mercredi 30 mai 2012

La gauche "extrême" en Belgique : du Parti libéral à la gauche anticapitaliste

C'est l'intitulé de la communication que j'avais faite lors d'un colloque à Rouen en mai 2011 avec Jean Faniel.
Le texte de notre communication vient de paraître dans les actes du colloque intitulé "Extrême" ? Identités partisanes et stigmatisation des gauches en Europe (XVIIIe-XXe siècle), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, 371 p.
Outre notre communication, cet ouvrage comporte 24 autres contributions sur le sujet.

lundi 21 mai 2012

Les idées d’extrême droite sont toujours inacceptables

 Cet édito de 6com est paru le 21 mai 2012

C’est ainsi que les Territoires de la Mémoire ont choisi d’intituler leur nouvelle campagne «Triangle Rouge » à la veille des élections communales et provinciales belges. Le principe en est simple et découle d’une évolution intéressante de la lutte antifasciste institutionnelle entamée depuis plusieurs années. Celle-ci ne se contente plus de combattre et dénoncer les partis clairement d’extrême droite, mais travaille à débusquer la pollution du discours dans les partis considérés comme démocratiques. 

Cette évolution de la lutte antifasciste est essentielle comme nous le montre la situation politique en Europe. Partout, des partis à l’idéologie d’extrême droite progressent et influent sur le débat politique. Les élections françaises sont ainsi très illustratives. Depuis plus de 20 ans le Front National progresse s’inscrivant durablement dans le paysage politique et se banalisant. L’élection de 2002 n’est, dans ce cadre, nullement un accident, mais au contraire une étape. Et en 2012 Marine Le Pen reproduit un score quasi identique après avoir réussi à être la seule candidate de l’extrême droite alors que son père dix ans plus tôt devait composer avec la dissidence de Bruno Mégret. Mais à l’inverse de 2002 où Jacques Chirac avait été ferme sur les principes républicains, on ne peut que constater que Nicolas Sarkozy a au contraire surenchéri sur les thèmes de la sécurité et de l’immigration. Ce n’est là pas une révélation, le quinquennat ayant été marqué par une droitisation importante non seulement du discours, mais également des politiques mises en place. La fin de la campagne pour la présidentielle n’est à ce niveau non pas une dérive, mais plus une continuation et un approfondissement d’une ligne politique assumée. Comme Jean-François Kahn l’a souligné dès l’annonce des résultats du second tour, le score de Nicolas Sarkozy est inquiétant, car il démontre qu’il séduit un large électorat sur une rhétorique qui rappelle les heures noires de la IIIe République. 

Trois courtes réflexions à ce propos : 

1° La porosité de la droite aux idées de l’extrême droite est une réalité qui s’explique par des proximités de discours, mais aussi par l’action organisée et structurée de militants d’extrême droite ayant compris qu’ils devaient quitter leur ghetto politique pour infiltrer la droite « classique » et ainsi faire passer leurs idées. C’est la stratégie suivie par des personnes qui se sont retrouvées ministres ou conseillers dans le gouvernement Sarkozy comme, par exemple, Gérard Longuet, Alain Madelin ou Patrick Buisson. La campagne Triangle Rouge prend acte de cette évolution et de cette stratégie en décidant de traquer les idées d’extrême droite où qu’elles se trouvent. 

2° Mais ne nous leurrons pas. La Gauche n’est pas immunisée contre les propos d’extrême droite. Et une dénonciation de ce discours doit analyser tous les propos et ne pas faire d’exclusive a priori. À gauche le discours sécuritaire ou sur l’immigration est parfois proche de ce que l’on retrouve ailleurs. Et au niveau de la laïcité, le juste combat contre l’immixtion du religieux dans la vie publique dérive un peu trop souvent sur un anti-islamisme qui cache mal son racisme. Car si l’anticléricalisme doit s’appliquer à toutes les religions, il ne faut pas oublier que la laïcité était à l’origine un combat pour l’émancipation qui s’attaquait à une religion dominante au service des puissants. Le « à bas les calotins » que nous sommes encore quelques-uns à crier à la fin de l’Internationale n’est ainsi nullement une attaque contre les croyants, mais une attaque contre les institutions religieuses complices d’une domination de classe. Ce que l’Islam n’est pas en Belgique. 

3° Lutter contre les idées d’extrême droite, toutes les idées et partout où elles se trouvent, est donc essentiel. Mais cela ne doit pas nous faire oublier la contradiction principale. Ce sont d’abord les conditions socio-économiques qui déterminent les comportements politiques. Ce n’est donc pas un hasard si l’extrême droite revient à son importance des années trente à un moment où la répartition des richesses rejoint les niveaux de l’entre-deux-guerres. De 2001 à 2009, en seulement 8 ans, le bénéfice des entreprises en Belgique est passé de 47 à 92 milliards d’Euros. On est loin d’une crise économique ! Mais dans le même temps, l’impôt perçu par l’Etat sur ces mêmes bénéfices est resté aux alentours de 9 milliards . En clair, la redistribution des richesses a diminué de 50% ! Cette différence, c’est le monde du travail qui la paie par la réduction des services publics, l’obligation de travailler jusque 65 ans, l’augmentation de la productivité et de la flexibilité, la diminution des allocations sociales…

L’antifascisme doit donc se garder de tout idéalisme et rester concentré sur les causes et non sur les conséquences. Il ne doit pas servir de cache-sexe au système sous peine de se décrédibiliser. En Grèce, la menace principale contre la démocratie n’est pas la montée du parti Aube Dorée, mais bien les politiques d’austérité menées depuis deux ans et les nombreux signaux des élites refusant d’accepter la volonté populaire qui s’est exprimée lors des dernières élections. 

Il en est de même en Belgique. L’antifascisme ne devra pas se plaindre d’une montée de l’extrême droite lors des élections communales et provinciales s’il a défendu les mesures de misère sociale mises en place par le gouvernement Di Rupo. Qu’elles soient prises par la Droite ou par la Gauche, les politiques antisociales mènent à la déliquescence du lien social et font le jeu de l’extrême droite. 

Lutter réellement contre l’extrême droite implique donc de lutter contre le capitalisme.

samedi 19 mai 2012

L'extrême droite défend-elle les travailleurs?

Cet article est paru dans le n°60 d'avril-juin 2012 d'Aide-Mémoire

On le dit souvent, et la campagne de Marine Le Pen pour les présidentielles françaises l’a de nouveau rappelé, le Front National serait en France le premier parti des ouvriers (derrière l’abstention). C’est d’ailleurs contre cette réalité que Jean-Luc Mélenchon a bâti une partie de sa campagne très agressive et salutaire contre l’extrême droite.

Nous avions déjà abordé le discours de l’extrême droite envers les ouvriers dans cette rubrique[1]. Mais à l’occasion des élections sociales qui se déroulent du 7 au 21 mai en Belgique et de certains discours lus ou entendus dans la bouche du patronat, notamment de l’UCM, contre la représentation syndicale dans les PME, il nous a semblé intéressant d’y revenir via une petite brochure parue dans une collection particulière (voir encadré) et qui aborde la manière dont le régime de Vichy, via la Charte du Travail, a réglé les relations entre travailleurs et patrons dans les entreprises.

Une brochure à l’abord neutre

Les comités sociaux d’entreprises de Lucien Morane[2] est une brochure technique et descriptive qui fait peu de place à la réflexion politique et idéologique. L’auteur y explique pas à pas la création de ces organes institués par la « Charte du Travail » dans toute entreprise ayant au moins 100 travailleurs. Dans cet organe paritaire, il est important que « si le chef d’entreprise n’est qu’un chef purement nominal, ce n’est pas lui qui devra siéger au Comité social, mais la personne qui en fait assume la charge de diriger l’établissement[3] ». Du côté des travailleurs, le nombre des représentants peut varier de 8 à 30 maximum, selon la taille de l’entreprise. Trois collèges différents sont instaurés : cadres, employés et ouvriers. Le rôle de l’instance est clairement défini : « Le comité social ne peut donc connaître des questions concernant la gestion industrielle, commerciale et financière de l’établissement. Celles-ci relèvent de la compétence exclusive du Chef d’entreprise (…) l’article 24 précise que les attributions du comité social excluent toute immixtion dans la conduite et la gestion de l’entreprise[4]. » Le comité s’occupe donc surtout des questions d’hygiène, de sécurité, de règlements de l’atelier mais aussi des caisses d’entraide, de la culture et des loisirs. Et ce dans un cadre large : « Par exemple, dans une grande entreprise occupant un nombre important de mères de famille, il pourra être institué une crèche ou une garderie[5]. » Intégré au Comité social, un comité de sécurité spécifique « a pour mission de prendre les mesures utiles en vue d’organiser la prévention des accidents du travail ou des maladies professionnelles et de parer aux risques d’incendie ou de lutter contre ce fléau s’il s’est déclaré[6] ». Enfin, pour réaliser leur mission, les travailleurs qui sont membres du comité social ont droit à des libérations durant leurs heures de travail pour préparer les réunions qui ont lieu une fois par mois, durant les heures de travail également.

À la lecture de ces quelques points, on ne voit guère de différence avec ce que nous connaissons en Belgique depuis 1948 et l’instauration des Conseils d’Entreprise et des Conseils de sécurité et d’hygiène, devenus depuis les Comités de prévention et de protection au travail. Et encore moins de lien avec l’idéologie d’extrême droite analysée habituellement dans cette chronique.

Mais l’idéologie n’est jamais bien loin

Mais c’est parfois au détour d’une phrase, dans le détail, que l’on peut percevoir la réalité d’un projet. L’auteur reconnait en conclusion de son ouvrage que, dans les faits, les comités sociaux ne travaillent que très peu au domaine professionnel et sont surtout centrés sur le domaine social. Comment pourrait-il en être autrement à partir du moment où, très clairement : « dans l’hypothèse où des divergences de vues s’élèveraient entre le Chef d’entreprise et les membres du comité social, ces derniers ne pourraient imposer à l’employeur leur manière de voir[7] ». Le comité social est donc un organe purement consultatif dénué de pouvoir. Mais c’est surtout dans la manière dont sont désignés les travailleurs qui le composent que la réalité du projet apparaît. Ainsi, si l’élection est le mode de désignation qui recueille la préférence de l’auteur de la brochure, il n’est pas le seul mode prévu. Outre la désignation pure et simple par le patron, ou le choix par celui-ci parmi les élus d’une sorte de premier tri, il existe une formule « travail, famille, patrie »[8] assez intéressante : « Le chef d’entreprise retient au nom du travail quelques-uns des plus anciens ou des meilleurs salariés de l’établissement ; au nom de la famille, il donne accès dans le collège électoral à des pères de famille nombreuse ; au nom de la patrie, à des anciens combattants des deux guerres, à des prisonniers libérés[9]. » Ces modes de désignation particuliers s’expliquent par une notion sur laquelle Lucien Morane insiste souvent sans l’expliciter : les travailleurs se doivent d’être « sincères » dans leur démarche. Le sens de cette sincérité se devine aisément quand il est précisé que, même dans le cadre de la procédure d’élection la plus ouverte, « l’employeur a la possibilité d’écarter du comité social tel ou tel salarié qui aurait été désigné par le personnel et avec qui il estimerait ne pas pouvoir collaborer[10] ». Et si un délégué syndical d’avant-guerre n’est pas à exclure d’office, voire qu’il est conseillé d’impliquer dans le processus, il ne faut cependant pas que celui-ci « se réfère à un état de chose antérieur et que de ce fait il méconnaît, dans une certaine mesure, le caractère novateur de l’institution du Comité social ».

Ce caractère novateur est bien entendu le centre de la question. « Au vieux système de la lutte des classes, la Charte a substitué le principe de l’organisation de la profession par la collaboration de tous ceux qui en sont membres ». Formulation qui s’inspire évidemment des théories corporatistes du fascisme italien ou du nazisme allemand et s’appuie sur la doctrine sociale de l’Église, ce qui explique que nombre de syndiqués chrétiens ne verront pas malice à s’impliquer dans le nouveau dispositif[11].



De La Bibliothèque du peuple à Que sais-je ?

Comme les illustrations de cet article le montrent, on ne peut qu’être frappé par la similitude entre la collection de la Bibliothèque du Peuple et la collection à succès Que Sais-je ? Car hormis le nom de la collection, ni l’éditeur (Les Presses Universitaires de France), ni le format, ni le nombre de pages, ni le graphisme général ne sont différents. Nos recherches[12], qui mériteraient d’être approfondies, nous ont permis de retrouver 28 exemplaires de cette collection particulière. Le premier de nos exemplaires, le n°2, est daté de 1941. Le dernier, le n°67, est lui daté de février 1944. Ce dernier exemplaire collationné comprend en 4e de couverture l’ensemble des 66 autres titres parus et leurs auteurs. À noter que, dès le n°2, on annonce fièrement « 100 volumes en cours de publication ». À ce moment la collection est divisée entre « séries culturelles » et « séries utilitaires ». Les titres démontrent un grand éclectisme dans le choix des sujets dont tous ne sont pas a priori idéologiquement marqué, tandis que d’autres tel La famille dans la Nation, Comment les jeunes reconstruiront la France ou encore L’héroïsme du paysan ont des titres plus enclins à développer un propos que les habitués de cette rubrique reconnaîtraient. Les buts de la collection sont explicités au dos de la couverture à partir du n° 47 dans notre collection[13] : « Une nation vaut ce que vaut son peuple, et le peuple lui-même vaut, dans une large mesure, selon sa formation. C’est pourquoi la Bibliothèque du Peuple se préoccupe avant tout de former » et de préciser que le but « est de rendre au peuple français le sens de ses traditions » et, en redonnant confiance au peuple et en réhabilitant ce mot, de sauver la France. Bref, tout un programme bien en accord avec la Révolution Nationale vichyste.


 Notes

[1]  Voir « Force, Joie et Travail! » in Aide-mémoire n°45 de juillet-août-septembre 2008
[2] Morane, Lucien, Les comités sociaux d’entreprises, Paris, PUF, 1942, 64 p.
[3] P.12
[4] P.39
[5] P.46
[6] P.49
[7] P.51
[8] Sur ce triptyque vichyste voir « Travail - Famille – Patrie » in Aide-Mémoire n°49 d’octobre-novembre-décembre 2009
[9] P.30
[10] P.24
[11] Voir pour la Belgique l’étude de Jean Neuville : « La C.S.C. en l'an 40 » in Histoire du mouvement ouvrier en Belgique, N° 10, Bruxelles, Vie Ouvrière, 1986. Notons qu’en Belgique la social-démocratie sera aussi déboussolée par l’attitude du président du POB, Henri De Man, qui dissout le parti pour fonder l’Union des Travailleurs Manuels et Intellectuels (UTMI), « syndicat » collaborationniste.
[12] A notre connaissance aucun travail n’a été réalisé sur cette collection.
[13] Cette explication ne se trouve pas dans le n°38