mercredi 7 juillet 2010

Derrière les statistiques, des êtres humains

Cet article a été publié dans Espace de Libertés n°388 de juillet 2010, p.33

Le dernier livre de Florence Aubenas[1] caracole à la tête des meilleures ventes. Si l’on ne peut s’empêcher de penser que le nom de son auteure y est pour beaucoup, il a le mérite de mettre en lumière une réalité que l’on préfère souvent oublier.
C’est de cette réalité humaine, masquée dans les médias par les statistiques du chômage, qu’un collectif d’écriture issu de la commission des Travailleurs Sans emploi de la FGTB du Luxembourg nous permet de mieux appréhender dans un livre plein d’humanité[2].
Les personnes qui s’y expriment dans des textes courts, aux styles variés, veulent toutes témoigner de leur réalité. Elles veulent montrer qu’elles essaient de continuer à vivre, qu’elles entendent résister à la non-existence à laquelle on les renvoie constamment de par leur absence de travail rémunéré. Comme dans le livre d’Aubenas, ce qui ressort de ces témoignages, c’est la grande perte de confiance en eux des personnes précarisées. Le fait que ces écorchés de la vie se sentent complètement exclus du monde, d’où une colère contenue mais réelle sur la société et sa réalité.
En filigrane de ce livre, on retrouve deux éléments. D’une part l’absurdité, la déshumanisation totale d’un système économique, le capitalisme, qui détruit aussi bien les personnes qui travaillent que celles qui ne travaillent pas. D’autre part, que le capitalisme a réussi à détenir une position hégémonique, à devenir une pensée unique qui s’est infiltrée partout, y compris au sein des syndicats comme le montre ce questionnement d’un animateur de la FGTB : « Lorsque je rentre de mes périples, quand je donne des séances d’information sur le contrôle des chômeurs à travers la province, mon chef me demande invariablement : « alors, combien ? » Ce qui signifie : combien de personnes se sont déplacées ? Et à chaque fois il a l’air déçu en entendant ma réponse. Moi, j’ai envie qu’il me demande : « Alors, comment était-ce, as-tu rencontré de belles personnes, ont-elles pu s’exprimer, de vraies choses ont-elles été dites, entendues, partagées ? » J’ai aussi envie qu’il me dise : « Raconte-moi ta journée, je sais que tu as un travail difficile et je voudrais partager ton fardeau ». Mais non, il me demande : « Combien ? »[3] Un livre à lire, pour son humanité mais aussi pour la réalité à laquelle il nous renvoie.

Notes

[1] Voir notre recension Immersion en grande précarité in Espace de Libertés n°385 d’avril 2010, p.28

[2] Paroles de chômeurs. Écrits d’inutilisés, Cuesmes, Le Cerisier, 2010, 100 p.

[3] P.45

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