-->
Vous trouverez rassemblés sur ce blog tous les textes que j'ai publié ainsi que quelques inédits et les annonces de mes conférences. Pour me contacter : julien.dohet@skynet.be
dimanche 18 octobre 2009
Tintin-Degrelle. Une idéologie au-delà de la polémique (1) :
-->
Assassinat de Julien Lahaut : la vérité historique sacrifiée sur l’autel de la crise
Le Soir de ce mercredi 15 octobre a publié une carte blanche d'un collectif réclamant une nouvelle fois toute la lumière sur l'assassinat de Julien Lahaut. Sur ce dernier voir sur ce blog sa biographie
Le 18 août 1950. Deux hommes frappent à la porte du domicile de Julien Lahaut. Ils demandent à « parler au Camarade Lahaut ». Le député communiste s’avance vers eux. En bras de chemise. La main tendue. Fraternel. Des coups de feu claquent. Julien, no’s Julien comme l’appellent les travailleurs du bassin de Liège, tombe. Assassiné.
Les funérailles rassemblent quelque 100.000 personnes. Des arrêts de travail ont lieu partout en Wallonie. L’industrie liégeoise est à l’arrêt. L’émotion populaire témoigne de l’immense charisme de ce dirigeant ouvrier hors du commun.
Quelques jours avant le crime, lors de la cérémonie d’investiture du jeune Baudouin, les députés communistes s’étaient manifestés en criant un vibrant « Vive la République ! ». Il s’agissait là d’une ultime protestation suite à ce que l’on appelle « l’Affaire royale », provoquée par le retour de Léopold III, le roi collabo, qui déchira le pays et déboucha sur l’abdication de ce dernier, au profit de son fils aîné, Baudouin.
Les assassins de Julien ne furent jamais retrouvés. Le crime reste impuni.
À la même époque, le secrétaire général du Parti communiste japonais était assassiné ; les dirigeants communistes français et italien, Jacques Duclos et Palmiro Togliatti avaient été eux aussi la cible d’attentats, vraisemblablement orchestrés par la CIA. Dès lors, l’assassinat de Julien Lahaut avait-il été le fait de la répression anticommuniste qui sévissait partout dans le monde à la fin des années 40, avec la montée de la guerre froide ?
Autre hypothèse : la droite léopoldiste rendit Julien Lahaut responsable du crime de lèse-majesté commis lors de l’investiture de Baudouin. Cet assassinat était-il donc l’acte de revanchards léopoldistes ? Isolés ou bien commandités par la Sécurité, voire le Palais ?
Longtemps, l’on se perdit en conjectures. Et ce n’est que plusieurs décennies plus tard, dans les années 80, que deux historiens flamands, Etienne Verhoyen et Rudi Van Doorslaer reconstituent la trame de ce meurtre ignoble dans un ouvrage dense et très documenté, L’assassinat de Julien Lahaut. Une histoire de l’anticommunisme en Belgique (EPO) et révèlent connaître l’identité de l’assassin depuis décédé. Le nom est cependant tu pour ne pas nuire à la famille.
Tous les éléments sont alors sur la table pour rouvrir l’enquête, démasquer les assassins et leurs éventuels commanditaires et enfin rendre la justice pour cet ignoble assassinat politique. Ce que réclament depuis 1950, avec les communistes, de très nombreux démocrates. En vain. Malgré l’évidence, la justice va rester sourde, aveugle et muette et la classe politique – à de rares exceptions près – va se retrancher dans un refus obstiné de connaître la vérité. Pour quelle raison ? Raison d’Etat ? Crainte de voir éclaboussée la Couronne ? Si tel est le cas, il s’agit là d’un déni de justice, un déni de démocratie. Indigne !
En 2005, à l’occasion du cinquante-cinquième anniversaire de l’assassinat, la constitution d’une commission d’enquête parlementaire est réclamée. L’époque semble être en effet plus propice à une certaine transparence et la Belgique prête à rouvrir quelques pages sombres de son histoire, comme pour l’assassinat de Patrice Lumumba… La demande est appuyée par de nombreuses personnalités politiques, syndicales et associatives, et relayée par les sénateurs Ecolo Josy Dubié, socialiste Philippe Moureaux et CD&V Pol Van Den Driessche. Si la proposition d’une commission parlementaire est rejetée par le Sénat, une étude scientifique est décidée à l’unanimité en décembre 2008. Le CEGES (Centre d’Etudes et de documentation Guerre et Sociétés contemporaines) est pressenti pour mener cette étude. Une somme de 396.000 euros étalés sur trois ans est prévue.
Las, le prétexte de la crise est passé par là. La ministre de la Politique scientifique, Madame Sabine Laruelle (MR) refuse de débloquer les budgets sans passer par l’avis du gouvernement. Exit donc l’étude scientifique. Le directeur du CEGES, Rudi Van Doorslaer apprend la nouvelle par la presse.
Cette décision est choquante. L’argument financier est fallacieux. Ainsi donc la vérité historique et la justice ne vaudraient pas une telle somme, pourtant bien dérisoire étalée sur trois ans. Celui de la priorité scientifique l’est tout autant. Alors que la décision était prise à l’unanimité, la chose est suffisamment rare pour être soulignée, l’étude commandée n’est soudain plus prioritaire. Qui croira une telle fadaise quand des milliards ont été dilapidés en quelques jours pour sauver les banques ?
Ne faut-il pas voir au contraire dans cette décision une revanche de ceux qui s’étaient vu contraints d’accepter l’étude mais qui n’ont jamais renoncé à maintenir le dossier clos ?
La décision de Madame Laruelle est une décision politique. Elle constitue un recul déplorable par rapport à l’espoir de vérité qu’offrait cette étude commandée par le Sénat. Elle rejette un voile d’opacité sur une blessure de l’histoire que le pouvoir refuse toujours lâchement de traiter.
Nous ne laisserons pas assassiner Julien Lahaut une nouvelle fois. Nous ne nous tairons jamais. Une démocratie digne de ce nom ne peut laisser béante une plaie de son histoire. Cette vérité-là n’a pas de prix, Madame Laruelle ! Faute du courage politique d’apprendre la vérité, une suspicion dommageable à maints égards subsistera toujours. Vous devez respecter la volonté du Sénat exprimée en décembre 2008 et débloquer les fonds pour permettre cette étude scientifique.
dimanche 11 octobre 2009
L’heure ou leurre de la régularisation ?
« Il est infiniment plus facile de prendre position pour ou contre une idée, une valeur, une personne, une institution ou une situation, que d’analyser ce qu’elle est en vérité, dans toute sa complexité. » Pierre Bourdieu (Contre-feux, 1998).
Un « compromis » a été trouvé au sein du gouvernement fédéral à la mi-juillet 2009 afin de « régler » (vraiment ?) le sort des demandeurs d’asile en Belgique. Une autorisation de séjour pourra être accordée aux étrangers engagés dans une procédure depuis 3, 4 ou 5 ans selon leur situation, ou à ceux vivant une situation humanitaire urgente. S’en est suivie une commission parlementaire où l’odieux s’est permis de concurrencer l’absurde. Les nationalistes flamands y ont évoqué un « triomphe des francophones ». Des chiffres s’y sont échangés, tous plus improvisés, contradictoires et pseudo-crédibles les uns que les autres. Combien d’étrangers vont donc pouvoir bénéficier de cette potentielle « manne céleste » que serait l’octroi d’un titre de séjour ?
Triste spectacle que ces querelles d’apothicaires. On attend toujours un débat prenant un peu plus de hauteur, susceptible de fonder sur cette question une véritable politique, au-delà du sempiternel « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».
Car de quelle misère parle-t-on lorsqu’il s’agit des potentiellement régularisables, des non-régularisables, des nouvellement arrivés sur le territoire, des « expulsables » ou futurs expulsés… ? « Eux » quoi, les « étrangers » !
D’abord, il est tout bonnement insultant d’associer à « toute la misère du monde » des personnes qui pour la plupart ont précisément choisi de la quitter (rares sont en effet les migrants qui disent vouloir importer « toute la misère du monde » dans nos sociétés « exemplaires »…). Souvent, ils/elles ont quitté un pays où l’espérance de vie n’atteint pas les 40 ans… pour tenter de rejoindre un pays où elle frôle 80 ans. Est-ce critiquable ? Bien souvent, les migrants portent l’espoir de survie matérielle d’une famille restée au pays. Ils sont par définition riches d’un parcours humain, d’une culture, de l’apprentissage de l’altérité, d’un courage aussi de vouloir s’en sortir. Souvent enfin, ils sont établis sur le territoire de notre pays depuis un temps certain et ont fini par s’y « enraciner ». N’est-il pas du ressort de l’État de reconnaître ses responsabilités en la matière ? Est-ce scandaleux d’écrire cela et de revendiquer davantage d’ouverture (d’esprit, tout d’abord) ?
Mais déjà l’on entend les voix courroucées de nos immanquables contradicteurs : « Le paragraphe précédent est bourré d’images d’Epinal ! » Ah oui, vraiment ? Alors reprenons le débat… mais pas par le petit bout de la lorgnette. Ne débattons pas de l’arbre qui cache une forêt, et donc du leurre que constitue une mesure ponctuelle de régularisation. Mais repartons bien de la base du problème : une inégalité criante entre les pays « nantis » et les pays « pauvres » – il faudrait d’ailleurs, pour être exact, parler plutôt de pays appauvris.
Postulat : l’ouverture des frontières pour les citoyens ne serait pas une utopie et serait même gérable dans un monde où les richesses seraient équitablement réparties. Partant de là, de deux choses l’une : soit on renonce à cet objectif, et on arrête pragmatiquement et définitivement les aides au développement. Soit on continue à y croire… mais alors en faisant les efforts requis, qui passent nécessairement par l’annulation inconditionnelle de la dette du tiers-monde. Pragmatique, non ? Simple anecdote (quoique…) : les pays du Sud sont en ce moment davantage aidés par leurs émigrés via Western Union que par l’intermédiaire des misérables aides publiques consenties par les États du Nord qui, simultanément, poursuivent des politiques iniques qui perpétuent la misère et l’exploitation [1] : « Les pouvoirs publics des pays en développement ont remboursé l’équivalent de 94 fois leur dette de 1970, alors que dans le même temps elle a été multipliée par 29. La dette a cessé d’être la cause du remboursement équitable d’un prêt octroyé dans des conditions régulières pour devenir un instrument de domination très adroit, dissimulant racket et pillage » [2].
Mais en attendant l’égalité entre les peuples, revenons à la réalité de notre petite économie nationale en décortiquant trois idées reçues
- Les régularisations seraient de nature à générer un « appel d’air » pour de nouveaux migrants potentiels.
Sur quels exemples de régularisations ces « on-dit » s’appuient-ils ? Pas sur celui de la régularisation belge de 2000, en tout cas, ni sur ceux d’expériences récentes de régularisation dans d’autres pays européens.
- Les étrangers viennent « prendre » les emplois des Belges. Que l’on s’occupe d’abord de nos pauvres « à nous » !
Migrants et autochtones précarisés sont en fait les victimes d’une même logique économique. La plupart des travailleurs en situation irrégulière viennent alimenter les réseaux du travail au noir en Belgique [3] (dans la construction, l’horeca, le nettoyage, la cueillette, la prostitution…). Alors… où le problème se situe-t-il ? Chez ces personnes qui sont exploitées ? Ou chez les employeurs et les réseaux qui organisent ces systèmes parallèles ? Pourquoi les contrôles portent-ils principalement sur l’identité des exploité-e-s ? Pourquoi une initiative n’est-elle pas prise (comme cela a été le cas pour la traite des êtres humains) afin de protéger les victimes qui dénoncent un réseau ou une organisation qui deviendrait de facto identifiable ? L’existence et l’ampleur du travail au noir ne grèvent-elles pas une partie non négligeable des revenus de l’État ? N’est-ce pas en outre le travail au noir qui génère une distorsion entre les travailleurs (belges ou étrangers) et une baisse globale de la qualité de vie de ceux-ci [4] ? Alors pourquoi les sanctions pour les employeurs qui y ont recours sont-elles si légères ? Bref, n’est-ce pas là que le bât blesse ? De par son caractère manifestement limité, cette régularisation-ci risque d’ailleurs de perpétuer le problème. Les sans-papiers qui craignent de ne pas entrer dans les critères assez restrictifs déterminés en juillet par le gouvernement continueront à se faire exploiter. Et tant que les responsables du travail au noir ne seront pas réellement inquiétés, les passeurs continueront à se faire grassement payer pour acheminer quelques rescapés vers l’« eldorado » européen où ils pourront trimer. Dans quelques années, une nouvelle opération de régularisation sera donc indispensable. Manque de réflexion d’ensemble, disions-nous ?
- Les étrangers viennent profiter de notre système !
Une famille de sans-papiers résidant en Belgique rapporte chaque année plusieurs milliers d’euros à l’État belge (directement à travers la TVA et les accises sur les produits consommés, indirectement via les impôts sur les produits issus du travail ou les loyers payés). Pourquoi ces données semblent-t-elles si faciles à oublier ? Comme par exemple celles de la dénatalité et de ses conséquences futures sur notre beau système ?
Beaucoup de questions pour un seul texte. Il nous semble toutefois plus que légitime de les poser et elles concernent un grand nombre de vies trop peu souvent ou insuffisamment prises en compte. Une exception toutefois : l’étude récente de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) de l’UCL montre que régulariser des sans-papiers aurait globalement des conséquences positives sur l’économie et l’emploi [5]. D. de la Croix, co-auteur de cette étude, affirme même « qu’invoquer des arguments économiques pour ne pas régulariser les sans-papiers est complètement erroné et que, donc, les véritables arguments sont simplement idéologiques ».
A méditer, non ?
Notes
[1] Au niveau mondial, l’aide publique au développement s’est élevée en 2007 à 104 milliards de dollars, tandis que les fonds envoyés par les émigrés du Sud établis dans des pays du Nord se sont chiffrés à 251 milliards de dollars (pour les seuls transferts opérés par les circuits institutionnalisés). Dans le même temps, soulignons aussi que les pays du Sud ont remboursé 190 milliards de dollars au titre de service de la dette extérieure publique, soit près du double de ce qu’ils ont reçu en aides au développement. CADTM, Les chiffres de la dette 2009, p. 11
[2] D. Millet, E. Toussaint, 60 questions, 60 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, CADTM-Syllepse, 2008
[3] Sur cette délocalisation sur place, voir E. Balibar et al., Sans-papiers, l’archaïsme fatal, Paris, La Découverte, 1999, et I. Ponet, Un tiers-monde à domicile, Bruxelles, Fondation Lesoil, 2000.
[4] Voir I. Ponet, « On est tous des travailleurs », in J. Faniel, C. Gobin, C. Devos, K. Vandaele (coord.), Solidarité en mouvement. Perspectives pour le syndicat de demain, Bruxelles, ASP, 2009
[5] D. de la Croix, F. Docquier, B. Van der Linden, « Effets économiques d’une régularisation des sans-papiers en Belgique », in Regards économiques, 72, septembre 2009