lundi 21 avril 2008

La guerre des mots

Ce lundi 21 avril, La Libre Belgique a publié, sous le titre modifié de Les mots détournés, outil de propagande, une nouvelle carte blanche que je co-signe dans le cadre de mes activités au sein du collectif Le Ressort. Les autres signataires sont Isabelle Chevalier, Pierre Eyben, Christian Jonet et Olivier Starquit.

La langue politiquement correcte, le langage fonctionnel des technocrates, les lieux communs médiatiques et les expressions branchées dans lesquels doivent se mouler nos paroles quotidiennes, tout cela contribue à l’édification d’un vaste discours anonyme qui discipline la pensée de tous, tout en faisant taire la singularité de chacun.

"Les partenaires sociaux devront à tout prix se pencher sur la problématique des charges sociales " ; " Afin d’éviter les pièges à l’emploi, seule une réforme drastique permettra de mieux aligner le capital humain sur les besoins d’une société efficace, soucieuse d’une bonne gouvernance " ; " Une grève sauvage a encore pris en otage la population ce matin ".

Tous les jours, les ondes déversent de manière lancinante de tels propos, tous coulés dans le même moule, cette logorrhée d’une pensée unique, outil de propagande silencieuse et de persuasion clandestine.

Pourquoi ces termes foisonnent-ils ? A quelles fins ? Pourquoi tel mot est-il préféré à un autre ? Pourquoi certaines expressions sont-elles dépréciées ?

La langue politiquement correcte, le langage fonctionnel des technocrates, les lieux communs médiatiques et les expressions branchées dans lesquels doivent se mouler nos paroles quotidiennes, tout cela contribue à l’édification d’un vaste discours anonyme qui discipline la pensée de tous, tout en faisant taire la singularité de chacun. Dans toute langue de bois, les circonvolutions ont pour fonction de freiner la prise de conscience des enjeux par l’adoucissement des images, outre qu’elles réduisent la compréhension et minimisent les dangers.

Les néologismes globalisants se naturalisent sans que les citoyens aient eu le temps de pratiquer à leur encontre le doute méthodique et d’identifier le lieu d’où parlent leurs inventeurs et leurs opérateurs. Et, bien souvent, les gens endossent sans le savoir les mots et les représentations associés aux choses et aux forces qu’ils entendent combattre.

Or, le langage n’est pas un simple outil qui reflète le réel ou qui le désigne une fois celui-ci constitué, mais il crée également du réel en orientant les comportements et la pensée. Si les mots sont importants, les mots politiques et sociaux le sont encore plus. Leur répétition et leurs occurrences en réseau orientent la pensée et l’action, car substituer un mot à un autre revient toujours à modifier le regard et les interprétations anciennement portés sur le phénomène observé. En travestissant leur sens ordinaire et en colonisant les mentalités, les mots ont un réel pouvoir de création de l’injustice.

Croyant refléter l’opinion des gens ordinaires, les médias contribuent en réalité à construire et à produire cette opinion, ils renforcent ainsi la pression de conformité qui pèse sur eux, réduisant ainsi leur marge de manoeuvre pour tenir des discours plus lucides et plus explicatifs.

Le pouvoir symbolique, c’est d’abord le pouvoir d’amener les dominés à prévoir et à décrire les choses comme ceux qui opposent des positions dominantes ont intérêt à ce qu’ils les voient et les décrivent. En d’autres termes : celui qui impose à l’autre son vocabulaire, lui impose ses valeurs, sa dialectique et l’amène sur son terrain à livrer un combat inégal.

Certains concepts se voient ainsi renommés pour rendre la réalité plus conforme à la nouvelle vision du monde. Ainsi le discours dominant relègue la radicalisation à la pathologie sociale, la conflictualité est dévalorisée et les problèmes sociaux sont psychologisés et dépolitisés.

Une autre stratégie de communication vise à détourner le vocabulaire progressiste pour habiller et maquiller la mise en place d’un modèle capitaliste et conservateur.

La rhétorique réactionnaire, loin de se présenter comme la figure inversée de la rhétorique progressiste, reprend alors à son compte le lexique de l’adversaire. Ainsi la droite s’est approprié la modernité, la réforme, la solidarité, le réalisme, l’internationalisme, espérant faire passer une opération proprement réactionnaire pour une entreprise progressiste.

Le mot réforme est un mot-valise tantôt vide, tantôt évoquant son contraire, car les réformes menées ne sont pas des réformes mais plutôt une alliance objective pour maintenir l’ordre existant par tous les moyens. En d’autres termes, la réforme est le mode de permanence propre du capitalisme. Son usage permet de couvrir une révolution conservatrice et les dirigeants syndicaux et politiques ne sont pas les derniers à participer à ce marché de dupes.

Un autre exemple de mot plastique est le concept de développement durable qui est utilisé dans un sens tellement extensif qu’il ne signifie plus rien, sinon ce que veut lui faire dire le locuteur qui l’emploie et qui devient ainsi une arme sémantique pour évacuer l’écologie : la dissolution de l’idée de protection de l’environnement dans la novlangue du développement durable est une aubaine pour les multinationales. Telle voiture ou tel avion un peu moins polluants sont qualifiés de "durables" et se font caution morale dans la bouche des publicitaires alors même qu’ils ne sont que les chevaux de Troie d’une course effrénée à la croissance matérielle dont il est clair qu’elle n’est pas soutenable à long terme. On induit ainsi un insidieux effet rebond chez le citoyen lequel se voit réduit au rang de consommateur et poussé à la surconsommation (verte).

Selon Philip K. Dick, l’instrument de base de la manipulation de la réalité est la manipulation des mots. Certains termes sont dépréciés ou sont connotés négativement : tout ce qui gravite autour du peuple par exemple, à un point tel que l’on serait tenté de croire que le changement de conjoncture politique et intellectuelle invite à voir dans le peuple le principal problème à résoudre et non plus une cause à défendre [1] . Le recours à l’adjectif populiste permet de stigmatiser toute référence au peuple, un adjectif qui a par ailleurs perdu toute signification à cause de sa sursaturation médiatique.

Outre les mots-plastiques ou les concepts-écrans, citons également les concepts opérationnels qui sont des mots qui empêchent de penser mais qui servent à agir et les énoncés performatifs où les mots font exister la chose : "Ainsi, en acceptant d’utiliser le mot insertion, vous faites exister le mot et vous admettez implicitement qu’il n’y a pas de place pour tout le monde" [2].

Dans le même ordre d’idée, le mot et le mouvement "altermondialiste" ne font que conforter l’idée de l’existence de la mondialisation et celle de l’obsolescence des états, et par là le sentiment que les luttes sociales, locales et nationales sont perdues d’avance.

Tous ces outils font partie de l’attirail du discours capitaliste qui vise à justifier et à renforcer les politiques capitalistes. Il n’est pas un simple discours d’accompagnement, une simple musique de fond, c’est une partie intégrante de ces politiques. Il en masque le caractère de politiques de classe.

Pour rappel, la novlangue ("newspeak" en anglais) est la langue officielle de l’Océania inventée par George Orwell pour son roman "1984". Elle est une simplification lexicale et syntaxique de la langue destinée à rendre impossible l’expression des idées subversives et à éviter toute formulation de critique (et même la seule "idée" de critique) de l’Etat, de doute, voire l’émergence d’une réflexion autonome.

La novlangue, ce jargon des propriétaires officiels de la parole se compose de généralisations et d’expressions toutes faites et entraîne un appauvrissement sémantique qui lui-même induit un conformisme idéologique.

L’appauvrissement du vocabulaire sert à "restreindre les limites de la pensée. A la fin, nous rendrons littéralement impossible le crime par la pensée car il n’y aura plus de mots pour l’exprimer" [3].

Deux des principaux modes opératoires de cette novlangue sont l’inversion de sens (la réforme dont nous parlions tout à l’heure) et l’oblitération de sens (on empêche de penser selon certains termes, certains mots sont bannis et à travers eux certains concepts et partant certaines analyses théoriques dont ces concepts sont les instruments). [4]

Le constat étant posé, faut-il s’en offusquer ? Oui et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parler et donc penser avec les mots de l’adversaire, c’est déjà rendre les armes.

Ensuite, restituer leur vraie signification aux mots est donner leur véritable sens aux actes et, en outre, le silence autour d’une idée crée le risque de ne plus avoir un jour d’arguments pour contrer ceux qui s’opposent à cette idée.

L’imaginaire de la lutte sociale a été effacé, or la reconquête idéologique passe par la reconquête des mots et du discours. Car si on ne dispose pas des mots pour penser, il sera impossible de le faire. Dans ce cadre, il faut souligner que nous avons besoin d’outils pour décoloniser notre imaginaire et il n’est pas inutile de rappeler que, historiquement, la montée des mouvements de gauche a été accompagnée d’un important mouvement d’éducation populaire.

Ne serait-il pas judicieux de réhabiliter les mots tombés en désuétude, d’en créer de nouveaux et/ou de pervertir ceux de la droite ? Ne faudrait-il pas refuser l’usage des mots et d’expressions tels que "rationalité de marché", "marché", "économie de marché" en leur substituant ceux de "irrationalité capitaliste ", "capital" et "économie capitaliste" ?

La conquête idéologique sera lexicale ou ne sera pas.

Notes

[1] Annie Collovald, Le populisme du FN, un dangereux contresens, éditions du Croquant, Bellecombes-en Bauge, 2004, p.189

[2] Franck Lepage, L’éducation populaire, ils n’en ont pas voulu, éditions du Cerisier, Cuesmes, 2007, p.63

[3] George Orwell, 1984, Folio, Paris, 2000, p.89.

[4] Quelques exemples : charges sociales vs part socialisée du salaire, exiger la flexibilité, c’est exiger de se plier à l’inflexibilité de la domination du capital et c’est masquer la permanence de sa domination ; parler d’économie de marché, c’est oblitérer les concepts de capital et de capitalisme.

Le « résistantialisme », un équivalent au négationnisme

Cet article a été publié dans le n°44 d'avril-mai-juin 2008 de la revue Aide-mémoire, p.7
On peut retrouver la liste de mes articles publiés dans cette revue ici

Pour l’extrême droite, il est évident que la victoire des alliés lors de la seconde guerre mondiale est une période difficile. Elle a rejeté dans l’ombre les tenants de cette idéologie qui ont du attendre plusieurs dizaines d’années avant de réapparaître au grand jour. De plus sur le plan du discours, cette victoire pose au moins deux problèmes. Le premier est bien entendu la question des camps de concentration et d’extermination. Nous avons évoqué ici avec le livre de Maurice Bardèche[1] les débuts de l’argumentation visant à minimiser, voire nier complètement, la réalité et le nombre de victimes. Le deuxième est l’aura de la Résistance et parallèlement le poids des différentes condamnations – notamment les déchéances civiques – subies au moment de la Libération. Si en France la question est réglée sur le plan juridique au début des années 50 via une loi d’amnistie[2], la question reste sensible dans plusieurs pays. En Belgique elle reste centrale pour les mouvements extrémistes du nord du pays qui reviennent régulièrement sur cette question[3]. Jeter le doute sur la légitimité de la répression subie est donc un enjeu primordial pour une partie importante de l’extrême droite car cela banaliserait leur attitude pendant la guerre et ferait un lien avec les années 30 dans le cadre d’une stratégie de lissage de leur image.
Le livre, L’âge de Caïn[4] est central dans cette opération et est considéré par l’extrême droite comme un ouvrage capital. Il s’agirait du premier ouvrage à avoir osé dénoncer les exactions commises à la Libération, ce que d’aucun qualifie de Résistantialisme. Nous reprenons ici le titre d’un livre de l’Abbé Jean Desgrange, Les crimes masqués du résistantialisme. Publié pour la première fois en 1948, il a été réédité par les éditions Dualpha en 2003[5]. La préface de l’édition de 2003, écrite par André Figueras, est particulièrement illustrative, comme l’extrait suivant le montre : « De même qu’on prétend nous imposer une seule politique, on nous inflige aussi une vue « historiquement correcte » des années compliquées et sombres que la France a vécues de 1940 à 1944. Et ce sont, comme sous la plus pénible des dictatures, les tribunaux qui sont chargés de déterminer et imposer la vérité historique. (…) Après 50 ans de propagande gaullo-communiste (…) tout de même parvient-il à surgir assez de témoignages et de documents, pour qu’il soit impossible de conserver masqués aux yeux de la postérité les crimes du résistantialisme »[6].
L’âge de Caïn, publié en 1947 (soit à la même période que celui de Bardèche), est écrit par René Château[7] sous un pseudonyme que l’auteur explique, tout en donnant la clef du titre : « J’ajoute que mon nom importe peu. Il n’est qu’un nom entre autres, entre des centaines des milliers de noms des hommes et des femmes qui ont vécu la « Libération » comme je l’ai vécue, et qui vivent la Quatrième République comme je la vis, partout où il y a des terrés, des torturés, des terrorisés (…) Et si tu veux, ami lecteur, je me donnerai un nom qui leur conviendrait à tous, à tous les milliers des autres. Ce nom, c’est Abel, tel qu’il est dit dans la Genèse, Abel qui souffre et qui meurt par la haine qui est dans le lot humain, Abel qui renaît à chaque génération, pour mourir encore par la grande haine réveillée et rouge… Et il n’est pas étrange que, sorti encore une fois des ombres, l’éternel Abel te parle, ami lecteur, de l’éternel Caïn »[8]. René Château, député radical-socialiste avant guerre insiste surtout sur ses idées pacifistes et explique ne rien avoir à se reprocher. Pourtant ce proche de Gaston Bergery, fut le directeur jusqu’en 1943 de La France socialiste (qui portera aussi le titre de France au travail) un quotidien lié à Marcel Déat[9] où écrivait également Henri Coston, autre figure célèbre de l’extrême droite.
L’épuration
Le livre se veut donc un témoignage sur les exactions commises par la résistance. L’auteur est arrêté avec son épouse à son domicile le 30 août 1944. Dès le début, il se positionne comme un humaniste au-dessus de la mêlée pour renforcer son innocence et la neutralité affichée de son témoignage : « Je n’ai eu aucune peine, pendant soixante-seize jours de détention et d’abominable spectacle, à me retenir de haïr tous les tourmenteurs. J’ai fait constamment effort pour retrouver en eux quelque levain d’humanité. Oui, même quand ils avaient tué, férocement, même quand ils avaient ri aux plaintes, aux râles, même quand ils avaient brûlé des pieds, arrachés des ongles, écrasé des ventres ou cassé du verre dans des vagins. Et j’ai presque toujours, du moins par éclairs, retrouvé l’homme en eux. Je ne les hais donc pas. A peine, veux-je mépriser quelques chefs (…) »[10]. Ces tortures sont relatées à plusieurs reprises. Il évoque également les viols et les femmes tondues. Mais bizarrement, l’auteur reconnaît très vite que ce qu’il raconte est la recension de témoignages qui lui ont été faits : « Evidemment, si le lecteur attend que je décrive les interrogatoires « à la dure », d’où tant de prisonniers revenaient le visage en sang, il sera déçu. Je n’ai, moi-même, rien subi de tel. Et je n’ai assisté à rien de tel. »[11]. Si lui-même se présente comme innocent, il avoue que les gens qu’il a croisé sont pour l’immense majorité des collaborateurs du bas de l’échelon : « Je ne vis, d’ailleurs, du premier coup d’œil, personne de connaissance. Je savais seulement que beaucoup devaient être du PPF, du RNP ou des Milices, et, neuf comme j’étais, je pensais que, s’ils m’avaient connu, ils n’auraient pas manqué de rire au-dedans, en me voyant arrêté comme eux, et mêlé à eux, après tout ce que j’avais fait pour les combattre, avec mes camarades des syndicats »[12]. Château tire un bilan chiffré de l’épuration : « Je crois que quarante mille est un chiffre tout ce qu’il y a de modeste, et de sûr. Mais je ne serais pas étonné s’il fallait le multiplier par deux, ou par trois…»[13]. Le premier argument est ainsi posé : l’épuration a été excessive et a dégénérée avec des exactions. Cela étant établi, il faut ensuite enlever toute légitimité à la résistance en la décrédibilisant.
« Je me suis demandé, pendant un temps, pourquoi ils tenaient, malgré la Libération, à garder l’anonymat. (…) La première, la plus générale est que les FTP, confusément, prévoyaient qu’un jour il leur serait demandé compte des vols, des tortures, des exécutions sommaires. »[14]. L’autre raison est que ce sont souvent des criminels : « L’automobile s’arrêta enfin. Mais, à la place du commissariat de police ou de la prison où je croyais aboutir, je vis que je me trouvais dans l’avenue de Choisy, devant l’Institut dentaire (…qui) a été, sous le nom du PC Fabien, l’une de ces prisons privées qui ont pullulé en France, après la Libération, et où des bandes sans caractère officiel ont torturé et fusillé en tout impunité, réglant des comptes personnels ou partisans dans lesquels la justice n’avait pas grand-chose à voir. »[15] Loin d’être des démocrates les résistants seraient donc de vulgaires criminels. Ce qui ne fait que reprendre le contenu de la propagande allemande de l’occupation qui y ajoutait le qualificatif de terroriste[16]. Et, tout en relatant le pillage de son appartement, d’enfoncer le clou : « Car, avec les fusillades, avec les tortures, le vol était l’un des trois arts que cultivaient les FTP. Le vol en gros, le vol en grand. Tout leur était bon : l’argent, les bijoux, les vêtements, la vaisselle, les livres, les meubles… Ils ont été, pendant des semaines, comme un nuée de sauterelles sur le pays. Dépouillant les morts. La bourse ou la vie. La bourse et la vie. Il n’y avait plus de gendarmes. Ils étaient, ensemble, les gendarmes et la loi. Aussi fut-ce un temps de cocagne. »[17]. Enfin, le tableau ne serait pas complet si l’on n’y ajoutait une pointe de xénophobie et d’antisémitisme : « Thomas était un juif polonais. Petit, frisé, trapu, partout furetant, partout glissant le danger de sa face blême. C’était un spécialiste des répressions révolutionnaires. A l’Institut, il représentait les Brigades Internationales, et son rôle, à ce que j’ai cru comprendre, était de tout contrôler, de tout surexciter, en vertu de l’expérience qu’il avait acquise en Espagne. Il exerçait sur tous, et même sur le capitaine Bernard, un pouvoir assez mal défini fait à la fois de peur et d’horreur. »[18].
Le côté apatride permet de faire un deuxième bond idéologique et de revenir sur un des ciments idéologiques de l’extrême droite, l’anticommunisme. « Et Bernard, un jour, n’a pu se tenir de crier : « vous êtes un ignoble individu ! Vous avez voté la dissolution du Parti Communiste en 1939 ! » Au fond, c’était peut-être bien pour çà. L’Hévéder a répondu que ce n’était pas sa faute si, en 1939, le Parti Communiste faisait, en pleine guerre, feu des quatre pieds pour le pacte germano-soviétique. Et ils ont failli l’étrangler. Thomas, le juif polonais, a traité L’Hévéder de mauvais Français, en tapant sur la table comme un forcené. Et L’Hévéder a répondu que sa famille était bretonne depuis des générations, mais qu’il était douteux que la famille de Thomas eut de telles racines »[19]. Cet aspect permet à l’auteur d’insérer une nuance dans son propos, nuance qui annonce les alliances que l’on retrouve au moment de la décolonisation et des débuts de la guerre froide : « Je suis donc tout prêt à tirer mon chapeau aux Résistants, aux FFI qui avaient de la Liberté, de la Patrie une religion si forte et si furieuse qu’ils ont pu tuer, pour la Liberté, sans trop regarder qui, et qu’ils ont pu tuer, pour la Patrie, sans trop regarder comment. Oui, à ceux-là, je n’en veux point. (…) Mais pour les FTP, c’est une autre histoire. Car c’étaient des communistes ou, quelquefois, des socialistes. Et çà change tout. »[20] Et Château de dénoncer essentiellement la dérive de l’idéal communiste de départ, positionnement indispensable pour quelqu’un dont les origines politiques se situent à gauche de l’échiquier politique. « Maintenant, il n’y a plus de droit de grève, dans leur Russie. Il n’y a plus qu’un syndicat, qu’un parti, qu’une presse, qu’une liste aux élections, et que le devoir, de gré ou de force, de ramper devant tout cela. Et il y a la Guépéou, et il y a les élections sommaires, et il y a quelques vingt millions d’hommes dans les camps de travail (…) En France, c’est plus long, mais c’est bien commencé. Tout le Parti est devenu, à la Libération, une gigantesque Guépéou. Ses militants ont été, tout ensemble, dénonciateurs, policiers, tourmenteurs, bourreaux, tenanciers des camps de concentration. »[21]
La théorie du bouclier
L’auteur est prudent et malin. S’il dénonce les exactions et qu’il positionne sa critique sur le plan de l’anticommunisme, il tient à se distancier des purs collaborateurs. Il utilise alors la stratégie qui sera classique et qu’adopte le Maréchal Pétain : celle du bouclier qui a permis de limiter les dégâts. « Dès 1942, je compris que ce que l’Allemagne nous demandait, ce n’était plus de construire avec elle la paix de l’Europe. C’était de prendre place dans sa guerre, de prendre part à ses haines. Et je ne pouvais le vouloir. (…) Mais il y avait quelque risque à engager la lutte à visage découvert. Nous avons pourtant été quelques-uns à prendre ce risque, dans nos syndicats. Nous avons, par notre résistance à Vichy, réussi à sauver l’essentiel du syndicalisme français, ses immeubles, ses biens (…) et même beaucoup de ses militants que nous avons, à force de protestations, arrachés aux prisons et parfois à pire ». [22] Et de préciser que, s’il a refusé de rejoindre la résistance, il s’est cependant opposer à la Milice se qui lui vaudra d’être inquiété par la Gestapo.
Finalement, comme pour le livre de Maurice Bardèche qui n’est pas un livre au contenu négationiste, l’ouvrage de Château ouvre la même brèche du relativisme en mettant sur le même pied les crimes allemands et les crimes des alliés ou de la résistance. « On a vu des hommes comme çà, qui fusillaient les Français, par milliers, dans tous les coins. Mais, sur les journaux, ces hommes n’avouaient que cinquante ou cent fusillés, par ci, par là. Et quand on plaidait auprès d’eux, pour un pardon, ils faisaient les étonnés. Ils disaient qu’ils n’avaient pas beaucoup tué, au total, qu’ils n’étaient pas bien méchants. Ils faisaient eux aussi, comme s’il n’y avait eu que les fusillés officiels, comme s’il n’y avait pas eu les morts de torture, les morts de faim, les morts dans l’ombre, les morts sans communiqué. Ceux d’Oradour, par exemple, ou ceux de Tulle, ou ceux de Châteaubriant. Mais il y avait cette différence, tout de même, que ces hommes étaient des Allemands… »[23]. De même l’auteur compare son séjour à Drancy à ce qu’on vécut les juifs avant lui. L’auteur met d’ailleurs des guillemets à chaque fois qu’il parle de la Libération. Le livres est donc un ouvrage important dans ce qu'il est le précurseur d'une longue série qui approfondira les pistes justificatives. Mais il l'est surtout dans la place qu'il occupe dans l'imaginaire et la culture d'extrême droite auquel il fait sens.
Notes
[1]Quand le relativisme sert à masquer le négationnisme in Aide-mémoire n°34 d’octobre-novembre-décembre 2005.
[2] Bénédicte Vergez-Chaignon, Vichy en prison. Les épurés à Fresnes après la Libération, Paris, Gallimard, 2006
[3] Sur ces aspects, comme plus largement sur ceux liés à la répression de la collaboration, voir José Gotovitch et Chantal Kesteloot, Collaboration, répression. Un passé qui résiste. Coll. La Noria, Bruxelles, Labor, 2002 et Luc Huyse et Steven Dhondt, La répression des collaborations. 1942-1952. Un passé toujours présent. Bruxelles, CRISP, 1993
[4] Abel, Jean-Pierre, L’âge de Caïn. Premier témoignage sur les dessous de la libération de Paris, Paris, Les éditions nouvelles, 1947, 239 p.
[5] Rappelons que cette maison d’édition est celle de Philippe Randa, le propriétaire de la librairie d’extrême droite qui s’était ouverte à Liège. Voir l’article de Julien Paulus p. de ce même numéro.
[6] Abbé Jean Desgrange, Les crimes masqués du résistantialisme, Coll. « Vérités pour l’histoire », Coulommiers, Dualpha, 2003, p.9
[7] Né en 1906, il serait mort en 1947 l’avant propos du livre précisant que le manuscrit daté de 1945 n’a été publié qu’après le décès de l’auteur, le maintient du pseudonyme étant destiné à protéger sa famille. Cependant la seule note biographique que nous avons trouvée (sur le site wikipédia toujours sujet à caution) indique un décès en 1970.
[8] Abel, Jean-Pierre, L’âge de Caïn, op.cit. p.10
[9] Voir sur ce dernier notre article Du socialisme au fascisme in Aide-mémoire n°41 de juillet-août-septembre 2007. Sur Déat et Bergery, voir Philippe Burin, La dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery. 1933-1945, Paris, Seuil, 2003.
[10] p.20
[11] p.49
[12] p.66
[13] p.80
[14] p.45
[15] p.27
[16] Sur cette notion résistance – terroriste, voir mon article avec Michel Hannotte, Le résistant, un terroriste victorieux ? dans Politique n°32 de décembre 2003, pp.58-59 et ses développements sur mon blog http://juliendohet.blogspot.com/2007/07/terrorisme-ou-terrorismes-2.html
[17] p.98
[18] p.46
[19] p.86
[20] p.194
[21] p.203
[22] p.32
[23]
Pp.81-82


Notre histoire - Les coopératives en Belgique

 Article publié par A Voix autres le 21 avril 2008

L’histoire des coopératives en Belgique est loin d’être un hasard. Il s’agit clairement du produit des conditions socio-économiques nées des bouleversements créés par la révolution industrielle.
C’est en effet en réaction à celle-ci qu’un double mouvement va donner naissance au mouvement coopératif. Tout d’abord une série de bourgeois progressistes vont théoriser des solutions et imaginer des autres mondes. Ceux que l’on nomme communément d’Utopistes (Cabet, Saint-Simon, Fourier et Owen) apporteront un imaginaire culturel qui marquera d’autant plus un public relativement large pour l’époque qu’ils tenteront de concrétiser leurs idées. C’est d’ailleurs un disciple de Fourier, Jean-Baptiste Godin, qui ira le plus loin en fondant un familistère à Guise qui a subsisté jusqu’à nos jours. Leur importance dans l’histoire des idées est également non-négligeable. Owen est ainsi considéré comme l’inventeur du mot « socialisme » et c’est en partie par opposition à leurs écrits que Marx élaborera certains aspects de sa pensée.
S’il est ainsi théorisé, le mouvement coopératif sera avant tout une création spontanée et collective de quelques ouvriers qui se regroupent afin d’améliorer leurs conditions de survie. Le terme est d’ailleurs tout un programme puisqu’il vient du latin co – operare qui veut dire « travailler avec, travailler ensemble ». En Belgique, c’est au lendemain du souffle révolutionnaire de 1848 (qui traversera toute l’Europe et que l’on connaît aujourd’hui sous le terme de « printemps des peuples ») qu’à l’initiative de Nicolas Coulon est fondée à Bruxelles le 16 avril 1849 l’association fraternelle des ouvriers tailleurs. Celle-ci est une coopérative de production qui voit des travailleurs prendre le contrôle de leur industrie. D’autres initiatives aux existences éphémères, à l’exception notable de L’Alliance typographique, suivront. Malheureusement dès 1854 il n’existe presque plus rien de ces diverses tentatives.
C’est sous la forme de coopératives de consommation que le mouvement connaîtra son développement et son succès. Le modèle type de la coopérative de consommation est né en Angleterre, pays d’origine de la révolution industrielle. Il n’y a pas là d’effet du hasard, mais bien une réponse de la classe ouvrière en constitution aux changements provoqués par la mutation profonde des processus de production. En novembre 1843, douze ouvriers tisserands de la ville de Rochdale se regroupent pour améliorer leurs conditions de (sur)vie à la suite d’un refus du patronat d’accorder une augmentation de salaire. Après plusieurs réunions, ils fondent une coopérative du nom de Société des équitables pionniers de Rochdale qui est officiellement enregistrée le 24 octobre 1844 et qui ouvre son premier magasin le 21 décembre de la même année.
L’alimentation étant au centre des préoccupations de survie au vu du poids qu’elle pèse sur le budget familial, les travailleurs vont essayer de trouver des solutions. Parallèlement à des revendications sur l’augmentation des salaires qui prendront du temps à se formaliser et s’organiser, l’achat groupé par la création de coopérative sera une des solutions qui est mise en place. C’est tout aussi logiquement que le pain sera la première denrée que l’on cherche à se procurer à moindre coût. Outre la question du prix, la valeur nutritionnelle et la qualité de ce pain (puis des autres aliments) seront vite au centre des préoccupations. En Belgique, une coopérative va jouer un rôle moteur. Devant l’impossibilité de renforcer le caractère socialiste d’une coopérative fondée en 1876 sous le nom de De Vrije Bakkers (les libres boulangers), une partie de ses membres part créer une coopérative ouvertement socialiste. Ainsi naît à Gand en 1880 le Vooruit (En avant).
Le Vooruit a dès son origine l’ambition de ne pas se limiter à la production et la vente de pain mais d’étendre ses activités à toutes les branches du commerce et même de l’industrie, tout en finançant des œuvres politiques et d’éducation. Très prospère grâce à ses 1750 membres dès 1885 le Vooruit se rend célèbre par un acte de solidarité important. En 1885 les mineurs du Borinage ont déclenché une grève dure et souffrent très vite du manque de ressources. Pour les aider, ce n’est pas moins de 10.000 kg de pains que le Vooruit fournira. Ce geste de fraternité et de solidarité ouvrière marque les esprits. A partir de là le développement de la coopérative est important et synthétise à lui tout seul ce qu’est la coopération socialiste en Belgique [1] : Une imbrication totale dans le parti et une volonté de devenir toujours plus grand afin d’englober l’ensemble de la vie quotidienne des travailleurs et l’ensemble de l’activité économique. Très vite le petit magasin de départ s’étend, se diversifie et se transforme en Maison du Peuple. C’est ainsi qu’outre des boulangeries, le Vooruit aura plusieurs locaux, des pharmacies, un journal, une bibliothèque centrale, un tissage, une flotte de pêche basée à Ostende… Le Vooruit est à lui seul une synthèse de la coopération belge jusque dans ses défauts puisque se poseront aussi la question du pouvoir pris par Edouard Anseele dans et via le Vooruit ainsi que l’intégration au système capitaliste avec des alliances sous forme de SA pour attirer des capitaux permettant de diversifier l’activité.
Sur ce modèle, des coopératives vont se créer et se développer partout en Belgique. Pendant près d’un demi-siècle, elles seront l’ossature du Parti Ouvrier Belge. La superbe Maison du Peuple de Bruxelles, œuvre de Victor Horta, en symbolisera longtemps toute la puissance mais aussi la fierté que ces « citadelles ouvrières » donnaient aux travailleurs. Tout d’abord farouchement indépendante, les coopératives vont connaître progressivement un phénomène de concentration à partir de l’entre-deux guerres. Le bouleversement sociétal des « golden sixties » est mal géré par le mouvement coopératif qui de précurseur (magasins de gros, contrôle de l’ensemble de la chaîne de production, marque propre…) bascule dans une image anachronique en ratant totalement l’entrée dans l’ère des libres services. Face aux difficultés financières, L’Union coopérative de Liège se retrouve au centre d’une centralisation des coopératives du sud du pays et donne naissance à Coop-Sud. Les coopératives du nord du pays refusent une évolution similaire et restent groupées autour des pôles de Gand, Malines et Anvers. La faillite en 1981 de la coopérative malinoise provoque la panique chez les fournisseurs car pour la première fois de l’histoire le reste du mouvement n’apure pas la dette. La situation financière est telle pour l’ensemble du mouvement coopératif que catholiques et socialistes allient leurs capitaux et rejoignent les entreprises Carrefour et Delhaize pour le lancement de la société Distrimas qui sera un échec cuisant mais donnera naissance aux enseignes Cora. Début 1983, la coopération socialiste jette l’éponge et revend ses magasins encore en activités au groupe Delhaize. Le mouvement coopératif ne disparaît pourtant pas complètement. Des Maisons du Peuple subsistent ainsi que des structures pharmaceutiques, bancaires, de conseils…

Une émancipation par l’économie ET l’éducation

Le mouvement coopératif tel qu’il a existé en Belgique au sein du mouvement ouvrier socialiste répondait donc d’abord à des besoins concrets de la classe ouvrière en fournissant des produits alimentaires, au premier rang duquel on retrouve le pain, selon une devise souvent reprise de « Poids exact – bonne qualité – juste prix ». Il participe ainsi à l’émancipation des travailleurs en soulageant leur quotidien. A noter que le fait de ne pas accepter le crédit permettait de lutter contre le surendettement. Grâce aux flux financiers générés les coopératives ajouteront à la dimension purement alimentaire d’origine une série d’aides matérielles qui constitueront rapidement une mini-sécurité sociale pour ses membres fidèles. Elles aidaient aussi les travailleurs lors des mouvements de grève par des distributions de nourriture. A ces occasions, le fait d’avoir ses propres locaux pour les réunions et les meetings était particulièrement utile. Mais cette fonction, surtout remplie par les Maisons du Peuple, était précieuse toute l’année et permettait aussi de remplir un rôle d’éducation à travers l’organisation de conférences, de cours, de lectures collectives… Au moment des campagnes électorales les meetings s’y multipliaient évidemment. Mais l’influence des coopératives ne s’arrêtait pas là. L’immense puissance financière permettait également de financer la propagande, y compris électorale. Les coopératives servaient aussi de refuge pour les travailleurs qui étaient placés sur liste noire à la suite de leurs activités syndicales ou politiques. Elles furent aussi un espace d’apprentissage de la démocratie représentative, la règle du « Un homme, une voix » s’appliquant bien avant l’instauration du Suffrage Universel en Belgique. Enfin, elles jouèrent un rôle d’exemple en ce qui concerne les conditions de travail, appliquant les 8 heures, des salaires supérieurs, une liberté syndicale…
L’histoire du mouvement coopératif est exemplative de l’histoire du mouvement ouvrier dont il est une des composantes. Elle pose ainsi les questions du lien entre la théorie et la pratique, et ce à plusieurs niveaux. Sur la forme qui est le fruit de la confrontation entre les idées des penseurs du socialisme et les expériences spontanées de travailleurs qui voient le jour. Sur le changement profond de société qui est visé, mais avec une pratique qui se rapproche de plus en plus au fil du temps des pratiques capitalistes. Sur la possibilité de changer la société par la multiplication d’expériences concrètes basées sur un autre modèle de société tout en baignant dans une société capitaliste et en étant obligé d’en respecter le cadre et les règles. Sur une rhétorique bien différente de la pratique quotidienne, notamment entre localisme et internationalisme. Enfin entre intérêt collectif et pouvoir personnel. Le mouvement coopératif, qui se définissait comme un moyen pour atteindre un but, est rapidement devenu un but en soit où le volume du chiffre d’affaire et la grandeur des infrastructures ont très fortement minorisé le rôle moteur dans le processus de changement de société. Ce constat lucide n’enlève en rien tous les aspects positifs mais il doit attirer notre attention sur la manière de travailler aujourd’hui à l’émancipation des gens et doit permettre aux initiatives contemporaines, dont certaines de production, d’éviter le plus possible les erreurs du passé.

vendredi 11 avril 2008

Dur(e) comme fer

Ce mardi 8 avril 2008 j'ai participé à la conférence de presse organisée pour annoncer la publication d'un livre à l'occasion du 125e anniversaire des Métallurgistes FGTB de Verviers. Je signe dans cet ouvrage un chapitre intitulé La concrétisation d'une alternative économique : les coopératives dont Benoît Willems a rédigé la partie plus contemporaine. J'ai également participé à la sélection de l'iconographie (cahier couleur de 32 pages). Les autres chapitres sont:
- Préface. Francis Gomez
- Introduction. Marcel Bartholomi
- Les luttes syndicales des métallurgistes verviétois de 1868 à 1982. Freddy Joris
- Les métallos FGTB de Verviers depuis 1982. Jean-François Potelle
- Postface. transmettre "notre" histoire, une urgence ! Jean-claude Vandermeeren
Les médias verviétois ont fait largement échos de cette publication puisque Le Jour et La Meuse ont publié un article le 9 avril et que télévesdre y a consacré un reportage de plus de deux minutes dans son édition du mardi soir. Vous pouvez le visionner ici. Pour ceux qui ne me connaisse pas, je porte une écharpe ;-))

De "Mon Combat" à "Notre Combat"

Cet article a été publié dans le n°363 d'avril 2008 du magazine Espace de Libertés à la page 17
Depuis le mois de juillet à Liège se posait pour tous les démocrates, et plus particulièrement ceux qui luttent contre l’extrême droite, la question de la stratégie à adopter face à l’ouverture d’une succursale de la libraire parisienne d’extrême droite Primatice. Après de nombreuses réactions et plusieurs manifestations, la pression populaire a fini par déboucher sur une résiliation du bail par la propriétaire et la fermeture du point de vente le 31 janvier.
Si la question de la stratégie à adopter face à une telle présence a été le sujet de débats, parfois sans fin, cet événement pose plus largement la question de la diffusion des idées d’extrême droite en démocratie[1]. C’est également cette question qu’interroge le livre, exceptionnel dans le paysage éditorial, de Linda Ellia[2]. D’origine juive, Ellia est interpellée, par la découverte d’un exemplaire de Mein Kampf (Mon Combat) d’Adolf Hitler[3] par sa fille dans leur cave. Et de se poser la question : que faire d’un tel ouvrage ? Elle exorcise ses sentiments par l’art. C’est le début d’une idée simple porteuse d’un grand potentiel. Linda Ellia propose à des inconnus et à des artistes confirmés de s’exprimer sur une page de Mein Kampf qu’ils ne choisissent pas. Le résultat est stupéfiant. Sur 354 pages on découvre une sélection non classée des oeuvres envoyées dont certaines sont expliquées en fin de volumes. L’objet final n’est donc pas une reproduction du livre original retravaillé par des artistes et l’on retrouve parfois la même page d’origine. L’intérêt dans ce cas étant de comparer le traitement effectué.
Quelques lignes de forces ressortent. Tout d’abord, le livre témoigne bien plus de l’imaginaire collectif sur Mein Kampf que de sa réalité. Le poids des camps de la mort, et surtout de la Shoah, est énorme dans les œuvres présentées. Cela nous vaut des images à la fois superbes et tragiques mais qui simplifient la réalité de ce que fut le Nazisme. Dans le même ordre d’idée, et cela renforce le fait que le livre est surtout l’expression d’un imaginaire collectif, la représentation qui est faite d’Adolf Hitler – dont l’image est également très présente dans ce livre – se résume bien trop souvent à celle d’une abomination, d’un être démoniaque, voire du diable incarné sur terre. Ces deux impressions sont renforcées et confirmées par le texte qui suit directement la dernière œuvre reproduite. Ecrit par un grand rabbin, ce court texte insiste sur l’expérience juive et sur le fait qu’Hitler aurait été « un tyran fou ». Or comme nous l’avons déjà exprimé ailleurs[4], il nous semble dangereux de faire cette analyse du Nazisme car cela le place comme un accident de l’histoire le détachant de son historicité et surtout des questions contemporaines.
Mais tous les artistes ne sont heureusement pas dans cette vision des choses. Même si le fait est relativement rare, certains utilisent l’humour pour nous interpeller. Comme ce dessin[5] représentant Hitler à un pupitre disant simplement « … je voudrais aussi remercier toute l’équipe sans laquelle rien de tout cela n’aurait été possible… ». C’est cette interrogation sur la banalité du nazisme, qui me semble aujourd’hui plus porteuse pour l’avenir et la conscientisation citoyenne des jeunes et des moins jeunes que la surenchère sur les horreurs commises. C’est bien cette banalité, et la complicité de tous et toutes, qu’interroge cet autre artiste lorsqu’il représente une photo d’un couple heureux simplement suivie de cette interrogation : « nous tous des tyrans en puissance ? »[6]. Ou cette double page qui confronte d’une part les célèbres « trois singes » surmontés des drapeaux Anglais-Français-Américains et d’une allusion claire à la shoah et d’autre part une simple intervention consistant à barrer la page du mot « Stalingrad » et de profiter que le numéro de la page d’origine se termine par 43 pour en faire le 02.02.1943. Enfin, quelques auteurs font clairement le lien entre le livre et l’extrême droite d’aujourd’hui[7].
Ce livre coup de poing ne peut qu’interpeller son lecteur qui le parcourra et l’appréhendera selon sa propre sensibilité et ses propres représentations de cette période de l’histoire. L’immense variété des œuvres fait que chacun se retrouvera au moins une fois dans le foisonnement des styles et des messages, plus ou moins hermétiques ou affirmés, délivrés par les artistes regroupés par Linda Ellia. Si toute la démarche et l’ensemble du livre relève clairement de la politique et du rôle citoyen de l’artiste on mettra en exergue que les œuvres qui détournent par leur intervention la page d’origine ou en font ressortir certains aspects sont souvent plus politique que celles qui sont une œuvre exprimant ce que ressent l’artiste à l’évocation de Mein Kampf.
Notes


[1] Je renverrai sur ces questions au livre de Jérôme Jamin, Faut-il interdire les partis d’extrême droite, coll. Voix de la Mémoire, Liège, Luc Pire – Territoires de la Mémoire, 2005. Voir également un article de Manuel Abramowiz sur la FNAC via http://www.resistances.be/fnaced01.html
[2] Linda Ellia, Notre Combat, Paris, Seuil, 2007
[3] Sur Mein Kampf, voir mes deux articles, « Mon combat » d’Adolf Hitler. Une autobiographie… et un programme dans Aide-mémoire n°20 de janvier 2002 et n° 21 d’avril 2002
[4] Nous renvoyons à deux de nos textes qui abordaient l’importance de rendre purement humain le Nazisme et Hitler : La chute de l’esprit critique in Espace de libertés n°330 d’avril 2005 et A chacun ses furies in Espace de libertés n°351 de mars 2007.
[5] P.246
[6] P.90
[7] Pp.324-325.

jeudi 10 avril 2008

Réfugiées en Belgique

Cet article a été publié dans le n°363 d'avril 2008 du magazine Espace de libertés à la page 15

Le roman No woman’s land[1], une des dernières productions des Éditions du Cerisier, est le fruit d’une démarche d’éducation permanente encadrée par l’asbl le Miroir Vagabond qui depuis maintenant plus de dix ans multiplie les projets depuis son implantation près de Hotton dans le Luxembourg belge. Parmi les nombreuses activités de cette asbl, il y a le travail avec le centre pour réfugiés de la Croix-rouge situé à Rendeux. Ce dernier fait partie intégrante du roman écrit par 36 personnes ayant quittés leurs pays dans l’espoir de jours meilleurs. Ces réfugiés ont été aidés par l’écrivain français Ricardo Montserrat qui n’en est pas là à son coup d’essai.

À travers le parcours d’une jeune tchétchène fuyant les horreurs de la guerre dans son pays, le livre permet de toucher à la réalité de ces personnes trop souvent invisibles malgré les nombreuses actions menées par divers collectifs de soutien qui maintiennent bien vivante les valeurs des droits de l’homme (et de la femme) si souvent remis en cause dans notre pays, particulièrement via le dispositif indigne des centres fermés. À ce titre, il mérite largement une lecture qui dépassera les quelques incohérences ou rebondissements farfelus de l’intrigue. Car comme le dit si bien Yvette Leconte dans sa préface, « en lisant No woman’s land (…) nous sommes face à un récit organisé en roman qui nous oblige non pas à observer de nouveaux voisins mais bien à considérer leur vie comme un parcours singulier d’hommes et de femmes, héroïques au sens romanesque, un chemin bouleversé où souffrent la chair et les os (…) Et les questions se posent sur la manière selon laquelle il nous est donnée de vivre selon le lieu, la famille, la situation politique, économique dans laquelle nous sommes nés, dans laquelle nous vivons ou tentons de vivre ».

Notes

[1] Ricardo Montserrat et Annexe 26bis, No woman’s land, Cuesmes, Le Cerisier, 2007, 315 p.

mardi 1 avril 2008

La FGTB est-elle de gauche?

Cet article a été publiée sous le titre Quelle gauche ? Quelle FGTB ? dans la revue en ligne D'Autres repères de la Form'action André Renard (FAR). Vous pouvez le retrouver en PDF ici.


Préambule :

Le texte qui tentera de répondre à ce titre qui peut paraître provoquant est le fruit d’une réflexion entamée voici plusieurs mois dans le cadre d’articles que nous avons pour la plupart cosignés. L’article qui suit est ainsi une étape dans une réflexion qui ne doit jamais s’arrêter car elle implique des notions à toujours réinterroger. Il s’agit de baliser un état de la réflexion et de la soumettre à la lecture critique. Cet article ne se veut donc pas exhaustif, dans aucune de ses parties dont certaines mériteraient certainement d’être plus longuement développées, mais est une mise en perspective de la question.

Un débat actuel :

Il s’agit tout d’abord de tenter de définir « la gauche ». Ce débat sur ce qu’est la gauche, et plus largement sur le clivage gauche-droite, semble se relancer ses derniers mois. C’est d’ailleurs ce qu’a constaté récemment le directeur du CRISP Vincent de Coorebyter dans une carte blanche publiée par Le Soir [1]. L’auteur y relève les difficultés réelles de lecture du clivage mais note qu’en Belgique Parti Socialiste et Mouvement Réformateur recourent de plus en plus à cette distinction.

Le constat peut être fait que le clivage gauche-droite reste opérationnel tant pour le public que pour les analystes et les acteurs. Ainsi des textes ont été publiés, comme un appel dans La Libre à Etre de gauche pour refuser la marche actuelle du monde[2] mais aussi un numéro spécial de la revue Politique intitulé La gauche peut-elle encore changer la société[3] par des personnes se positionnant à gauche et s’interrogeant sur ce que cette notion recouvre encore aujourd’hui. D’un autre côté, notons que ce que nous nommons « extrême droite » a pour habitude de se nommer elle-même « droite nationale », et ce malgré un discours électoraliste apparemment de ni droite, ni gauche[4]. Le clivage gauche-droite existe donc bien encore et reste pertinent dans l’analyse. Ne pas l’utiliser relève ainsi également d’une posture idéologique visant à masquer les conflits et fractures de la société via un discours de type interclassiste.

Petit retour historique :

La différence entre la gauche et la droite est un héritage de la Révolution française. Cela explique en partie qu’elle se retrouve moins pratiquée dans le monde anglo-saxon. Si les USA ont connu une révolution à la fin du 18e siècle, elle était d’une toute autre nature et la clarté voudrait que l’on parle plutôt d’indépendance américaine que de révolution. L’origine de la désignation « gauche » semble plurielle. D’une part lors des Etats généraux, la noblesse se regroupe dès le début sur la droite, côté le plus noble et ce depuis l’antiquité. Rappelons ici en effet que dans l’antiquité latine, le côté gauche était mal vu, était un signe de mauvais augure. Le vocabulaire est ici éclairant puisque notre mot sinistre vient du latin sinistra qui voulait dire « gauche ». Sur un autre plan on utilise l’expression « gaucherie » pour désigner une maladresse. Autre exemple, la main gauche reste toujours celle du parjure, de la trahison, tandis que l’on prête serment de la main droite, celle de la légitimité. Inutile ici de rappeler tout ce que subirent les gauchers, longtemps assimilés à des sorciers. D’autre part, dans son article sur la question Jean Stengers date plus précisément l’apparition du dualisme que nous étudions : « Le 28 août 1789, l’Assemblée nationale, en France, aborde la question du veto royal. On voit à cette occasion les membres de l’assemblée se regrouper suivant leurs affinités : les partisans du veto du côté droit par rapport au président, les adversaires du côté gauche. »[5].

Si en France, pays de son origine, le terme est clairement perçu, il n’en suscite pas moins discussion, notamment sur les partis, les personnes et les groupes qui se rattachent à ce courant considéré comme celui du progrès, du changement, face à la droite qui serait le camp de l’immobilisme. Le livre publié en 2005 sous la direction de Jean-Jacques Becker et Gilles Candar, Histoire des gauches en France utilise d’ailleurs le pluriel dans son titre pour montrer toute la complexité de la question. Il est par ailleurs une réponse, bien tardive, aux livres de René Rémond La droite en France publié pour la première fois en 1954 et réédité plusieurs fois depuis mais sous le titre Les droites en France.. A ce stade, notons que pour la France, comme Maurice Agulhon l’explique, la ligne de fracture évolua relativement harmonieusement : « Au XXe siècle, la gauche a commencé à admettre que son combat contre la droite ne saurait se limiter au combat de la République démocratique contre la monarchie ni au combat de la laïcité contre le cléricalisme. Surgit et puis grandit l’idée que la gauche doit combattre l’injustice sociale par l’intervention publique (socialisme), tandis que c’est être de droite que de défendre le libéralisme économique »[6].

Pour la Belgique, l’article de Jean Stengers déjà cité permet d’entamer un essai de synthèse de l’évolution du concept et de sa réalité. Dès l’origine de la Belgique et les premières réunions au parlement, alors élu par moins de 2% de la population rappelons le, les libéraux se placent à gauche tandis que les catholiques se placent à droite. Le dualisme de la vie politique de la Belgique est donc clair, avec les libéraux incarnant la gauche. Si les termes sont à cette époque cantonnés au vocabulaire parlementaire, il représente donc bien quelque chose. L’arrivée du POB au parlement à partir de 1894 changera la donne, celui-ci incarnant alors la gauche tandis que les libéraux seront plutôt au centre et les catholiques incarnant clairement la droite. La fixation est d’autant plus forte que les socialistes se positionnent en groupe alors qu’il n’était pas rare à l’époque de se mélanger et qu’ils font entrer une classe sociale, la classe ouvrière, jusque là absente. Notons qu’outre le POB, l’abbé Daens et les origines de la démocratie chrétienne entre également au parlement, brouillant un peu les pistes.

Toujours pour l’anecdote, mais significative de l’évolution d’un concept et donc de l’importance de toujours connaître le moment et le contexte de son utilisation, le terme d’extrême gauche apparaît en Belgique dès 1865 pour désigner… la tendance des libéraux radicaux rassemblés autour de Paul Janson.

L’histoire parlementaire belge ne connaîtra plus d’évolution avant l’entre-deux guerres où apparaissent les communistes à gauche de l’échiquier et les groupes d’inspirations fascistes sur la droite. Après la Libération, un changement important est que, avec le temps et la prégnance moins importante du clivage laïque-catholique à partir des années 60, les libéraux passeront à droite tandis que les catholiques se positionneront comme étant au centre. L’autre évolution sera la multiplication des partis avec, principalement, la poussée communautaire. A la gauche de l’échiquier politique le PC disparaîtra progressivement du paysage parlementaire pour se retrouver au même niveau que d’autres groupes politiques dit « d’extrême gauche » qui constituent une galaxie que les tentatives de Gauche Unie et d’Une Autre Gauche ne parviendront pas à unifier, ni même coordonner. A l’autre bout de l’échiquier politique, l’extrême droite va connaître (surtout en Flandre) de nouveaux succès électoraux. Enfin, on ne peut oublier de mentionner la création d’Ecolo et de Groen. Ces deux partis brouilleront les pistes au niveau d’un positionnement gauche-droite qu’ils rejetteront souvent même s’ils apparaissent plutôt situés à gauche contrairement à des pays comme la France où l’on retrouve des partis écologistes se déclarant de gauche, mais aussi de droite.

Que retenir pour aujourd’hui :

Comme nous venons de le voir, la question se refuse à la simplicité lorsqu’on la creuse quelque peu et surtout a varié dans sa signification selon les lieux et les époques. Ce qui n’empêche certaines pertinences, certaines tendances lourdes. Et ce qui nécessite surtout aujourd’hui de clarifier le concept pour bien savoir de quoi l’on parle. Pour cela, revenons sur les quelques textes publiés récemment que nous avons évoqués au début de cet article.

Il est d’abord communément admis aujourd’hui, principalement après les travaux devenus classiques de Bobbio[7], que gauche et droite se distingue par leur positionnement autour du concept d’égalité, tandis que celui de liberté permet plutôt de distinguer les modérés et les extrémistes. Mais la question s’est compliquée qui amènerait à distinguer les positionnements et la réalité de se que recouvre la gauche selon que l’on se place sur le débat économique ou sur le débat moral. Distinction et complication qui finalement est plus ancienne qu’on ne le croit et surtout présente dans des pays ou le poids du cléricalisme a suscité une réaction laïque et ainsi permis des positionnements – et des alliances – différents selon les moments et les débats.

Des différents textes et de ce qui précède, on retiendra principalement qu’il est parfois difficile de parler de « la » gauche et plus simple (ou pertinent) de parler « des » gauches. Si on fait l’hypothèse qui est la nôtre d’en parler au singulier, on tentera la définition suivante : « la gauche est l’incarnation d’un projet émancipateur pour les plus faibles de la société qui se distingue des autres projets grâce au curseur de l’égalité ». En restant dans la continuation historique, on peut dire que le triptyque Liberté – Egalité – Fraternité reste, à condition de garantir l’équilibre entre les trois composantes, une première base pour un programme de gauche. D’autres éléments peuvent être mis en évidence : la pratique du libre examen comme méthode de réflexion, la sécurité sociale comme outil de redistribution des richesses et la protection des individus, la progressivité de l’impôt direct et la priorité de celui-ci sur des formes de taxation telle la TVA, une capacité à fournir un logement décent pour tous, une affirmation de la laïcité de l’espace public laissant la croyance dans la sphère privée, l’existence d’un service public fort et efficace, une prédominance de l’intérêt collectif sur les manifestations hyper-individualistes, un enseignement public développant l’esprit critique, le rejet du nationalisme au profit d’une vision internationaliste des choses…

Reste la question de l’anticapitalisme, qui nous apparaît centrale, et que nous avons exprimée dans notre article sur Politique déjà mentionné. Nous rejoignons ici les propos que Christian Arnsperger tenait récemment dans le périodique du MOC : « nominalement, on peut effectivement être de gauche sans développer une critique radicale du capitalisme. Dire le contraire serait contredire les faits de notre vie politique de tous les jours. Une autre chose est de savoir s’il est cohérent de se dire de gauche et de ne pas être anticapitaliste. Là je suis nettement plus sceptique. L’anticapitalisme est la racine même de la gauche »[8]. Ceci ne rejoint-il pas finalement ce que décrit Agulhon dans son texte lorsqu’il suggère un triptyque plutôt qu’un diptyque : « La politique postrévolutionnaire était une politique de gens aisés, pour lesquels fonctionnait un système représentatif (plus ou moins censitaire, plus ou moins libre, mais avec toujours des assemblées élues, ne serait-ce que pour la forme) qui comportait une droite et une gauche, en lutte parfois violente. Mais ce système excluait les pauvres. Aussi, quand ces derniers, trop malheureux, s’attaquaient au pouvoir, ils s’attaquaient au système, et celui-ci se défendait. On a donc bien là à la fois (en termes marxistes) une irruption de la lutte des classes et (en termes de description formaliste) l’apparition d’un troisième camp qui s’ajoute à la dualité droite-gauche installée. Car la gauche comme la droite se défendaient. C’est la bourgeoisie révolutionnaire qui a la première résistée aux pressions antiparlementaires des sans-culottes. »[9]. Ce qui laisserait à penser que social-démocratie et gauche serait effectivement synonyme. C’est ce qu’Agulhon précise quand il évoque que « Les socialistes « de droite » sont en effet beaucoup plus dans la ligne de la minorité du congrès de Tours (Léon Blum, pur réformisme par attachement à la démocratie politique), tandis que leurs adversaires de gauche sont plus facilement attirés vers le cryptoléninisme par l’attrait sentimental du gauchisme absolu : l’influence subliminale du couple droite (mal) – gauche (bien) contredit ici la rationalité doctrinale de la social-démocratie. »[10]

Cette grille qui ajoute au couple gauche-droite l’élément révolutionnaire pourrait aussi nous servir à analyser la question de l’échec des pays dit « du socialisme réel ». Mais c’est là ouvrir un débat qui nous mènerait trop loin dans le cadre de cet article.

La question éthique :

Une dimension qui n’apparaît que trop rarement dans le débat sur ce qu’est la gauche est la question éthique. S’il nous semble clair que l’on ne peut changer le monde sans en changer radicalement les structures politiques et économiques, il nous semble tout aussi clair que l’on ne peut changer le monde sans se changer soi-même. En clair qu’il doit exister une dialectique entre le changement global et le changement individuel. Que l’un ne va pas sans l’autre et que l’on ne peut se désintéresser de l’un en se cachant derrière l’impossibilité (ou la grande difficulté) de réaliser l’autre. Cette critique s’applique donc aux personnes, principalement présentes dans les mouvances écologistes ou décroissantes, qui se retirent du monde pour vivre en accord avec leurs principes mais en autarcie et sans avoir d’influence réelle sur les conditions générales. Mais elle s’applique tout autant aux révolutionnaires qui au nom de l’objectif ultime font l’impasse sur une interrogation sur leur propre comportement et leur mode de fonctionnement. Il nous semble qu’historiquement une des leçons que l’on peut retenir de l’expérience léniniste de la révolution bolchévique et de ses suites est justement le poids du pragmatisme et d’une justification relevant de l’expression « la fin justifie les moyens ». Si donc cette réflexion est indispensable à ce niveau, elle peut s’appliquer très prosaïquement. Limitons-nous à deux cas concrets.

Le premier est le fonctionnement des institutions, groupes, mouvements, asbl… (sans parler de la gestion communale comme nous l’ont rappelé des exemples récents) qui se qualifient de progressiste et se classent à gauche. Si généralement le discours tenus et les actions menées sont cohérents avec ce positionnement, tout qui a eu l’occasion d’y travailler (ne fut-ce que bénévolement) sait que les pratiques internes sont parfois très éloignés de ces objectifs. Ainsi, quid de l’adéquation quant aux achats de fournitures, aux logiciels informatiques utilisés, au mode de rémunération, à la gestion du personnel… ? Combien au nom du militantisme ne sous-paient-elles pas ? Combien qui parlent d’émancipation ne mettent aucun processus (voir développent des pratiques inverses) interne concernant leur personnel ? Autant de question trop peu souvent posées et débattues.

Le deuxième nous est fourni par l’actualité et pose la question de la différence, fondamentale à notre sens si l’on se positionne comme de gauche, entre la légalité et l’éthique. Il s’agit du fait pour des mandataires politiques dit de gauche de créer des sociétés afin d’éluder l’impôt (donc la solidarité par la redistribution des richesses). Le cas a été illustré par les révélations dans la presse[11] sur le fait qu’André Gilles (d’autres noms comme celui de Jacques Vandebosch était cité mais l’affaire s’est cristallisée sur le député provincial) passait par une sprl dont il était le gérant pour être représenté au sein de conseil d’administration d’intercommunale à la place de l’être comme personne physique. Le but de l’opération étant purement financier puisque la rémunération liée à ses mandats passe de 50% à 33%, et même potentiellement 25%. Reconnu par tous les intervenants comme parfaitement légale, et même habituel dans le milieu des affaires, le cas n’a pas manqué d’interpeller sur la logique idéologique et l’éthique. Dans un contexte politique ou le PS se repositionne médiatiquement à gauche, cela a obligé Elio Di Rupo à intervenir et André Gilles a finalement du faire machine arrière, clairement contre son gré[12]. A noter également que d’autres ont reconnu en passant y avoir songé mais avoir renoncé en raison de complication… et non pour des questions idéologiques et éthiques.

On entend souvent dans les cercles liés à la social-démocratie des militants s’indigner sur le fait qu’il y aurait un acharnement sur les gens du PS et un oubli des gens du MR ou d’autres formations politiques. On est ici pour nous au cœur du débat éthique et de ce que représente la gauche. En effet la droite basant son idéologie sur le mérite et l’inégalité inévitable (voire souhaitable) ce type de pratique est conforme à leur vision de la société[13]. Par contre à gauche elle pose vraiment question comme nous l’avons déjà évoqué plus haut. Ce débat sur la rémunération des mandats – outre le fait que même quelqu’un ayant une force de travail exceptionnel n’a que 24 heures dans sa journée – pose également la question du partage du pouvoir et celle du revenu mensuel qu’atteignent des personnes censées représentées les classes populaires[14]. Notons ici qu’il ne s’agit pas de contester le travail effectué ni le fait qu’il doit être rémunéré mais de questionner l’écart qui se produit entre le revenu d’un allocataire social – soit une somme de plus en plus souvent inférieure au seuil de pauvreté - et celui d’un mandataire politique de gauche, donc de quelqu’un qui vise à l’égalité et à la redistribution des richesses.

Et la FGTB dans tout çà ?

Après avoir fait le point sur le concept de gauche, sa perception et son application, il est temps de voir s’il peut être appliqué au syndicat qui en Belgique se positionne et est perçu comme appartenant à la gauche[15]. Dans tout ce débat, le syndicalisme, et la FGTB en particulier a bien sa place. Ainsi la question éthique est-elle présente par des aspects déjà évoqués mais aussi via des cas comme la location de cars portant des plaques luxembourgeoises pour manifester, les frais de représentation des cadres syndicaux, la gestion de l’argent des affiliés (banque éthique ou à fort rendement financier…), etc.

A ce stade de notre article, il est peut-être important de rappeler que la FGTB n’est pas une association neutre. Ses origines officielles remontent à 1898 et à la création au sein du POB de la Commission Syndicale[16]. Si celle-ci impulse des créations, elle fédère (ou du moins tente de le faire), des groupes préexistants et qui s’étaient créés à la base. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, la FGTB est structurellement dépendante du POB, ce qui permet de bien comprendre la célèbre « motion Mertens » visant à exclure les Communistes de l’organisation syndicale. Mais à la sortie de la guerre, les choses ont évolué et la FGTB est née d’un processus de fusion de groupes issus de la Résistance, dont une forte proportion a rejoint les Communistes. Parmi les groupes cofondateurs le Mouvement Syndical Unifié (MSU), avec à sa tête André Renard[17], aura une influence énorme. Ce sera notamment le cas au moment de l’adoption en avril 1945 de la « déclaration de principe » qui reproduit quasiment mot pour mot celle du MSU publiée dans la brochure Pour la révolution constructive[18]. Cette influence se prolongera avec l’élaboration d’un véritable contre-programme économique, d’un vrai projet de société défendu lors de deux congrès en 1954 et 1956 qui mettront en place le programme dit « de réformes de structure » et dont la brochure Vers le socialisme par l’action est un condensé. La déclaration de principe constitue toujours la base doctrinale de la FGTB aujourd’hui, son ossature idéologique. Elle a en effet été confirmée dans le préambule aux statuts modifiés en 2006. Il nous semble intéressant de la passer en revue, article par article, non pas pour en faire une analyse exhaustive qui développerait tous les apports et les renvois à la situation de 1945 mais plus pour attirer l’attention sur certains éléments. Il s’agit donc d’une incursion visant à poser les balises d’un débat.

« 1. Emanation directe des forces laborieuses organisées, la FGTB proclame que l’idéal syndicaliste, visant à la constitution d’une société sans classes et à la disparition du salariat, s’accomplira par une transformation totale de la société. »

Il ne s’agit donc pas de réformer la société, mais bien de la changer complètement et ce pour aboutir à la fin du salariat, à la société sans classe, objectif donné dès le départ par le marxisme, doctrine indissociable de la FGTB. Il s’agit également de supprimer l’inégalité économique et le lien de subordination que crée le salariat.

« 2. Née de la lutte des classes, elle tient à souligner l’évolution de celle-ci en une lutte non moins vigoureuse de l’ensemble des producteurs contre une oligarchie bancaire et monopoliste, devenue maîtresse souveraine de tout l’appareil de production. »

Cet article réaffirme, à la différence de la doctrine de l’église notamment, que les classes sociales existent bien et qu’elles sont en lutte. Elle réinterroge également la question du prolétariat[19] (ou classe ouvrière) en l’articulant autour de la maîtrise de l’appareil de production, ce qui enlève des distinguos ouvrier – employé - fonctionnaire… qui sont ainsi définis comme des nuances au sein du prolétariat. Il préfigure également le programme des réformes de structure.

« 3. Dans un esprit d’indépendance absolue vis-à-vis des partis politiques et respectueuse de toutes les opinions, tant politiques que philosophiques, elle affirme vouloir réaliser ses buts par ses propres moyens et en faisant appel à l’action de tous les salariés et appointés en particulier et de toute la population en général, les intérêts tant moraux que matériels de la très grande majorité de celle-ci étant identiques ou parallèles à ceux des ouvriers, employés et techniciens. »

Cet article complète l’idée du précédent et introduit l’idée de l’action directe développée plus loin. Issue de l’anarcho-syndicalisme français, la théorie politique de l’action directe a pour origine les réflexions de l’utilisation de la propagande par le fait. Il s’agit, de manière individuelle ou collective, violente ou pacifique, de passer à l’action sans forcément attendre une autorisation d’une quelconque autorité supérieure, qu’elle soit institutionnelle, morale, hiérarchique…

« 4. Le mouvement syndical acceptera le concours du ou des partis qui joindront leur action à la sienne pour la réalisation de ses objectifs sans se considérer obligé à leur égard et sans qu’ils puissent s’immiscer dans la conduite de l’action syndicale. »

Cet article est le point central de l’affirmation de l’indépendance syndicale. C’est donc le syndicat qui cherche des alliances ponctuelles plus ou moins longues afin d’arriver à ses objectifs.

« 5. Le mouvement syndical veut réaliser un véritable régime de justice sociale visant à situer chacun à sa place dans la société. Pour assurer à chacun, en fonction de son travail et de ses besoins, la part de richesses qui lui revient, il déclare qu’il est indispensable de compléter la démocratie politique par une démocratie économique et sociale. A cet effet, il entend que le travail, créateur de toutes les valeurs et source de tous les biens, soit enfin considéré comme facteur primordial, les autres facteurs n’étant que subordonnés ou parasites. »

On retrouve ici le principe du communisme originel : « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». On retrouve également le fait que la démocratie politique (en clair le suffrage universel) ne doit pas être un but mais un moyen et doit donc être complété par la démocratie économique et sociale. Une des concrétisations en a été les élections sociales. Il réaffirme également la centralité du travail (la FGTB est la fédération du travail et non des travailleurs !) qu’il faut ici surtout entendre en opposition avec le capital et la puissance de l’argent.

« 6. Ses origines, son caractère et les permanences de son idéal, le désignent pour être l’élément moteur principal de cette révolution constructive. »

De nouveau, comme pour l’art. 3, les influences du syndicalisme révolutionnaire (Charte d’Amiens, œuvre de Georges Sorel…) transparaissent.

« 7. Dans un esprit de justice, il répudie formellement les fausses valeurs, comme les droits de naissance et d’argent, consacrées par le régime capitaliste. De l’exploité, réduit à vendre sa force de travail, il veut faire un libre participant à l’oeuvre commune de production. »

Il y a donc un refus clair des inégalités sociales et un message d’émancipation pour le prolétariat.

« 8. Il s’attachera dès lors, selon ses conceptions à amener la création d’organismes dont le but final doit être de donner aux forces de travail la gestion de l’économie transformée au bénéfice de la collectivité. »

On a ici l’affirmation de la volonté d’une certaine planification de l’économie, de la création d’outils publics, d’outils de régulation au minimum et de nationalisation au maximum. Le programme des réformes de structure proposait ainsi la nationalisation des secteurs énergétiques. Une idée on ne peut plus intéressante à l’heure de la privatisation du secteur du gaz et de l’électricité et de la hausse des prix qui s’en est suivi[20].

« 9. Le syndicalisme n’entend pas supplanter les partis dans leur action politique. C’est en leur qualité de producteur qu’il fait appel aux travailleurs, car c’est de leur condition économique que dépendront leurs perspectives de développement social, intellectuel et culturel. »

Outre l’indépendance syndicale, cet article insiste sur la division des rôles et l’action directe des syndicats. On y retrouve ce que nous disions pour les art. 3 et 6, mais aussi une application syndicale de la phrase écrite par Marx en introduction des statuts provisoires de l’Association internationale des travailleurs en 1864 : « l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».

« 10. Pour mener à bien cette tâche émancipatrice, il ne doit avoir à subir aucune contrainte, c’est pourquoi il se refuse à son intégration à quelque degré que ce soit, dans un quelconque système corporatif. »

L’ambiguïté par rapport à la collaboration de classe et à une organisation regroupant patrons et ouvriers dans une même structure est levée. Ce qui pose la question de toutes les structures de concertation et de négociation trop souvent considérées comme des structures de partenariat. Dans cette logique, il serait plus juste de parler « d’interlocuteurs sociaux » et de réfuter l’expression « partenaires sociaux »[21]. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, cet article est aussi un rejet clair de la conception défendue par l’extrême droite.

« 11. Le syndicalisme accepte l’idée de nation et, dans le cadre d’une démocratie politique, économique et sociale, il prendra ses responsabilités, en vue du maintien et du renforcement de la démocratie. »

Cet article entérine un cadre de lutte géographique déterminé et justifie toutes les actions et campagnes face à la résurgence de l’extrême droite[22].

« 12. Il estime que la socialisation des grands trusts bancaires et industriels s’impose et qu’il convient également d’organiser, diriger et contrôler le commerce extérieur. »

On retrouve ici une mesure typiquement de gauche, et qui fut défendue par la social-démocratie à l’époque où la CGER et le Crédit communal existaient encore. Comme avec l’article 8 qu’il complète, il s’agit de réaffirmer que la transformation totale de la société énoncée à l’article 1 comprend des étapes concrètes dont cet article donne des exemples à méditer en 2008.

« 13. Rejetant l’idée de la gestion étatique ou bureaucratique, il entend que la gestion des entreprises nationalisées soit confiée aux travailleurs (techniciens, employés et ouvriers) et aux consommateurs, préalablement organisés au sein de Conseils de direction et de coordination de l’économie nationale. »

On a ici une idée originale, même si on peut y retrouver l’inspiration des Soviets, qui répond aux critiques liées à la gestion des services publics ou aux dérives souvent dénoncées des républiques socialistes. L’idée se rapproche des thèses autogestionnaires qui auront surtout un écho à la fin des années 60.

« 14. Le mouvement syndical belge poursuivra la réalisation de ses buts et objectifs en collaboration avec les organismes syndicaux internationaux se réclamant de la démocratie. »

L’internationalisme originel du mouvement ouvrier n’est donc pas oublié malgré l’art.11. S’il est destiné à se distinguer des syndicats corporatistes toujours existants, notamment dans la péninsule ibérique, il pose également la question du rapport conflictuel entre le bloc communiste et le bloc capitaliste et de la position de la FGTB à ce niveau. Ce débat sera tranché structurellement en 1949 lorsque la FGTB rejoint la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) créée à l’initiative de l’AFL-CIO américaine afin de sortir de la Fédération syndicale mondiale (FSM) créée en 1945 et qui comprenait les syndicats communistes.

« 15. Afin de libérer le travailleur de la crainte sociale et de lui donner la garantie qu’en échange de son labeur, il sera prémuni contre les fléaux et les maux résultant de sa condition, le mouvement syndical défend non seulement les réformes de structure et la transformation de la société capitaliste mais aussi les revendications immédiates des travailleurs. »

Ce dernier article est des plus intéressants car il revient sur une dialectique dont nous avons déjà parlé plus haut : celle entre le changement global de la société qui ne doit pas empêcher d’avancer concrètement sur des objectifs précis. En d’autres termes, d’une dialectique souvent mal comprise et qui vise à dépasser la caricature d’une opposition indépassable entre idéologie et pragmatisme, entre théorie et pratique. L’important est de bien percevoir que, comme la démocratie politique, les objectifs précis sont des étapes, des moyens et non le but en soi. C’est souvent dans ce choix entre la contradiction principale et les contradictions secondaires que les erreurs d’analyse se font. La contradiction principale est clairement définie dans le texte de la déclaration de principe, et ce de manière explicite au 1er et dernier article, comme la société capitaliste. Nous revenons ainsi à la conclusion que nous donnions au récent débat sur ce qu’est la gauche lorsque nous y mettions principalement l’anticapitalisme comme seule posture crédible.

« Conscient de la grandeur de sa mission humanitaire, le syndicalisme se déclare apte à mener à bien ces tâches multiples, car il forme par le bloc indivisible des forces du travail, l’un des éléments de base de la société de demain. »

Le choix de société, les valeurs, la méthode, contenu dans ce texte nous semble sans ambiguïté et à notre sens toujours d’actualité (si ce n’est éventuellement sur certains termes).

Conclusion

En conclusion de cet article, il est temps de répondre à la question de départ : la FGTB est-elle de gauche ? Si pour le PS, et plus largement pour les partis sociaux-démocrates, les discussions sur cette question peuvent être sans fin, il n’en est pas de même pour la FGTB où les choses sont plus évidentes. Tant au niveau de son image que de ses positionnements historiques, il apparaît que la FGTB s’inscrit bien dans le champ global de la gauche. Sur le plan idéologique et théorique, la « déclaration de principe » que nous avons analysée marque une étape importante à une période historique de radicalisation des positionnements au sein de la société belge. Ce texte répond indiscutablement aux critères que nous avons évoqué pour classer la FGTB à gauche. Il est significatif ici que cette « déclaration de principe » n’ait pas été modifiée et ait été maintenue comme texte de référence jusqu’à aujourd’hui. Une autre question est celle de répondre sur la question des pratiques et de leurs adéquations avec ce texte théorique. Une réponse ferme et définitive est ici impossible car elle dépend des périodes, des régionales, voire même des secteurs ou des entreprises. Ainsi il est loin d’être évident que la position des métallurgistes de la province de Liège et les textes théoriques de la FAR, comme la brochure Tournons la page éditée pour la deuxième fois en 1982 et qui proposait notamment une alternative reposant sur le plein emploi, dans une autre croissance, dans une autre société, puisse être considéré comme exemplatif de ce qu’est la FGTB.

Notes

[1] Vincent de Coorbyter, Le clivage droite-gauche in Le Soir du 29 janvier 2008.

[2] La Libre Belgique du 19 décembre 2007

[3] La gauche peut-elle encore changer la société ?, n°50 de la revue Politique, juin 2007. Pour une analyse de ce numéro très important, nous nous permettons de renvoyer vers notre article Après deux numéros spéciaux de Politique : En avant vers les Etats généraux de la gauche in Politique n°51 d’octobre 2007 dont la version intégrale est disponible sur notre blog : http://juliendohet.blogspot.com/2007/10/aprs-deux-numros-spciaux-de-politique.html

[4] Voir notre article : Nouveau FN, vieille idéologie in Aide-mémoire n°43 de janvier-février-mars 2008, p.7

[5] Stengers, Jean, L’origine de la droite et de la gauche dans la vie politique belge au XIXe siècle, in Jean Stengers, Belgique. Europe. Afrique. Deux siècles d’histoire contemporaine. Méthodes et réflexions. Recueil d’articles édité par Jean-Marie Duvosquel, Alain Dierkens et Guy Vantemsche, Bruxelles, RBPH, 2005, p.271

[6] Maurice Agulhon, La gauche, l’idée, le mot, in Jean-Jacques becker et Gilles Candar (s.d), Histoire des gauches en France, Paris, La Découverte, T.1, p.29

[7] Noberto Bobbio, Droite et gauche. Essai sur une distinction politique, Paris, Seuil, 1996

[8] L’avenir de la gauche. S’arracher à l’emprise de la gauche pro-capitaliste. Entretien avec Christian Arnsperger in Démocratie n°21 du 1er novembre 2007, p.6. Article qui montre que l’obstacle des piliers semble pouvoir être dépassé sur certaines positions socio-économiques.

[9] Maurice Agulhon, La gauche,… op.cit. p.27

[10] Id, p.32. Pour rappel le congrès de Tours du 25 décembre 1920 voit la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) se rallier majoritairement à la IIIe Internationale communiste tandis qu’une minorité, surtout composée des parlementaires et autres élus, décide de rester au sein de la IIe Internationale social-démocrate. En Belgique la question ne se posera guère devant la faiblesse des partisans de la IIIe internationale au sein du POB.

[11] Deux mandataires PS adeptes de la sprl in Trends Tendances du 22 novembre 2007. Voir ensuite Paul Vaute, Les mandats d’André Gilles en débat in La Libre Belgique du 27 novembre 2007, Jean-Paul Bombaerts, Ces maïeurs adeptes de la sprl in L’Echo du 8 décembre 2007 et Philippe Engels, La loi et ceux qui s’en moquent in Le Vif/L’express du 1er février 2008. Notons encore que sur un autre plan et via un autre angle d’attaque les démarches de Marc Uyttendaele envers le PS relève du même questionnement éthique.

[12] Les cumulards renoncent aux sprl in La Libre Belgique du 29 janvier 2008.

[13] Notons cependant que même Didier Reynders sur www.mr.be recommande à ses mandataires de ne pas pratiquer « l’engineering fiscal ».

[14] Voir Joël Matriche, Lucratifs mandats publics in Le Soir du 24 janvier 2008.

[15] Nonobstant ici le fait que dire « syndicat de gauche » peut apparaître comme un pléonasme.

[16] Voir Un siècle de solidarité 1898-1998. Histoire du syndicat socialiste, Bruxelles-Gand, FGTB-Ludion-Labor-IEV-Amsab, 1997

[17] Voir Pierre Tilly, André Renard, Bruxelles, Le Cri, 2005

[18] Outre le livre précité de Pierre Tilly, voir celui de Robert Moreau, Combat syndical et conscience wallonne. Du syndicalisme clandestin ou Mouvement Populaire Wallon (1943-1963), Bruxelles, Vie ouvrière-IJD-FAR, 1984.

[19] Question fortement d’actualité. Voir par exemple : Classes sociales : retour ou renouveau ?, Coll. « Espace Marx », Paris, Syllepse, 2003 et Classe ouvrière, salariat, luttes des classes, Coll. « Les cahiers de critique communiste », Paris, Syllepse, 2005

[20] Voir les textes du Mouvement le Ressort : La grande gabegie de l’énergie in La Libre Belgique du 9 mars 2007 et Une initiative publique indispensable in L’Echo du samedi 15 décembre 2007.

[21] Voir sur les questions de vocabulaire Les nouveaux mots du pouvoir. Abécédaire critique, Bruxelles, Aden, 2007 et Mateo Alaluf Dictionnaire du prêt-à-penser, Bruxelles, EVO, 2000 ainsi que sa chronique du même nom dans Politique.

[22] Voir par exemple www.lacible.be