lundi 7 janvier 2008

Une oubliée de l’histoire : Emma Goldman

Cet article a été publié dans Espace de libertés n°360 de janvier 2008, p.26

Emma Goldman est née en Lituanie le 27 juin 1869. Cette fille rebelle dès son plus jeune âge refuse de se soumettre à son sort tout tracé identique à celui de ses semblables. Ce sont les événements de Chicago à la faveur des huit heures en 1886 qui détermineront à 17 ans le reste de sa vie alors qu’elle a émigré aux USA. C’est avec le procès truqués contre les anarchistes à la suite de « l’affaire du Haymarket » qu’Emma renforce sa prise de conscience de la réalité des conflits sociaux. Engagée dans une usine de Manhattan elle y organise les travailleuses presque toutes d’origines immigrées. A partir de ce moment là, Emma Goldman devient une des figures du mouvement ouvrier américain du tournant du siècle, payant à plusieurs reprises de sa personne, notamment lors de ses deux années de prisons. Mais la militance et le rôle de cette femme ne s’arrête pas à cette dimension. Elle ne cessera durant toute sa vie de revendiquer, dans la continuation de son engagement anarchiste, l’émancipation de la femme et le droit de choisir sa sexualité. Avec l’arrivée de la guerre de 14-18, Goldman prône en toute logique un pacifisme intransigeant qui lui vaut d’être expulsée vers la Russie où elle est une observatrice très critique de la révolution bolchévique dont elle se distancie des aspects autoritaires dans Mon désenchantement en Russie. Elle continue à prôner l’idéal anarchiste et participe à la guerre d’Espagne, avant de mourir à Toronto au Canada le 14 mai 1940 à l’âge de 71 ans.

« Très influent à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle en Europe et aux Etats-Unis, l’anarchisme comme philosophie politique avait été éclipsé, après 1917, par le mouvement communiste et sa sujétion à l’URSS. Mais les mouvements sociaux des années 1960 ont changé cela. Une approche anti-autoritaire et anti-étatique, de même que la culture de la liberté dans la musique, le sexe et la vie en communauté ont conduit à un regain d’intérêt pour l’anarchisme. Après des décennies d’oubli, Emma Goldman redevenait une figure importante, particulièrement pour le mouvement des femmes, mais aussi pour d’autres mouvements politiques »[1]. Et pourtant, « J’étais frappé de n’avoir jamais, du lycée à la licence, croisé son nom en étudiant l’histoire de ce pays. C’était une expérience que j’avais déjà vécue lorsque, à l’issue de mes études, j’avais commencé à m’informer sur des gens et des événements qui, d’une façon ou d’une autre, ne cadraient pas avec l’histoire officielle : Mother Jones, Big Bill Haywood, John Reed, le massacre de Ludlow, la grève du textile de Lawrence, l’affaire du Haymarket et bien d’autres. Les gens dignes d’êtres étudiés étaient présidents, industriels, héros militaires mais jamais leaders syndicaux, radicaux, socialistes, anarchistes. Emma Goldman ne cadrait pas »[2]. C’est ainsi que l’historien Howard Zinn[3] explique dans son introduction les raisons qui l’ont poussé à écrire une pièce de théâtre, jouée pour la première fois en 1975, sur les années américaines d’Emma Goldman. Les différents aspects de ses 48 premières années, y compris ses amours tumultueuses, sont retracés par de courts tableaux se suivant chronologiquement. Mais l’auteur ne se contente pas de raconter la vie de son héroïne, il replace les combats de celle-ci dans le contexte de l’époque mais aussi dans un cadre plus large qui interroge notre époque. Ainsi des discussions entre Emma et son compagnon Alexandre Berkman dit Sasha, marxiste de stricte observance, bien résumées par cet extrait : « EMMA (plus douce) : Tu ne comprends pas, Sasha ? Nous ne pouvons pas tous vivre comme vivent les plus opprimés. Nous devons avoir un peu de beauté dans nos vies, même au cœur des luttes. »[4]

La mise en pratique des idées, le recours systématique à l’action directe, le refus des concessions aux principes sont ainsi au centre de la pièce tout autant que les concepts théoriques et tactiques du mouvement ouvrier. La question de la violence est ainsi abordée à plusieurs reprises, lors de l’attentat manqué de Berkman contre un patron, tout comme dans un discours de Johann Most, un des compagnons d’Emma, : « Chaque année, trente-cinq mille ouvriers meurent dans leurs mines et leurs usines. A chaque génération, les fils des ouvriers sont massacrés dans leurs guerres. Et ils nous accusent d’être violents ! (il fait une pause, puis parle très posément). Que les choses soient claires. La violence contre les innocents ? Jamais. La violence contre l’oppresseur ? Toujours ! »[5].

En une centaine de pages comprenant les annotations scénographiques, Howard Zinn retrace ainsi la vie d’une militante oubliée dont il arrive a nous faire toucher la profonde humanité.

Notes

[1] Zinn, Howard, En suivant Emma. Marseille, Agone, 2007, p.24

[2] pp.7-8.

[3] Voir notre recension de son autobiographie in Espace de libertés n°346 d’octobre 2006, p.27.

[4] pp.68-69

[5] p.47.

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