lundi 17 décembre 2012

Le retour du concept de “Banksters”

Cet édito de 6com a été publié le 17 décembre 2012

Dernier édito pour 2012. Fin décembre, on souhaite traditionnellement les bons vœux et une bonne année. Mais la situation socio-économique et politique de cette fin d’année permet-elle de faire dans le futile ? Surtout au vu de ce qui se profile dès le tout début de 2013. Une année qui sera loin d’être de tout repos pour tous ceux qui luttent contre la régression sociale et se battent pour une société basée sur une redistribution des richesses permettant l’émancipation sociale, économique et intellectuelle de toutes et tous. Les dossiers ne manqueront pas, et ce dès le jour de l’an passé. Pas le temps de digérer que l’Accord interprofessionnel sera au cœur du débat. Premier dossier d’une longue série comprenant notamment celui de l’harmonisation des statuts employés/ouvriers. Le tout dans un contexte économique qui s’annonce difficile. Les effets de la crise des subprimes de 2008 ne cessent de monter en puissance. 2012 a été la première année où ce qui s’est passé au niveau de la finance internationale et de ses bidouillages destinés à créer de l’argent sur du vide s’est concrétisé au niveau des entreprises. L’économie virtuelle a donc eu des impacts gravissimes sur l’économie réelle. Et cela risque de s’aggraver encore en 2013. Ceux qui paieront la note finale, seront les travailleurs. C’est-à-dire nous toutes et tous.

2008-2012. Quatre années pour que les effets de l’éclatement d’une bulle spéculative aux USA touchent les travailleurs belges de plein fouet. Les Grecs, les Espagnols, les Portugais… subissant déjà depuis plusieurs mois voire années la situation.

1929-1933. Quatre années pour que les effets de l’éclatement d’une bulle spéculative aux USA touchent les travailleurs belges de plein fouet, faisant exploser le chômage à près de 40 % de la population active, jetant des milliers de travailleurs à la rue et à la soupe populaire avant de les jeter dans les bras du Fascisme.

Contrairement à une idée reçue, l’histoire ne se répète jamais. Car le monde bouge, les situations changent. Mais lorsqu’une situation socio-économique est similaire, les situations politiques se retrouvent également avoir des proximités. Une montée des inégalités met toujours à mal une paix sociale qui n’est possible que via la cohésion sociale réalisée par une répartition équitable des richesses. Et nous ne devons jamais oublier que le Fascisme, réaction de Droite face à la montée du communisme, s’est nourri du désarroi de la classe moyenne qui voyait ses espoirs d’ascensions sociales réduits à néant.

Je ne développerai qu’un seul exemple. Ouvrant le Trends de cette semaine quelle n’est pas ma surprise de découvrir un article dénonçant les banques comme les auteurs de méga hold-up, principalement contre les États. Comme souvent dans la presse écrite aujourd’hui, ce qui se présente comme un article de fond est en fait une recension d’un ouvrage. En l’occurrence celui de Paul Vacca, La société du hold-up. Le nouveau récit du capitalisme paru aux Mille et une nuits. Ce n’est pas la thèse de l’article qui m’interpelle ici. Mais bien le fait que le journaliste , relayant les propos de l’auteur, utilise pour qualifier les agents de la finance internationale de «Banksters ». Et voici le Trends utiliser un vocable fasciste des années 30.

Car le terme de « Banksters » est très loin d’être neutre. Il est au cœur de la campagne du Front National français pour les élections européennes du 7 juin 2009 avec une affiche « Contre l’Europe des Banksters ». Mais ce slogan du FN était déjà une récupération d’un vieux slogan de l’extrême droite. En effet, il est une des expressions qui firent le succès d’un certain Léon Degrelle, fondateur et führer du parti Rexiste qui connut une éphémère victoire électorale en 1936 en Wallonie et à Bruxelles sur le temps que son équivalent du VNV connaissait un succès comparable en Flandre. Degrelle, dont l’organe politique Le Pays Réel faisait référence à la distinction établie par Charles Maurras, royaliste français d’extrême droite, entre le Pays légal et le pays réel.
Ce terme de « Banksters » Degrelle l’utilisa, accompagné de la symbolique du balai, en 1936 dans une brochure attaquant le Ministre Segers qu’il accusait « d’être un cumulard, un bankster, un pillard d’épargne et un lâche ». Degrelle ne semble pourtant pas être l’inventeur de ce bon mot capable de frapper les esprits et d’être apprécié et repris par des gens n’étant pas d’extrême droite. C’est à Ferdinand Pecora, le président de la commission du Sénat Américain ayant enquêté sur les origines du Krach de 1929 que l’on attribue la paternité. Son rapport est à l’origine d’une loi votée à l’initiative du président Roosevelt obligeant la séparation entre banques de dépôts et banques d’investissements. Un débat purement historique dont tout rapport avec une situation existante en 2012 serait tout à fait fortuit…

Par ce petit exemple, on voit – outre ce que la connaissance de l’histoire peut nous apporter comme grille d’analyse pour nourrir notre réflexion - une nouvelle fois l’importance du choix des mots. Le fait que ceux-ci sont connotés et rarement neutres. Une réflexion essentielle à la veille de mobilisation sociale importante. Car les années 30 et l’histoire de notre propre organisation montrent que les situations de crise peuvent parfois déboucher sur des dérives idéologiques importantes et des alliances contre nature. Une affiche du milieu des années trente éditée en commun par le Parti Ouvrier Belge (ancêtre du PS) et la Commission Syndicale Belge (ancêtre de la FGTB) montrait ainsi un homme légèrement vêtu, aux cheveux clairs et à la musculature saillante utiliser un balai pour « balayez le gouvernement des banquiers »…

Prenons donc bien garde dans les mois à venir à continuer à ne pas confondre message simple, accessible et porteur avec slogan simpliste.

lundi 19 novembre 2012

Sortir le nez du guidon

Cet édito de 6com est paru le 19 novembre 2012


Ce mercredi 14 novembre, les travailleurs étaient mobilisés partout en Europe contre l’austérité. Les modalités de l’action furent différentes selon les pays, voire au sein d’un même pays, et l’on peut regretter que cela ne fut pas partout une grève générale de 24h. Cela fut cependant une première importante dans la construction d’un mouvement social européen venant, progressivement et encore trop lentement, s’opposer de manière structurée et coordonnée à l’Europe capitaliste. Au-delà des frictions internes à notre organisation et avec les autres organisations syndicales, ce 14 novembre peut être l’occasion de sortir un moment notre nez du guidon et de nous interroger plus globalement. C’est donc à un kaléidoscope de sujets que cet édito vous propose de vous interroger et d’avoir l’envie d’aller plus loin que les quelques lignes qui suivront.
Et tout d’abord, un lien facile avec la question de la construction d’un syndicalisme international efficace qui serait un vrai contre-pouvoir combatif. C’est une des nombreuses pistes qui sera étudiée lors d’un colloque les 23 et 24 novembre. Ce colloque « le syndicalisme dans sa dimension internationale » se déroulera à l'Institut de Sociologie de l'ULB . Au cours de la première journée, les conférenciers aborderont le thème des articulations du syndicalisme au niveau national, régional et mondial. La seconde journée, quant à elle, aura pour sujet la diversité des stratégies de lutte pour l'action internationale. Une bonne manière de confronter théorie et pratique et de s’interroger pendant deux jours sur l’avenir d’un syndicalisme qui ne se contente pas d’être de service ou de lobbying.
Cette question des lobbys et de leur rôle d’influence faussant le processus démocratique est au cœur de plusieurs études récentes, notamment d’un film documentaire qui fut au centre de la soirée de rentrée du monde associatif liégeois au Parc et qui a été diffusé ensuite sur la RTBF, à une heure malheureusement fort tardive. Brussels Business montre bien comment le pouvoir de l’argent corrompt complètement un processus présenté comme démocratique. Il doit nous interpeller comme syndicalistes qui luttons pour une autre Europe. D’autant que le lobbying exercé par des groupes issus de la société civile, dont la Confédération Européenne des Syndicats (CES), apparaît bien faible face aux moyens financiers colossaux qu’y consacrent les multinationales qui n’hésitent pas à s’allier pour être encore plus efficaces. À la veille de votes importants sur le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) en Belgique, avoir conscience que les règles du jeu sont faussées doit guider nos stratégies.
Le niveau européen mérite donc bien plus d’attention de notre part. D’autant qu’il influence fortement les dossiers nationaux au cœur de nos mobilisations actuelles. Pensons à toutes les recommandations de la Commission Européenne ou de l’OCDE, à la règle d’or, à la loi de 1996 sur la compétitivité… qui ont un effet direct non négligeable dans des dossiers comme celui de l’Index et de la norme salariale.
Mais au-delà de questions nous touchant directement ou indirectement, au niveau belge ou européen, nous ne pouvons ignorer ce qui se passe dans le monde. Je ne prendrai ici que deux dossiers.
Tout d’abord, de l’autre côté du globe les grèves très dures et violentes menées dans plusieurs secteurs par les travailleurs exploités d’Afrique du Sud. Ce conflit social très important passe actuellement des mineurs aux travailleurs agricoles. Loin d’avoir résolu les inégalités sociales, l’apartheid illustre une fois de plus combien une démocratie politique doit être complétée par une démocratie économique et sociale. Ce qui est très loin d’être le cas en Afrique du Sud. Le massacre par les forces de l’ordre de plus de 30 manifestants à Marikana le 16 août a démontré également que l’expression politique des groupes sociaux exploités n’était toujours pas tolérée dans ce pays. Dans le secteur minier hier, comme dans le secteur agricole aujourd’hui, un des éléments qui doit nous interroger est que ces mouvements de masse se font en dehors de structures syndicales établies, bien trop proches du pouvoir que pour percevoir la réalité du malaise social des travailleurs.
Refuser de voir, pour les gouvernements en place, ou d’expliquer, pour les médias, les réalités socio-économiques qui permettent de comprendre la réalité est aussi ce qui se passe avec le conflit israélo-palestinien. Le massacre qui se prépare dans la bande de Gaza doit également nous interpeler et nous faire réagir. Car présenter les choses comme « une réaction proportionnée d’un état agressé par des terroristes » est une vision totalement biaisée des choses. Mais au-delà de la disproportion totale des forces en présence, le cœur du problème est que l’on ne résoudra pas le désespoir de la jeunesse palestinienne, obligée de survivre dans une prison à ciel ouvert sans perspective d’un avenir meilleur, par un déluge de feux détruisant le peu de structure étatique existant dans la bande de Gaza. Eh oui, en tant que syndicalistes belges nous pouvons jouer un petit rôle. En prenant clairement parti pour celles et ceux qui sont du mauvais côté du manche, pour les opprimés et non les oppresseurs. C’est d’ailleurs ce qu’avait fait la FGTB lors de son dernier congrès en se positionnant pour dénoncer au sein de la CSI le rôle du syndicat israélien Histadrut.
Un édito de 6com n’est pas l’endroit pour être exhaustif sur ce type de problème. Mais cela ne doit pas empêcher de lancer des pistes de réflexions et d’élargir quelques fois notre horizon.

L'idéologie derrière la carte postale



 Cet article a été publié dans le n°62 de la revue Aide-Mémoire d'octobre-décembre 2012, p.11
Il a été rédigé avant l'affaire du sapin de Noël de la ville de Bruxelles mais l'éclaire d'une manière particulière par un de ses passages.

Cette chronique, malgré son objet, essaie toujours d’être en lien avec l’actualité politique du moment. C’est ainsi que cette fois-ci nous traiterons d’un ouvrage abordant la guerre civile espagnole et le Franquisme, prolongeant ainsi les dernières activités développées par les Territoires de la Mémoire.

Un auteur et un genre peu suspect d’idéologie. Et pourtant !
Un des buts de cette chronique est de mieux appréhender l’idéologie d’extrême droite dans toutes ses nuances et de montrer que, comme toute idéologie, elle se véhicule sous plusieurs formes. Au-delà des livres théoriques ou politiques proprement dit, nous avons notamment déjà abordé la BD[1] et le roman de guerre[2]. Nous illustrerons cette fois-ci notre propos avec un récit de voyage[3].
Son auteur, ou plutôt son auteure,  est une écrivaine française ayant reçu le prix Femina en 1906  à l’âge de 21 ans. De son vrai nom Andrée Magdeleine Husson, André Corthis n’est donc pas n’importe qui puisqu’elle fréquente Mauriac, Colette et Duhamel dans l’entre-deux guerres.  Si le livre est écrit avant le début de la guerre, son avant-propos date du 28 octobre 1940, soit après le début de l’occupation de la France par l’Allemagne. Et malgré que le titre du premier chapitre s’intitule « ni droites, ni gauches »[4], son plaidoyer de départ en faveur de l’action du Maréchal Pétain comme guide de la France place directement le livre d’un côté de l’échiquier politique. « Il faut avoir vu s’agiter, enflammé par de tels discours, empoisonné, le troupeau redoutable de celles et de ceux qui, ne sachant ni lire, ni écrire, capables seulement de signer d’une croix ou de leur pouce appuyé, se voyaient accorder, de par les vertus du suffrage universel, le droit de décider des destinées de leur pays. (…) Et je respire l’odeur, pire cent fois que celle des charniers remplis par les fusillades rouges, l’odeur de pourriture morale qui infestait ce pays et qui était faite de la désagrégation de toutes les grandes choses qui valent la peine de vivre et de mourir : religion, famille, patrie, cependant que l’excessive augmentation des salaires et la diminution excessive des heures de travail ruinaient les usines et remplissaient les cabarets. »[5]. La haine du rouge est palpable dans l’ensemble du livre[6]. Le socialisme est vu moins comme un danger sur le plan économique que comme un danger idéologique contre le poids de la religion. Les crimes attribués aux rouges, les destructions dont ils se sont rendus coupables émaillent l’ouvrage : «à Madrid, il n’est pas de famille où l’on ne pleure un mort. (…) Combien de temps durera – en admettant qu’il soit possible - l’horrible recensement des charniers autour de la capitale ? (…) Dès l’avènement du front populaire, tout ce qu’il y avait de meilleur en Espagne, phalangistes, requêtes ou simplement amis de l’ordre, chrétiens, patriotes, avait été arrêté. Les prisons regorgeaient »[7]. Le moment le plus fort du voyage est bien entendu l’Alcazar de Tolède dont la résistance est développée durant de longues pages. Et la réécriture de l’histoire n’est jamais loin : « Guernica. La ville sainte. Le problème de sa destruction n’est pas résolu encore après tant de mois »[8]. Sans oublier la petite pointe d’antisémitisme et d’antimaçonnisme : « Son erreur (à Primo de rivera père) fut de prendre la franc-maçonnerie « à la blague » à cause de ses rites ridicules. Et c’est la franc-maçonnerie qui, avec l’aide des Juifs et des Rouges, a empoisonné et tenter de perdre l’Espagne »[9]
Si la figure de Franco est bien entendu omniprésente, c’est celle d’Antonio Primo De Rivera qui est au centre d’une véritable adoration de l’auteure qui en parle comme d’un prophète. Elle visite d’ailleurs la prison où il est mort comme si elle se rendait en pèlerinage. Mais à travers son témoignage, on appréhende combien Franco au début de son règne s’est servi de cette image pour asseoir sa propre autorité. La dictature mise en place via un parti unique recueille l’adhésion de l’auteure qu’il est difficile de ne pas considérer comme d’extrême droite après des passages comme celui-ci : « Sur la route, un camion militaire passe, chargé de soldats. Tous devant le charnier font le salut franquiste, ce salut si noble de la main qui s’ouvre et qui s’élève. Ces bras dressés, là-bas qu’étire et multiplie le brouillard, font songer à la pousse toute neuve parmi l’horreur de ce désert hanté de quelque vivace et frémissante forêt. »[10]. Et de démontrer son aveuglement porté par son adhésion idéologique lors de l’interview d’un dirigeant où elle se déclare avoir été impertinente par sa question, mais dont la reprise de la réponse sans contestation laisse pantois : « La liberté de la presse existe-t-elle en Espagne ? - Mais, bien entendu… Dans la mesure où nous nous conformons aux lois de l’amour pour le Caudillo et du respect pour l’état espagnol… Qu’est-ce que c’était d’ailleurs que la liberté accordée par la République si ce n’est celle d’encourager le libertinage et l’insubordination ? Quant aux droits, parlons-en. On n’avait même plus celui de vivre. »[11]
Même si André Corthis est une femme écrivaine, et donc quelque peu émancipée, sa vision du rôle de la femme dans la société est particulièrement rétrograde. L’auteure est une catholique traditionnaliste qui va jusqu’à se réjouir que le retour aux vrais valeurs ait fait supprimer le sapin de Noël, symbole païen. Elle s’épanche longuement dans son récit sur toutes les marques de retour en arrière de l’Espagne qui fuit la modernité corruptrice de l’âme : « La tradition, toujours… il n’est rien, pas un détail, un projet, où ce pays, acharné à se retrouver, néglige de lui revenir. L’un des qualificatifs les plus répétés, les plus souvent imprimés de la Phalange, n’est-il pas le mot : « traditionnaliste ». »[12]. Dans ce cadre, la femme se doit de n’être qu’à la maison. Elle se réjouit d’ailleurs que Franco aie supprimé le divorce et l’école mixte, entre autre. Et de mettre en avant une des organisations du parti : « A ce service (l’auxilio social) toute femme non mariée de dix-sept à trente-cinq ans, est conviée plutôt qu’astreinte, car cela n’est pas obligatoire encore, mais est en voie de le devenir. Il y a certains emplois de l’état auxquels déjà on ne peut accéder qu’après l’avoir rempli. Et il est question de refuser, à celles qui voudraient s’y soustraire, l’autorisation de se marier… La durée est de six mois. Quelle que soit la classe à laquelle on appartienne, il est une occasion de perfectionnement. La jeune bourgeoise apprend à mieux connaître les questions ménagères, s’occupe des malades et des accouchées pauvres, fait la cuisine pour elles, chez elles, soigne leurs enfants. Tandis que l’ouvrière et la paysanne reçoivent les rudiments ou le supplément d’instruction qui les aideront à mieux s’organiser dans la vie. A celles-ci on apprend de plus, ce qui est charmant, à embellir leur foyer, fussent-elles dépourvues de tout moyen»[13]. Tout un programme , complété par le fait que l’auteure se montre opposé au Suffrage Universel[14], et au droit de vote des femmes : « Celui que je fis il y a cinq ans, alors que sévissait le suffrage universel et que les femmes votaient. N’est-ce pas dans cette ville (à Valence) que j’ai rencontré quelques-unes de ces trop récentes affranchies dont le délire politique avait emporté le bon sens ? N’est-ce pas ici que Victoria Kent faisait ses discours incendiaires, que Libertad Blasco Ibanez, la fille de l’écrivain, proclamait son horreur des prêtres et des églises ; ici qu’une avocate de vingt-deux ans me déclarait avec une définitive assurance : « moi, je suis libre-penseuse ! » Le résultat auquel sont arrivées ces dames et le pauvre troupeau par elles égaré, nous l’avons pu constater. Les traces en sont partout. Comme ailleurs elles désolent, assaillent (…) »[15] Et d’enfoncer le clou sur l’absurdité du Suffrage Universel en l’accusant de la responsabilité de la guerre civile : « Et les élections de février [1936] – 50% d’illettrés parmi les électeurs et les électrices !...- amenèrent le désastreux triomphe du front populaire. On sait ce qui ne tarda pas à suivre : l’assassinat depuis longtemps redouté, de Calvo Sotelo ; le gouvernement aussitôt armant la lie du peuple et jusqu’aux anarchistes par peur du légitime soulèvement des casernes ; et le pays s’embrasant dans toute son étendue »[16]

Par cet ouvrage, on constate une nouvelle fois que l’idéologie d’extrême droite peut être distillée dans des médias apparemment anodins dont le caractère romanesque amoindrirait le propos. Au point de ne plus y voir de mal comme avec Gilles de Drieu la Rochelle, roman antisémite qui glorifie également le rôle de la Phalange dans la guerre civile espagnole. Il nous démontre que nous devons être constamment vigilants. Au niveau des idées, mais aussi des mots : « Celles qui commandent le font avec la même gentillesse que mettent à obéir les subordonnées. « Camarade », c’est le nom par lequel entre elles comme entre eux se désignent les phalangistes. J’avoue n’apprécier pas beaucoup ce mot qui pour nous évoque tout le contraire je crois, de ce qui règne ici. Mais saint Augustin n’a-t-il pas dit que les mots étaient « des vases exquis et précieux… » ? La forme peut rester la même, le contenu varie, et le contenu seul importe ».[17]

Notes

[1] Quand la neutralité est riche d'idéologie in A-M n°54 d'octobre-novembre-décembre 2010
[2] Le Militaria, porte d'entrée de l'idéologie d'extrême droite in A-M n °46 d'octobre-novembre-décembre 2008
[3] André Corthis, L’Espagne de la victoire, Paris, Fayard, 1941, 252p.
[4] Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in A-M 31 de janvier-février-mars 2005
[5] P.8
[6] L’anticommunisme d’un transfuge in A-M n°59 de janvier-mars 2012
[7] P.49
[8] P.23
[9] P.186
[10] P.53
[11] P.230
[12] P.89
[13] P.90
[14] Le refus de la démocratie parlementaire in A-M n°37 de juillet-août-septembre 2006
[15] Pp.214-215
[16] P.16
[17] P.102

lundi 15 octobre 2012

Deux démocraties se confirment

Cet édito de 6com est paru le 15 octobre 2012

Fin de soirée électorale, l’heure de tenter un premier bilan.
Forcément incomplet vu la diversité des situations selon les communes. Forcément incomplet vu que tous les résultats ne sont pas connus ou ne sont pas encore facilement analysables. Et donc propos qu’il s’agira d’affiner, voire de corriger, dans les prochains jours.
Mais tentons ici de dégager quelques pistes d’analyses selon notre regard de syndicaliste, selon notre calendrier, selon nos enjeux à nous.
Et comme certainement tous les autres, je commencerai par la situation en Flandre. La percée de la NVa est confirmée. Elle est cependant moins spectaculaire que certains sondages ne l’annonçaient. Le CD&V se maintient ce qui est un gage de stabilité pour le gouvernement flamand auquel participe, il est peut-être bon de le rappeler, la NVa. Cette dernière semble clairement siphonner le Vlaams Belang de son électorat nationaliste réduisant celui-ci à sa frange national-raciste. Mais la NVa va aussi mordre sur l’Open-VLD. Mais si le poids de la NVa grandit c’est par rapport à 2006 et non par rapport à ses derniers résultats. Son ancrage local est donc devenu ce dimanche une réalité. Mais une réalité qui ne se transcrira pas forcément par beaucoup de participation à la majorité communale. Ainsi à Anvers, De Wever va devoir prendre ses responsabilités mais devra composer avec d’autres formations. Et une ville comme Gand échappe au parti nationaliste. Succès réel, mais pas tsunami politique donc.
Pour nous syndicaliste francophone, ce succès de la NVa doit cependant nous ouvrir les yeux. La Flandre confirme son virement nationaliste que certains continuent de nier. Loin d’avoir apaiser les appétits, la 6e réforme de l’état (qui pourtant, outre l’institutionnel pure, ouvre des brèches dans le caractère fédéral de la sécurité sociale et des politiques d’emploi) ne semble qu’une pause qui pourrait s’avérer de courte durée. Ce dimanche soir, le discours de De Wever (comme les débats sur les chaines flamandes) était d’ailleurs clair : « il faut avancer vers une plus grande autonomie de la Flandre ». Il est donc très important que les francophones entendent le message et ouvrent les yeux afin de préparer leur avenir. Et les délais risquent d’être très court, les élections de 2014 étant déjà à l’horizon.
La Flandre confirme donc sa droitisation. Alors que Bruxelles et la Wallonie confirme une réalité plus à gauche.
Au niveau francophone, on peut constater qu’Ecolo gagne son pari d’un meilleur ancrage communal, notamment en augmentant son nombre de bourgmestre. Le PS, lui, vit une réalité contrastée. Si son score global est relativement bon (y compris sur Bruxelles) et que le nombre de majorités qu’il va diriger reste très appréciables, certains enjeux symboliques sont perdus qui font mal en terme d’image : Schaerbeek, Namur, Nivelles et Sprimont peuvent ici être cités. Mais aussi plusieurs communes, dont Ans (ou le FDF décroche pour l’anecdote un de ses élus en Wallonie), où la majorité absolue est perdue parfois avec des pertes très conséquentes. Enfin, en terme d’équilibre entre wallon, un élément sera à affiner dès demain : le fait que le centre de gravité du PS se trouve clairement dans le Hainaut et non à Liège. Une réalité qui pèsera aussi dans les débats futurs entre camarades.
Avant de terminer par un des faits marquants de cette soirée électorale qui est la percée électorale de la « gauche de gauche », un petit mot sur des résultats qui doivent nous interpeller et nous inviter à la vigilance démocratique. Si l’extrême droite s’effondre par rapport à 2006, elle ne disparaît pas pour autant du paysage politique. Ni en Flandre où le VB existe toujours et où l’on peut (et doit) se poser la question du passage massif de son électorat, voire de certains de ses élus, à la NVa, ni en Wallonie et à Bruxelles. À l’heure d’écrire ses lignes, il m’a été impossible de vérifier commune par commune. Mais il apparaît que malgré les condamnations, l’extrême division, l’absence de capacité à déposer des listes et l’interdiction d’utiliser le sigle très porteur FN, l’extrême droite a malgré tout réussi à obtenir des élus. À Dison avec Wallonie d’Abord et dans le Hainaut avec LePen. D’autres peut-être que l’on découvrira demain. Auxquels il faut ajouter les élus du Parti Populaire : un à Trooz et un à Verviers, au moins. Autre fait qui doit questionner les laïques, l’arrivée d’élus (à Anderlecht et Moleenbeek au minimum) sur une liste Islam.
Je terminerai sur un des faits marquants qui doit interpeller le monde syndical dans sa réflexion sur ses relais politiques : la percée du PTB. Si celui-ci s’était installé ces derniers mois dans les médias donnant ainsi une caisse de résonance à sa présence sur le terrain auprès des travailleurs, aucun observateur n’avait imaginé un tel nombre d’élus. Dans le Hainaut et à Bruxelles la progression paraît significative. En région liégeoise, il passe de 3 à 12 élus. La situation à Liège est particulièrement intéressante dans le cadre d’une reconstruction d’un rapport de force à gauche qui ne pourra que bénéficier au mouvement syndical. En effet, les deux élus du PTB sont rejoints par un élu de Véga, coopérative politique au projet audacieux construit en quelques mois et qui apporte une série de propositions innovantes dans le champs politique. Et ce qui est réjouissant dans cette arrivée surprise de trois nouveaux élus, c’est que ceux-ci ne font pas ce que certains syndicalistes reprochent souvent à ces formations politique, à savoir le jeux de la droite en déforçant le PS. Car, à Liège, c’est à la droite (MR et FN) que les trois sièges sont pris ! Trois sièges qui renforcent donc la gauche et qui pousseront le PS (qui se renforce également avec un siège de plus) à être encore plus attentif aux revendications du monde du travail. Le mouvement syndical, au vu des enjeux extrêmement important qui l’attendent, aura bien besoin de toutes les forces de gauche à ses côtés.
Le contrôle budgétaire et l’Accord Interprofessionnel seront deux moments où nous pourrons à nouveau voir qui sont les élus, dans chaque partis, qui relaient nos positions, qui défendent le monde du travail. Car, comme dans le dossier ArcelorMittal, au-delà des mots ce sont d’actes concrets dont les travailleurs ont aujourd’hui besoin pour se dire que la démarche citoyenne qu’ils ont exercés ce dimanche a encore un sens. C’est de cela que les élus de ce dimanche doivent se souvenir les six années qui viennent. L’inverse ébranlerait encore plus la démocratie qui doit se questionner sur le nouveau taux records de l’abstention (on parle de 20% pour Liège. Un électeur sur cinq !) qui est peut-être, plus que le vote blanc que l’on peut encore qualifier de geste politique, la vrai gagnante de cette élection.

samedi 6 octobre 2012

Marxiste et non marxisant. Et encore moins marxien.

Dans mon profil, je mentionnais jusqu'à présent le fait que je me qualifiais de "marxisant".
Plusieurs personnes, surtout des camarades, m'ont interpellé à ce sujet. Ma réponse était que j'avais utilisé ce terme pour souligner que je ne me prétendais pas spécialiste de Marx dont je n'ai pas la prétention d'avoir lu l'ensemble de l’œuvre.
Mais depuis quelques semaines, le débat en Belgique sur le marxisme semble quelque peu relancé. Et alors que des lectures et des échanges avec l'un ou l'autre me faisaient déjà réfléchir à changer le terme, l'article Comment peut-on encore être marxiste paru dans Le Soir d'aujourd'hui m'a décidé. Je ne voudrai en effet pas que le qualificatif de "marxisant" soit assimilé à celui de "marxien".
Et donc clairement, oui je suis marxiste dans le sens que j'adhère aux idées développées par Marx et Engels (duo indissociable même si seul le premier à donner son nom au courant qu'ils ont élaboré. Dès son origine le "marxisme" ne peut donc se réduire aux écrits d'un seul homme. Et il a continué à évoluer ensuite) qui constituent un socle d'analyse politique mais aussi philosophique, économique et sociologique du monde. Un socle et non une doctrine figée. Pratiquer la dialectique imposant de constamment confronter théorie et pratique, doctrine et réalité de terrain.

jeudi 30 août 2012

Le droit de vote, une conquête inachevée

C'est le titre de la conférence que je donnerai le

jeudi 6 septembre 2012 

à 19h30 dans le cadre d'une exposition organisée par le PAC Rocourt sur 100 ans d'affiches électorales.
La conférence sera suivie du vernissage de l'exposition.
L'adresse du jour : Centre culturel communautaire, Rue de l'arbre courte joie, 40 à 4000 Rocourt.

samedi 21 juillet 2012

La spiritualité au cœur de la doctrine


 Cet article a été publié dans le n°61 de la revue Aide-Mémoire de juillet-septembre 2012, p.11

Nous l’avons déjà abordé à plusieurs reprises dans cette chronique, l’extrême droite est un mouvement politique pluriel qui à partir d’un noyau idéologique commun peut prendre des formes différentes. C’est ainsi que s’y côtoient des païens[1] et des ultra-chrétiens[2]. C’est un représentant de cette deuxième catégorie que nous aborderons cette fois-ci.
Une extrême droite roumaine « classique »
Dans les années 30, l’est de l’Europe connaît également la montée de parti basé sur le modèle fasciste italien et nazi allemand. En Roumanie, le fondateur de cette tendance sera Corneliu Zelea Codreanu (1899-1938). D’origine… polonaise, il se fera le chantre d’un nationalisme radical reprenant tous les ingrédients des partis fascistes : uniforme, salut, position du chef (ici surnommé « le capitaine »), antisémitisme, rejet de la démocratie parlementaire, dénonciation de la Franc-maçonnerie, anticommunisme… Ce dernier point est d’ailleurs important dans le parcours de Codreanu qui, au sortir de son engagement dans la première guerre mondiale, s’inscrit en faculté de Droit et s’engage dans des mouvements antibolchéviques allant jusqu’à participer à des opérations contre des syndicalistes au sein de groupe de briseurs de grèves. Outre l’antibolchevisme, son engagement se marque par une adhésion importante à la Religion orthodoxe comme ferment de la nation Roumaine. En juin 1927, il prend son indépendance en fondant la « Légion de l’archange Michel », qui sera vite plus connue sous le nom de « Garde de fer »[3]. Rapidement, il dote son mouvement d’un paravent politique nommé « Tout pour la Patrie » via lequel il est élu député en 1931. Le climat en Roumanie tourne rapidement à une guerre civile larvée où les attentats meurtriers entre factions politiques se multiplient. En 1938, le gouvernement roumain alors allié à l’Angleterre et à la France estime que le mouvement de Codreanu pourrait être une cinquième colonne en cas de conflit et le fait arrêter, puis condamner, pour finalement l’assassiner. C’est alors Horia Sima qui prendra la direction du mouvement des légionnaires[4].
Deux mois de prison
Nous avons ici choisi de traiter pour la troisième fois d’un livre de prison[5], en l’occurrence ici celui racontant les deux mois de détention, du 19 avril 1938 au 19 juin 1938 de Codreanu[6]. Si notre édition date de 1986, la première édition du livre sera liée aux retournements d’alliances au sein des partis fascistes durant la guerre : « Treize ans après le martyre du capitaine à Jilava, nous publions ses notes du temps où il fut enfermé dans cette prison. Elles ont été publiées pour la première fois en Allemagne, à Rostock, sous forme d’une brochure tirée sur la pierre. Il nous a été impossible de les faire publier typographiquement, à cette époque là. Le gouvernement allemand avait pris l’engagement envers Antonesco de nous garder dans des camps de concentration, et aussi d’empêcher toute manifestation légionnaire dans la presse européenne »[7]. Le livre comprend les aspects traditionnels d’un récit de prison, avec l’ennui, les conditions extrêmes, le surinvestissement dans la relation avec un animal (ici de petits oiseaux)… Au-delà de ces aspects, l’ouvrage permet à Codreanu de dénoncer ce qu’il considère comme une injustice et, outre ses conditions de détention qu’il juge trop sévère, la parodie de justice qu’il doit subir : « à ma grande surprise, j’ai pris connaissance de ce qu’il a été ouvert contre moi une action publique pour deux délits : 1° Avoir armé les citoyens pour provoquer la guerre civile, 2° m’être mis en rapport avec un Etat étranger, pour provoquer la révolution sociale en Roumanie. Bien entendu aucune de ces accusations ne renferme la moindre vérité »[8]. Et de dénoncer les obstacles mis pour avoir un contact avec ses avocats : « Chaque avocat ou témoin, s’attendait, d’un moment à l’autre, à être enlevé, arrêté et envoyé dans un camp de concentration (…) Tandis que le réquisitoire du Procureur, fait par d’autres et seulement lu par lui, fut tiré immédiatement en éditions spéciales, publié par ordre supérieur et sous la menace de suspendre les journaux récalcitrants et lu, in intergrum, à la radio, la parole de la défense fut écoutée par le Conseil de guerre dans une salle vide, et ne bénéficia dans la presse que d’entrefilets. »[9] Il insiste cependant sur le fait que malgré tous ces obstacles, il a balayé pendant une intervention de sept heures tous les arguments retenus contre lui. Et de s’étonner de la peine prononcée par le tribunal militaire le condamnant à 10 ans de travaux forcés : « Je ne sais pas s’il a déjà existé, dans la vie publique de la Roumanie, un homme qui fût attaqué avec tant d’acharnement, de fureur et de mauvaise foi, par toute la presse et par toutes les officines judéo-politiciennes, comme je le fus moi, depuis mon arrestation et pendant toute l’instruction, dans le but de préparer l’opinion publique à ma condamnation. »[10]. On notera au passage l’expression antisémite.
Chrétien avant tout
Mais durant tout ce temps, il explique ne penser qu’à son mouvement, se forgeant clairement une figure de martyr : « Cependant, je sens dans leurs yeux qu’ils comprennent toute ma tragédie intérieure. Ils se rendent compte de l’importance de l’inculpation qui m’accable et de la responsabilité qu’implique la direction d’un mouvement de plus d’un million d’âmes, dans lequel est en jeu le sort d’une nation ; et ils comprennent les douleurs qui transpercent mon cœur pour les miens et pour chacun des centaines et même des milliers de Légionnaires qui, en cet instant, éprouvent les mêmes âpres tourments »[11]
Afin de tenir le coup, ce fervent chrétien affermit encore plus sa croyance : « Ainsi, heure après heure, la chair se déssèche sur moi… Grandit cependant, dans mon cœur, la foi en Dieu. Je prie chaque jour la Sainte Vierge et Saint Antoine de Padoue, grâce aux miracles desquels j’ai échappé à la mort en 1934 »[12]. Il se sert beaucoup de la prière : « Je prie (…) pour les combattants légionnaires, les vieux et les jeunes, ces héros et martyrs de la foi légionnaire, arrachés à leurs maisons et conduits qui sait dans quelles prisons… (…) et à la fin, m’apparaît Ciumeti, avec le groupe des légionnaires martyrs tombés à cette époque »[13]. La note 11, précise à qui fait allusion Codrenau : « Ciumeti et les autres, assassinés par la police en 1933-1934, après le châtiment de Ion Duca ». Le « châtiment » ici évoqué est le meurtre du premier ministre roumain par les légionnaires et « l’assassinat » le résultat du jugement contre les auteurs de ce crime politique. Belle illustration de l’importance des mots et du fait que, selon le camp où l’on se trouve, la vision et l’interprétation d’un même fait peuvent varier. Cette différence dans le jugement porté se reflète encore plus dans un autre extrait, significatif alors que tout le livre est basé sur la plainte par son auteur d’être traité « illégalement » : « Les pauvres maisons des légionnaires furent tant de fois violées que, pour rétablir la justice, dans la Roumanie de demain, le nom de « légionnaire » devra devenir sacré. Aucune force publique ne pourra arrêter un légionnaire, ni pénétrer dans sa maison. En cas de délit, seul son chef hiérarchique pourra pénétrer chez lui et décider son arrestation. C’est un indiscutable droit à réparation que méritent les porteurs de ce nom, tellement dénigré, piétiné et injustement traité aujourd’hui »[14]. Soit la promesse d’une justice partisane par quelqu’un qui la subit et la dénonce au moment même où il rédige ces lignes.
Ces aspects pourraient paraître anecdotiques si nous ne touchions pas avec ceux-ci un des aspects important du Fascisme, à savoir le côté spirituel de sa doctrine qu’il oppose souvent à l’aspect rationnel du Marxisme, à l’héritage des Lumières. C’est ce que souligne dans son texte introductif Horia Sima : « Les notes de Jilava, précisent, sous une forme qui ne laisse aucun doute, le sens profond de la sagesse légionnaire : le spirituel ne peut pas être détaché du politique : les dispositions intérieurs de l’individu, ses impulsions surnaturelles, doivent trouver une correspondance dans les aspirations de la vie collective. (…) Toute la tragédie de l’humanité provient de la dissociation de ces deux éléments, de la fausse conception d’une Histoire faite en dehors de Dieu, sous prétexte que les lois sociales seraient différentes de celles qui gouvernent l’homme intérieur. »[15]. Ou, dans une version plus lyrique, la préface qui place, au passage, Codreanu sur un piédestal classique du chef fasciste : « Son effort de chaque instant ressemble à un affrontement sans merci entre le bien et le mal, entre les forces dévorantes des ténèbres et la gloire indestructible de la lumière céleste. Réduit à l’état végétatif des condamnés par le bon vouloir des forces obscures qui dominent le monde, LUI, l’homme de granit, de vision et de volonté, souffre le calvaire de l’impuissance et du doute. »[16].
Cette importance de la religion, de la spiritualité, dans le Fascisme n’est pas une nouveauté pour cette rubrique. Tout comme l’anticommunisme qui s’exprime dans ce dernier extrait qui illustre aussi le désarroi de Codreanu lorsqu’il comprend qu’il est lâché par la hiérarchie orthodoxe roumaine : « Je ne sais pas si l’on peut qualifier autrement le discours adressé à la jeunesse par le Patriarche Miron Cristea, dans lequel celui-ci condamne avec des mots très durs le Mouvement Légionnaire. L’Eglise orthodoxe prend une attitude ouvertement hostile à la jeunesse roumaine. Comment ne pas penser à la condamnation que l’Eglise catholique jetait, par la voix de ses évêques, sur le mouvement nationaliste d’Allemagne, un an ou deux avant la victoire d’Adolf Hitler ? Quoi qu’il en soit, c’est douloureux, extrêmement douloureux. Lutter pour l’Eglise de ta Patrie, aux confins du monde chrétien, alors que l’incendie qui brûle les églises d’à côté étend ses flammes jusqu’à nous »[17], subissant ainsi le même sort que Léon Degrelle[18] ou Charles Maurras[19].



 Notes
[1] Voir La tendance païenne de l’extrême droite in A-M n°38 d’octobre-novembre-décembre 2006.
[2] Voir Un nationalisme religieux : le Portugal de Salazar in A-M n°24 d’avril-mai-juin 2003 et La pensée « contrerévolutionnaire » in A-M n°36 d’avril-mai-juin 2006.
[3] Corneliu Z Codranu, La Garde de fer, Grenoble, Omul Nou, 1972, 470 p. Reprint de l’édition parue à Paris aux éditions Prométhée en 1938
[4] Voir Le bilan du nationalisme in A-M n°39 de janvier-février-mars 2007.
[5] Voir Le procès de Nuremberg était-il juste ? in A-M n°25 de juillet-août-septembre 2003 et Le « résistantialisme », un équivalent au négationnisme in A-M n°44 d’avril-mai-juin 2008.
[6] Corneliu Zelea Codreanu, Journal de prison. Puiseaux, Pardès, 1986, 79 p.
[7] P.13, Préface de Horia Sima écrite en juin 1951
[8] P.37
[9] P.48
[10] P.51
[11] Pp.20-21
[12] P.39. Allusion à son premier procès.
[13] P.23
[14] P.28
[15] P.14. Les notes de Jilava est le titre de la version originale du Journal de prison
[16] P.9
[17] P.52
[18] Voir « Tintin-Degrelle » une idéologie au-delà de la polémique in A-M n°50 d’octobre-novembre-décembre 2009 et n°51 de janvier-février-mars 2010.
[19] Voir De l’inégalité à la monarchie in A-M n°33 de juillet-août-septembre 2005.

lundi 18 juin 2012

Nous sommes devant nos responsabilités

En France le Front National fait donc ce soir son entrée au parlement dans le cadre d’un scrutin majoritaire. Le nom Le Pen s’inscrit clairement dans la durée puisque c’est la troisième génération qui est élue à Carpentras, ville symbolique s’il en est. Plus encore que l’élection de minimum deux de ses candidats, c’est le score global qui doit nous inquiéter, car il n’est pas très différent du score réalisé lors des présidentiels, signe d’un ancrage de plus en plus important. Mais c’est aussi, comme je le signalais dans mon précédent éditorial, le fait que l’UMP ait dit non à un front républicain et que de nombreux élus de la droite, à l’exemple de Nadine Morano, aient rejoint le discours haineux du FN et aient abandonné les valeurs républicaines.
En Belgique francophone aussi certains élus de Droite durcissent leur discours. Le dernier sujet en date étant le fait que l’armée devrait venir dans les rues pour aider la police dans certaines de ses missions. Au vu de la manière dont les antifascistes ont été traités par la police ce dimanche à Bruxelles, on ne peut que s’inquiéter. Car comme démocrate, l’armée dans les rues me donnent plus un sentiment d’insécurité que de sécurité. L’armée dans les rues me fait penser à la Grèce des colonels. La Grèce, où ce soir le lobbying européen semble avoir payé, mais où les menaces sur la démocratie sont bien réelles et ne viennent pas forcément de la montée du parti fasciste Aube Dorée en Grèce, mais plus des technocrates européens et de tous ceux qui martèlent qu’une seule voie est possible. Le TINA cher à Tatcher est à mon sens la plus grande menace pour la démocratie, une dictature de la pensée qui précède la dictature tout court. L’armée dans les rues me fait également penser au Chili où les nostalgiques du général Pinochet se sont récemment rassemblés à l’occasion de la sortie d’un documentaire à la gloire de l’ancien dictateur installé par les USA.
Une constante dans la bouche de l’UMP, du MR, des technocrates européens, des nostalgiques de Pinochet et de tous leurs semblables : il faut à tout prix faire barrage au Socialisme.
Je l’ai déjà exprimé à plusieurs reprises : la lutte contre les partis et les idées d’extrême droite doit être menée, mais ne doit pas être un cache-sexe pour la Gauche. Si nous devons dénoncer le discours de Droite et d’Extrême droite, nous devons surtout travailler à une gauche offensive, cohérente, en adéquation avec ses valeurs originelles. Nous ne pouvons nous contenter d’un discours « contre », mais devons avoir un discours « pour ». Nous devons également engranger des victoires. Il n’y a rien de pire que de susciter un espoir que l’on n’est pas capable de concrétiser ensuite. Car la déception des personnes que l’on a mobilisées peut alors avoir l’effet inverse à celui qui était recherché. C’est ce que je crains aujourd’hui le plus avec le nouvel échec du Front de Gauche, le deuxième en un mois, qui fait moins bien que le PCF il y a cinq ans et qui passe sous la barre des 15 députés nécessaires à la constitution d’un groupe parlementaire. Résultat concret qui s’ajoute à la défaite lourde symboliquement de Jean-Luc Mélenchon dans son opération de parachutage à Hénin-Beaumont qui risque fort d’être son « pont trop loin » à lui.
Aujourd’hui en France, la Gauche social-démocrate a tous les leviers du pouvoir. Si elle ne veut pas faire le jeu de la Droite et permettre une nouvelle poussée de l’extrême droite, il faudra qu’elle change réellement, radicalement, le quotidien des gens. Il faudra qu’elle change de politique économique et s’attaque au détricotage continu du pacte social issu du programme du Conseil National de la Résistance. Il faudra qu’elle en revienne à ses valeurs originelles de lutte contre les inégalités sociales, politiques et culturelles.

Car aujourd’hui, nous sommes clairement à un tournant. Nous sommes à l’aube, si nous n’agissons pas, d’un changement de régime. Le modèle social né, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, des combats menés par le mouvement ouvrier est remis en cause de plus en plus ouvertement. Et il semble que les partis sociaux-démocrates ne soient pas en mesure, essentiellement par manque de volonté et de conviction, de lutter contre cette évolution. C’est donc aux travailleurs eux-mêmes, revenant ainsi à la phrase de Marx dans les statuts provisoires de la Première Internationale, de prendre leurs sorts en mains. C’est un des éléments qui est ressorti du débat qui s’est déroulé vendredi salle Piron à partir de la position de la FGTB de Charleroi de ne plus considérer le PS comme son relais politique et d’appeler à un rassemblement des forces à la gauche du PS.
En clair, c’est dans la rue, par les mobilisations sociales, que le rapport de force pourra être inversé. C’est dans la rue, cette rue qui l’a vue naître, que nous pourrons revitaliser la démocratie. Ce sont les syndicats, et en premier lieu la FGTB, qui devront mener le combat contre la régression sociale, mais surtout pour une société plus juste passant par une meilleure répartition des richesses. Nous sommes aujourd’hui face à nos responsabilités, où que nous soyons, de syndicalistes. À la veille des congés d’été, où ceux qui en ont encore les moyens partiront en vacances, soyons conscient que de nouvelles mesures d’austérité budgétaire vont être prises durant les mois de juillet-août. Soyons conscients que le six packs européen devra être voté partout à l’automne. Sachons que les négociations sur l’Accord Interprofessionnelles seront difficiles. Bref, préparons-nous à devoir nous mobiliser pour défendre nos conquêtes sociales dès la rentrée. Et, osons rêver un peu, profitons-en pour réfléchir à un plan de mobilisation qui ne serait pas dicté par l’agenda et les sorties de l’adversaire, mais qui porterait sur notre projet de société et qui donnerait de l’espoir aux gens. Un espoir que la FGTB peut initier et incarner. Mais un espoir qu’elle ne peut décevoir au risque d’empirer la situation avec laquelle j’ai commencé cet édito.
Un dernier mot : la FGTB n’est pas une entité désincarnée. La FGTB, c’est nous tous ensemble. C’est donc aujourd’hui à nous de prendre nos responsabilités face au tournant historique auquel nous sommes confrontés.