pression fiscale. Delacroix reprend d’ailleurs Milton Friedmann et son « il n’y a pas de liberté politique sans liberté économique préalable »[32].
Une idéologie bien connue
On retrouve là un positionnement de l’extrême droite que nous avons déjà expliqué dans cette chronique. Et ce n’est pas le seul. Ainsi, la critique du PS est-elle plus largement la critique inévitable du marxisme : « La « démocratie » et les « droits de l’hommes » sont tronqués, instrumentalisés et violés par une famille de pensée qu’on avait cru balayée par l’Histoire depuis la chute du Mur de Berlin. Force est de reconnaître que le marxisme est loin d’être extirpé de nos sociétés européennes. Les crypto-marxistes d’aujourd’hui n’ont jamais autant pesé sur l’occident »[33]. Car le complot marxiste est clair : « Il est évident que ce mouvement (celui des sans-papiers) n’est pas spontané (…) Ils sont encadrés par des professionnels de la subversion camouflés sous des labels de collectifs quelconques. Ceux qui poussent l’observation auront repéré autour des immigrés clandestins divers militants communistes, trotstkistes et anarchistes. »[34] Il est également très vaste, s’étendant à l 'Europe : « Les hommes politiques de tous les bords qui veulent ériger « l’Union Européenne » veulent que cette Europe soit nettement matérialiste, irréaliste et d’obédience agnostique, sinon maçonnique »[35].
Face à cette menace, il existe heureusement des gens qui luttent comme Bruno Gollnisch dont la présentation reprend les classiques de celle d’un leader d’extrême droite : « Dès son entrée à la faculté de Nanterre à 17 ans, il assiste au saccage, en 1968, par des jeunes bourgeois gauchistes, des universités nouvellement construites grâce au sacrifice de tous les Français, même les plus modestes. En 1971, il interrompt ses études et résilie son sursis pour rejoindre la Marine Nationale. (…à une période où) il comprend l’horreur du marxisme et des idéologies révolutionnaires. »[36]. Ou comme l’avocat Eric Delcroix, petit neveux de Léon Daudet[37], qui a publié un « essai révolutionnaire contre l’ordre moral antiraciste (…) le manifeste libertin revendique la liberté de conscience et rend sa légitimité à la loi immémoriale du sang (… Eric Delcroix y) appelle ses frères européens à libérer leur génie prométhéen de l’aliénation de l’antiracisme obsessionnel »[38]. Les positions traditionalistes sont également reprises, principalement à l’encontre des homosexuels[39] et en faveur de la famille avec le relais des positions du groupuscule Belgique et Chrétienté d’Alain Escada, mais aussi en faisant référence à « l’héritage spirituel de Saint Benoît »[40]. Un auteur comme Alain de Benoist et le concept de métapolitique sont bien entendu également présent[41].
« Il appartient à notre famille politique de continuer à opposer notre « vision du monde » à la leur »[42]. Cette phrase de Michel Delacroix est éclairante. D’une part, elle confirme qu’il s’inscrit dans un courant politique ancien qui remonte au refus des Lumières et de la Révolution Française : « Tout était dit et les éléments de notre droit positif y trouvaient tous leur compte y compris l’équité et le droit, tout au moins avant que celui-ci soit sodomisé par Jean-Jacques Rousseau et ses succédanés du Comité de Salut Public de la Révolution française. »[43] Ce qui vaut également un article sur Edmund Burke qui « (…) s’opposa avec force à la philosophie des Lumières ainsi qu’à la Révolution française, dès son début. (…) Ses Réflexions sur la révolution en France (1790), ouvrage lu dans toute l’Europe, le posèrent en défenseur de l’ordre établi, produit du droit naturel que le rationalisme n’était pas en mesure de modifier. »[44] D’autre part il indique que le FN a une vision du monde particulière basée sur le respect des lois dites naturelles, d’un darwinisme social, fondement d’une société inégalitaire et hiérarchisée. Ce que confirme Patrick Sessler lorsqu’il dit qu’il faut « (…) éliminer du champ politique le primat actuel de l’idéologie égalitaire en lui substituant le droit naturel, les valeurs et les cadres de références de la civilisation européenne »[45].
Ainsi, comme nous venons de le voir, ce « nouveau » Front National n’a de neuf que la disparition de Daniel Féret et l’ambition de faire un parti politique efficace et non un tiroir caisse à des fins privées. Idéologiquement ses assises sont anciennes et confirme qu’il reste un parti d’extrême droite dont les idées sont conformes à celles que nous analysons dans cette rubrique.

Notes
Un petit problème m'empêche de placer les notes. J'espère le résoudre très rapidement


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