lundi 28 novembre 2016

Histoire des coopératives. Et maintenant ?

Je parlerai une nouvelle fois de l'histoire des coopératives et des enseignements de cette histoire pour les expériences actuelles à Anderlues le mercredi 7 décembre


Histoire de la sécurité sociale et quelques concepts

Le samedi 3 décembre 2016, je serai au Léonardo Da Vinci pour retracer l'histoire de cette importante conquête sociale qu'est la sécurité sociale et en rappeler quelques concepts clefs.


samedi 12 novembre 2016

coopératives, une formule pleine d'avenir

Je serai à la Maison de la Laïcité de Binche le
vendredi 18 novembre 2016 à 19h
pour donner ma conférence "les coopératives : une formule du passé pleine d'avenir
Adresse du jour : Place de l'Europe 7, 7131 Waudrez

dimanche 6 novembre 2016

La caricature politique

Je donnerai ma conférence sur l'analyse de la caricature politique le

mardi 15 novembre 2016 à 20h

à la Maison de la Laïcité de Hannut

Plus d'informations sur le site : http://www.maisonlaicitehannut.be/416856759

vendredi 14 octobre 2016

Le Gramsci de l’extrême droite



Cet article est paru dans le n°78 d'octobre-décembre 2016 d'Aide-Mémoire

La chronique de ce numéro va se pencher sur un penseur et théoricien central de l’idéologie d’extrême droite contemporaine. Un auteur non seulement prolifique, mais aussi original qui a renouvelé une partie du corpus doctrinaire sur base d’une grande culture et dont nous avions déjà fait mention à plusieurs reprises[1].

Le théoricien de la Nouvelle Droite
Alain de Benoist est né en décembre 1943 à Saint-Symphorien. Dès l’âge de 17 ans il s’engage dans les mouvances de l’extrême droite en écrivant dans un mensuel dirigé par Henri Coston. En 1961 il adhère à la Fédération des Étudiants Nationalistes (FEN) puis entre en contact avec Europe-Action de Dominique Venner. Il défend alors l’Algérie française[2], l’OAS[3] et l’Apartheid en Afrique du Sud. Fin des années 60 il fonde le GRECE[4] et multiplie les articles et ouvrages dont le premier reste le plus connu Vu de droite. Anthologie critique des idées contemporaines. Toujours actif aujourd’hui, Alain De Benoist réfute l’étiquette d’extrême droite. On le retrouve cependant à partir de 2014 comme animateur d’une émission « les idées à l’endroit », soit le même titre que le livre analysé dans la présente chronique, sur TV Libertés. Une web-tv « de tendance nationale » née dans la mouvance des manifestations contre le mariage pour tous et qui est en quelque sorte l’aboutissement des idées de la Nouvelle Droite, notamment la reconquête du champs culturel.
Le livre que nous analysons ici est publié en 1979 avec un avertissement intéressant : « Les éditions Libres-Hallier ne soutiennent évidemment pas les idées de la Nouvelle Droite, dont l’un des hérauts, Alain de Benoist, s’exprime ici. Les éditions libres-Hallier sont d’abord libres. Un débat est ouvert. Il serait suicidaire pour la gauche – ancienne ou nouvelle – de ne pas l’affronter en connaissance de cause. C’est la raison de la publication de ce livre »[5]. Comme l’auteur le rappelle dans son introduction, c’est en juin-juillet 1979 que les médias se sont intéressés au mouvement de la Nouvelle Droite. 
La centralité du combat des idées[6]
De Benoist dans son introduction à cette compilation de ses articles écrits durant les années 70 souligne que la ND est composé de gens qui avaient une vingtaine d’année en 1968 et qui ne se reconnaissaient ni dans la droite traditionnaliste[7], ni chez les réactionnaires xénophobes. « La Nouvelle Droite – ensemble informel d’associations culturelles, de clubs de réflexion, de revues théoriques et de journaux – a beau être « nouvelle », elle n’est quand même pas née de la dernière pluie (….) Or, la Nouvelle Droite ne se situe pas sur le terrain politique, mais sur le terrain culturel. D’entrée de jeu, elle s’est fixée pour objectif de mettre fin au monopole culturel dont bénéficiait jusque-là l’idéologie dominante. Il est clair que cet objectif ne pouvait pas lui valoir la moindre sympathie de la part de cette idéologie dominante – qui est l’intelligentsia égalitaire sous ses multiples formes. »[8]. C’est donc le combat idéologique qui est au cœur de ce mouvement, où l’on retrouve le GRECE, et non le combat électoral. C’est le champ culturel que de Benoist veut reconquérir à l’extrême gauche qui y a réussi une véritable OPA sur un terrain totalement abandonné par la Droite. Celle-ci ne joue plus que dans le court terme soit dans une version parlementaire[9], soit dans une version groupusculaire[10], deux facettes d’une même médaille inefficace. Car « Sans théorie précise, pas d’action efficace, on ne peut pas faire l’économie d’une Idée. Et surtout on ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs. Toutes les grandes révolutions de l’histoire n’ont fait que transposer dans les faits une évolution déjà réalisée, de façon sous-jacente, dans les esprits. (…) La droite française est « léniniste » - sans avoir lu Lénine. Elle n’a pas saisi l’importance de Gramsci. »[11]. Gramsci, qui avec Nietzsche sur d’autres aspects, est le penseur le plus souvent cité par de Benoist.
L’inégalité au cœur de la doctrine[12]
Gagner la bataille des idées nécessite de s’attaquer à la racine du mal que l’on dénonce et de repréciser qui l’on est : « J’appelle ici de droite, par pure convention, l’attitude consistant à considérer la diversité du monde et, par suite, les inégalités relatives qui en sont nécessairement le produit, comme un bien, et l’homogénéisation progressive du monde, prônée et réalisée par le discours bimillénaire de l’idéologie égalitaire, comme un mal. J’appelle de droite les doctrines qui considèrent que les inégalités relatives de l’existence induisent des rapports de force, dont le devenir historique est le produit (…). C’est dire qu’à mes yeux, l’ennemi n’est pas « la gauche » ou « le communisme », mais bel et bien cette idéologie égalitaire dont les formations religieuses ou laïques, métaphysiques ou prétendument « scientifique » n’ont cessé de fleurir depuis deux mille ans, dont les « idées de 1789 » n’ont été qu’une étape, et dont la subversion actuelle et le communisme sont l’inévitable aboutissement. »[13]. Le projet de société porté par de Benoist est donc un projet fondamentalement inégalitaire où il est justifié qu’il existe une élite, une aristocratie :  « L’aristocratie est la classe qui se donne le plus de droits parce qu’elle s’impose aussi le plus de devoirs. La grande vertu de l’aristocrate, pourrait-on dire, c’est qu’il prend « tout sur lui ». Il se sent concerné par tout, en même temps qu’il sait qu’il n’y a au-dessus de lui personne d’autre, sur qui il puisse se décharger de ses responsabilités »[14]. Cette inégalité s’exprime partout et tout le temps et est parfois appelée également diversité : « Ces différentes cultures, nées au sein d’ensembles humains variés, nourries d’expériences et de valeurs variées, expriment des vues-du-monde elles-mêmes variées (…). La pluralité des cultures constitue la richesse de l’humanité »
Un racisme repensé
On touche ici à l’apport majeur de de Benoist au discours de l’extrême droite actuelle. Il réfute catégoriquement tout racisme et rejette la xénophobie qui est négative, contre. À l’inverse, il prône une doctrine positive, du pour. Mais d’un pour une diversité qui ne se mélange pas : « Les mêmes qui nous expliquent, non sans raison, qu’en brisant les habitudes mentales, les structures sociales et traditionnelles des pays du Tiers-Monde, la colonisation les a souvent stérilisés, se font en Europe les adeptes de la pire néophilie, sacrifient tous les jours au mythe du « progrès » et invitent nos contemporains à rompre avec les « vieilleries » du passé.  D’un côté, on nous dit que les Indiens et les Esquimaux ne peuvent pas résister à l’agression que représente le contact avec la civilisation occidentale. De l’autre on affirme que le mélange des peuples et des cultures est, pour les Européens, chose excellente et facteur de progrès. Il faudrait donc savoir s’il y a deux poids et deux mesures (…) Réaffirmons donc le droit des peuples à eux-mêmes, le droit qu’ont tous les peuples à tenter d’atteindre leur plénitude, contre tout universalisme et contre tous les racismes »[15]. La critique du racisme et de la xénophobie se mue ainsi en une critique de l’immigration et du métissage qui s’habille de progressisme et de tolérance : « C’est ici que vient s’articuler une conception positive de la tolérance, qui n’est pas une « permissivité » sans substance, mais simplement la reconnaissance et le désir de voir se perpétuer la diversité du monde.  Cette diversité est une bonne chose. Toute richesse véritable repose sur la diversité. La diversité du monde tient dans le fait que chaque peuple, chaque culture a ses normes propres – chaque culture constituant une structure autosuffisante, c’est-à-dire un ensemble dont on ne peut modifier l’agencement en quelque point sans que cette modification se répercute dans toutes les parties. »[16]. De même, il refuse une forme de hiérarchisation : « En ce sens, globalement parlant, toute appartenance raciale est un avantage par rapport aux valeurs propres à la race à laquelle on appartient : ici, le sociologue et l’anthropologue se donnent la main. On peut donc dire que chaque race est supérieure aux autres dans la mise en œuvre des réalisations qui lui sont propres. Parler de « race supérieur » dans l’absolu (…) n’a strictement aucun sens »[17]. Dans le même ordre d’idée, il plaide pour un régionalisme qui s’ancre dans les traditions mais qui n’est pas pour autant un repli sur soi.
Ni de droite, ni de gauche : d’extrême droite[18]
De cette volonté de diversité basée sur le socle de l’inégalité, découle également une critique virulente et forte du discours de l’école de Chicago et de l’économie qui domine le politique : « Concrètement, le retour au capitalisme épanoui que proposent les « nouveaux économistes » aboutirait à la transformation de la planète en un immense marché – un marché de plus en plus homogène, d’où les différences collectives seraient progressivement bannies. C’en serait fait alors des indépendances nationales et des autonomies de décision, politiques en particulier, puisqu’il n’y a plus de décision possible lorsque le décideur a perdu sa souveraineté. L’interdépendance économique totale apparaît à cet égard comme le parfait corollaire de l’internationalisme »[19]. De Benoist renvoie ainsi dos à dos capitalisme et communisme : « Libéralisme et marxisme sont nés comme les deux pôles opposés d’un même système de valeurs économiques. L’un défend l’ « exploiteur », l’autre défend l’ « exploité » - mais dans les deux cas, on ne sort pas de l’aliénation économique. »[20].
La troisième voie qu’il appelle de ses vœux, qu’il se destine à construire est une voie conservatrice : « J’appelle réactionnaire l’attitude qui consiste à chercher à restituer une époque ou un état antérieur. J’appelle conservateur l’attitude qui consiste à s’appuyer, dans la somme de tout ce qui est advenu, sur le meilleur de ce qui a précédé la situation présente, pour aboutir à une situation nouvelle. C’est dire qu’à mes yeux, tout vrai conservatisme est révolutionnaire. Entre le ghetto néo-fasciste (ou intégriste) et le marais libéral, je crois à la possibilité d’une telle doctrine. »[21]. Cette troisième voie se doit de toujours être renouvelée, est tournée vers l’avenir « Une tradition qui n’est pas sans cesse (ré)actualisée est une tradition morte et qui a mérité de mourir. Il ne s’agit donc pas de restaurer ce qui est d’hier, mais de donner une forme nouvelle à ce qui est de toujours. Il ne s’agit pas de retourner au passé, mais de se rattacher à lui. Imiter ceux qui ont fondé et transmis une tradition, ce n’est pas seulement retransmettre, c’est fonder à son tour. »[22]. Mais l’on retrouve des thèmes déjà rencontré, comme la critique du christianisme vu comme oriental et uniformisateur face à un paganisme européen qui permettait la diversité[23]. On retrouve donc ici aussi cette notion au cœur de la réflexion. Tout comme le fait que rien n’est fixé à l’avance, qu’il y a un dynamisme de l’action : : « Seules les situations nettes ont des effets tranchés. Les autres vivotent par demi-teintes, en compromis. Le paganisme a souffert d’avoir été affronté, il est mort d’avoir été assimilé. L’évangélisation l’aurait affaibli, le syncrétisme l’a tué. (…) D’aucuns, à l’heure actuelle, misent sur une apocalypse. Ils oublient que le déclin n’est pas un fléau qui s’abat, mais un cancer qui ronge menu. Vieille histoire du lion dévoré par les poux. »[24]
Alain de Benoist est donc un auteur un peu à part dans la galaxie de l’extrême droite à laquelle il appartient néanmoins bien comme le prouve tant son parcours que l’essentiel de ses écrits. Un rappel qui nous semble important à une époque où son projet politique de conquérir le champ des idées a, si pas réussi totalement, du moins pollué largement le discours politique, jusqu’à s’insinuer à gauche.


[1] Notamment dans Nouveau FN, vieille idéologie in AM n°43 de janvier-mars 2008
[2] Voir La pensée « contrerévolutionnaire » in AM n°36 d’avril-juin 2006
[3] Voir Quand la résistance et le droit d’insurrection sont-ils justifiés ? in AM n°55 de janvier-février-mars 2011
[4] Voir L’inégalité comme étoile polaire de l’extrême droite in AM n°66 d’octobre-décembre 2013
[5] P.10
[6] Voir aussi La préparation de la reconquête idéologique in AM n°42 d’octobre-décembre 2007
[7] Voir La Loi du décalogue in AM n°64 d’avril-juin 2013 et
[8] P.14
[9] Voir La cohérence d’un engagement in AM n°40 d’avril-juin 2007 et Retour sur le discours du fondateur de la dynastie Le Pen in AM n°56 d’avril-juin 2011
[10] Voir Plongée chez les radicaux de l’extrême droite in AM n°76 d’avril-juin 2016
[11] P.62
[12] Voir également De l’inégalité à la monarchie in AM n°33 de juillet-septembre 2005 et L’inégalité comme étoile polaire de l’extrême droite in AM n°66 d’octobre-décembre 2013
[13] P.58
[14] P.127
[15] P.156
[16] P.39
[17] P.147
[18] Pour reprendre un titre d’une de nos précédente chronique Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in AM n°31 de janvier-mars 2005.
[19] P.210
[20] P.84
[21] P.75
[22] P.121
[23] Voir La tendance païenne de l’extrême droite in AM n°38 d’octobre-décembre 2006
[24] P.140

samedi 3 septembre 2016

à bas les calotins



 Ce texte a été publié en août 2016 sur le site Internet de l'Association Belge des Athées (ABA)

« Rituel encore, et du moins bon, lorsque, en fin de congrès, l’assistance ayant entonné « L’Internationale » avec le peu de paroles qu’elle en savait, il se trouvait toujours au fond de la salle un groupe de loustics pour ajouter, en guise d’exorde : « à bas les calotins ! » »[1]. C’est ainsi que Robert Falony, dans son ouvrage sur l’histoire récente du parti socialiste, mentionne une tradition qui existe également à la FGTB mais dont nous n’avons retrouvé aucune autre mention. 

1° Une pratique finalement limitée

Faisant partie de l’indécrottable « groupe de loustics » qui tient à ponctuer le refrain de l’Internationale par un vibrant « à bas les calotins », je me suis interrogé sur l’origine de cette pratique mais aussi sur sa diffusion. Car si, par expérience, nous pouvons l’attester à la FGTB et que l’extrait cité ci-dessus en confirme la pratique au PS, nous avons voulu savoir si cette pratique était plus large tout en ayant de sérieux doutes dès le départ. Après avoir fait le tour de cette question, nous tenterons de déterminer pourquoi cette pratique, née comme nous le verrons à la période charnière de la toute fin du 19e – début du 20e siècle, semble être une spécificité de la social-démocratie belge francophone et terminerons par une explication de ce qu’elle peut encore représenter aujourd’hui et de pourquoi nous considérons qu’elle reste pertinente.
Des sources consultées et des témoignages recueillis, et dans l’espoir que cet article suscitera des compléments d’informations[2], nous sommes certains que la pratique existe au sein du PS belge[3], au grand dam régulier des présidents et responsables de ce parti pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons ci-dessous. Par capillarité, elle est également présente au sein de la FGTB avec plus ou moins d’intensité. Par contre elle est absente des formations à la gauche du parti socialiste. Que ce soit au Parti Communiste, chez les différentes formations Trotskystes (LCR, PSL…) ou au sein du PTB maoïste, le cri ne retentit pas. On peut supposer que la prédominance du facteur de classe sur tous les autres facteurs dans l’idéologie de ces formations les rendent assez imperméables, voire hostiles, à une forme trop radicale de laïcité qui pourrait diviser les travailleurs sur une contradiction secondaire. La citation suivante de Lénine résume ce positionnement, dans un texte où il affirme par ailleurs clairement la nécessité du combat contre les croyances et de faire de la religion une affaire purement privée : « Il serait absurde de croire que, dans une société fondée sur l’oppression sans bornes et l’abrutissement des masses ouvrières, les préjugés religieux puissent être dissipés par la seule propagande. Oublier que l’oppression religieuse de l’humanité n’est que le produit et le reflet de l’oppression économique au sein de la société serait faire preuve de médiocrité bourgeoise. Ni les livres ni la propagande n’éclaireront le prolétariat s’il n’est pas éclairé par la lutte qu’il soutient lui-même contre les forces ténébreuses du capitalisme. L’unité de cette lutte réellement révolutionnaire de la classe opprimée combattant pour se créer un paradis sur la terre nous importe plus que l’unité d’opinion des prolétaires sur le paradis du ciel »[4]. Ajoutons que ces formations viennent après la première guerre mondiale. Une apparition plus tardive (renforcée par une sociologie différente) qui a certainement joué dans la pertinence qu’il y avait à utiliser la formule. Reste le cas des mouvements anarchistes, souvent très anticléricaux, mais où là c’est le fait même de prendre l’Internationale comme chant de référence qui est en question.
Notons par ailleurs qu’en Flandre la formule est différente puisqu’elle devient « en rood is troef », qui renvoie  soit au jeu de cartes (le rouge est l’atout), soit par analogie avec l’expression « armoe troef » (la misère est partout)  à une vision prophétique performative où le rouge l’aurait emporté. Quoi qu’il en soit, nous sommes dans tous les cas loin d’une référence au monde catholique ! Ce qui pourrait s’expliquer par le fait que la formule apparait dans une temporalité où l’on parle en français. Quand il s’agira de passer au néerlandais, le contexte aura évolué, surtout dans un paysage flamand où c’est la démocratie chrétienne qui prédomine au sein du mouvement ouvrier.

2° Les rapports tendus entre le socialisme et la laïcité en Belgique

Il s’agit maintenant d’expliquer pourquoi cette pratique s’est développée à la toute fin du 19e siècle et au sein du POB et de ses diverses organisations où elle s’est maintenue jusqu’à nos jours. La réponse à cette question se trouve dans l’histoire, au début commune, du mouvement ouvrier structuré et de la laïcité en Belgique[5]. Une histoire commune qui n’est compréhensible que si l’on prend en compte la spécificité belge où le poids de l’église catholique restera important et où le mouvement ouvrier ne pourra pas, comme en France après 1905, « apaiser la question religieuse pour poser la question sociale » pour reprendre la formule d’Alain Gresh[6].
Jean Puissant, dans un article publié récemment, résume parfaitement ce contexte : « Il se fait qu’en Belgique l’église catholique est au pouvoir directement dans un premier temps, par l’intermédiaire du « monde catholique » ensuite, du parti au plan politique enfin, certainement de 1870 à 1914. Ce n’est le cas ni en France ni en Allemagne ni en Grande-Bretagne, ni aux Pays-Bas. La classe ouvrière nouvelle (le prolétariat), pour des raisons sociologiques (l’église n’est plus au milieu du village, le village n’est plus l’unité spatiale dominante, la paroisse l’unité sociale de base) puis politique (le catholicisme au pouvoir) prend massivement ses distances avec ses traditions religieuses. Beaucoup militent dans des associations rationalistes » [7]
Nous reviendrons plus loin sur la fin de cette citation. Mais donc, dès sa fondation, l’état belge subit une mainmise de l’église catholique très forte (rappelons que la « révolution » belge a aussi un aspect de guerre de religion puisque le sud catholique se détache du nord protestant). Devant cette réalité, le mouvement ouvrier va donc se développer, peut-être plus que dans d’autres pays en opposition avec la bourgeoisie mais aussi avec le clergé catholique, dans une Belgique considérée comme le paradis du capitalisme à la législation sociale en retard sur les pays voisins.  Cette alliance entre la bourgeoisie, le sabre et le goupillon est bien décrite par Marx et Engels : « Il n’existe qu’un seul petit pays du monde civilisé où les forces armées sont là pour massacrer des ouvriers en grève, où toute grève est saisie avec avidité et malignité comme prétexte pour massacrer officiellement les ouvriers. Ce petit pays unique et béni, c’est la Belgique, l’état modèle du constitutionnalisme continental, le confortable paradis et la chasse-gardée des propriétaires fonciers, des capitalistes et des curés.»[8]
C’est un ouvrier bruxellois, qui eut également un rôle important dans le développement du mouvement ouvrier naissant, Nicolas Coulon, qui fonde en 1854 la première société de Libre Pensée L’Affranchissement. « En fait, L’Affranchissement se fixa comme objectif l’émancipation morale et matérielle de l’homme. Non seulement il s’agissait de se libérer de tout dogmatisme et de tout obscurantisme, mais encore de rompre l’assujettissement des classes laborieuses par le système économique libéral. Pour combattre le cléricalisme et le capitalisme, considérés comme oppresseurs alliés, le rationalisme et le socialisme ne pouvaient qu’être intimement unis. Au sein de L’Affranchissement se réalisa donc une symbiose véritable entre mouvements ouvriers et libres penseurs»[9]. Parallèlement les idées fouriéristes se diffusent en Belgique et marquent la frange la plus aisée des travailleurs qui formera un noyau organisationnel, un réseau qui jouera un rôle très important dans la naissance du POB. Dès cet instant, les développements seront liés entre la structuration du mouvement ouvrier et celle de la libre pensée. La carte de l’implantation des sociétés de libre pensée recoupe significativement celle des concentrations ouvrières[10]. Dans le Hainaut principalement il est clair que la Libre Pensée sert alors de paravent à la structuration d’un mouvement ouvrier à une époque où le droit de coalition n’est pas encore conquis. Une situation résumée ainsi par Marcel Liebman dans son ouvrage majeur sur le socialisme belge : « Pendant longtemps, (…) “un anticléricalisme militant permet de confondre la lutte contre l’Eglise et la lutte contre le régime capitaliste”. C’est vers 1850 que le socialisme devient, en Belgique, anti-religieux et plus particulièrement anticlérical (…) tandis que les organisations ouvrières naissent et disparaissent s’avérant incapables d’une existence stable, ce sont des sociétés de libre-pensée qui, bien souvent, assurent la continuité entre les différents et successifs rassemblements de travailleurs. Leurs promoteurs et leurs artisans se trouvent ainsi, et presque en permanence, en contact avec les libéraux »[11].
Lorsqu’il se crée en 1885, le POB est le fruit d’un regroupement de groupes d’origines diverses dont une forte composante issue d’une bourgeoisie progressiste qui s’est détachée du parti libéral mais qui garde des attaches avec son milieu d’origine. Sur cet aspect comme sur bien d’autres, le POB est à la fois produit et initiateur de structuration. Le lien ne se distendra pas pour deux raisons : d’une part  l’alliance stratégique entre libéraux et socialistes pour faire face à l’hégémonie du parti catholique qui est seul au pouvoir de 1884 à 1914, et d’autre part une sociabilité commune notamment à travers la fréquentation des loges maçonniques à un moment où le Grand Orient de Belgique s’investit dans la question sociale, principalement en faveur du Suffrage Universel, mais aussi en envisageant alors la réglementation du travail des femmes et des enfants, l’instauration d’un système d’assurances sociales, la réduction du temps de travail, la lutte contre l’alcoolisme et même une représentation ouvrière aux conseils communaux et provinciaux. Dans ce contexte, le GOB n’hésite pas à venir en aide financièrement au POB. Il n’est d’ailleurs pas ici anodin de signaler que c’est à l’Affranchissement que Théodore Verhaegen (fondateur de l’Université Libre de Bruxelles et sérénissime grand maître du Grand Orient de Belgique) confie l’organisation de ses funérailles en 1862.
La Libre Pensée est aussi, à cette époque, fortement imprégnée de la volonté de changement social. Le congrès national de la Libre Pensée, réuni à Herstal les 21 et 22 mai 1893, dénonce le vote plural et confirme la revendication en faveur du Suffrage Universel. Celui de 1895 ajoute à cette revendication la limitation légale des heures de travail, la fixation d’un salaire minimum et la réglementation du travail (surtout pour les femmes et les enfants). Si, à Bruxelles, les choses sont complexes, les luttes autour des cimetières et de l’instruction prenant plus de place, dans le bassin industriel wallon, les membres des sociétés de libres penseurs sont clairement en faveur de mesures concrètes pour améliorer le sort de la classe ouvrière. Ils considèrent d’ailleurs que l’on ne peut dissocier la Libre Pensée de la question sociale. Dans le Borinage, on ira même jusqu’à stipuler en 1902 qu’il faut être socialiste pour adhérer à l’un des groupes libres penseurs de la région.
La situation commencera à changer au tournant du siècle. Les résultats électoraux de la fin du 19e siècle vont progressivement modifier la donne, avec la menace de la disparition du parti libéral, qui déboucherait sur une bipolarisation de la vie politique, sociale et économique entre les Socialistes et les Catholiques en Belgique. Cette bipolarisation se marquerait sur trois axes qui se superposent : ouvriers contre bourgeois, athées contre croyants, Wallons contre Flamands. Du côté libéral, les échecs répétés sont attribués au rapprochement avec les socialistes. Du côté socialiste, les tensions sont vives avec un nombre de voix de plus en plus élevées qui dénoncent le positionnement anticlérical. Celui-ci est critiqué tant par l’aile gauche, qui plaide pour un recentrage sur l’unique question socio-économique, que par l’aile droite, qui désire cesser d’effrayer les travailleurs chrétiens et ainsi les détacher électoralement du Parti Catholique à un moment où la Démocratie Chrétienne se développe principalement en Flandre. Ce sont surtout les arguments et les manœuvres de l’aile droite qui font que finalement, en 1912, la Fédération nationale des sociétés de Libre Pensée invite ses sociétés à dénoncer leur affiliation au POB afin d’éviter que des ligues et corporations ouvrières confessionnelles intègrent le POB, ce que certains dirigeants du parti prônaient en s’appuyant sur la présence des sociétés de Libres Penseurs. La conséquence est immédiate et entre 1911 et 1937, la Libre Pensée perd plus de 65% de ses membres, chiffre on ne peut plus illustratif. À noter que ce sera toujours cet argument électoral de ne pas effrayer l’électorat croyant qui de Léo Collard à Élio Di Rupo, en passant par Philippe Busquin, fait que nombre de présidents du PS n’apprécient guère le « à bas les calotins » sujet de cet étude.
L’historienne Gita Deneckere résume bien cette période et cette histoire : « Les organisations de libres penseurs tracèrent la voie de l’engagement social et stimulèrent la conquête du pouvoir par les libéraux radicaux et les sociaux-démocrates. La Belgique posséda l’un des mouvements rationalistes radicaux les plus amples, les plus actifs et les plus différenciés»[12]. Après la première guerre mondiale, le tripartisme s’instaure en Belgique. Cela ne met cependant pas fin à des oppositions fortes sur lesquelles les liens entre la lutte sociale et la lutte contre l’Eglise se recouperont. Citons la question royale et la grève de l’hiver 60-61 où la hiérarchie catholique bridera clairement l’action sociale, la mobilisation autour de Willy Peers… Autant d’occasions, auxquelles on doit ajouter la guerre scolaire, qui maintiendront actuelles et vivantes une lutte commune entre mouvement ouvrier et mouvement laïque.

3° Une pratique similaire, le chant « à bas la calotte »

Nous avons posé le contexte historique d’origine d’une scansion dont nous n’avons pu à ce stade de nos recherches retrouver à quelle date précise elle est apparue. Nous pouvons cependant ajouter que cela ne peut être avant la toute fin du 19e siècle car ce n’est qu’à cette époque que l’Internationale, écrite au lendemain de la Commune de Paris en 1871 par Eugène Pottier, va remplacer la Marseillaise comme principal chant révolutionnaire au sein du mouvement ouvrier, et ce après sa première publication dans un recueil en 1887 et sa mise en musique par Degeyter l’année suivante (elle était jusqu’à cette date chantée sur l’air de… La Marseillaise). Une datation qui correspond d’ailleurs à la période où mouvement ouvrier, Franc Maçonnerie et Libre Pensée sont le plus en phase. Enfin, pour celles et ceux qui ne connaissent pas l’ensemble des couplets de l’Internationale, il semble utile d’ajouter un élément de compréhension à l’ajoute anti cléricale qui se met ainsi en place dans la dernière décennie du 19e siècle : si le texte comprend un passage antimilitariste il ne comprend pas de passage anticlérical. « À bas les calotins » comble ainsi ce que d’aucun en Belgique ont sans doute considéré comme une lacune qu’il fallait corriger dans le contexte belge.
Il nous semble intéressant de faire une petite digression élargissant quelque peu le propos hors du champ stricte de la gauche, sur un domaine où il y aurait certes encore pas mal de choses à dire mais qui nous éloignerait trop de notre propos. Le « à bas les calotins » est souvent lié à un autre chant intitulé « à bas la calotte ». Un chant assez court d’ailleurs qui dit ceci :
« À bas la calotte (bis)
À bas les calotins
Ils en auront, des coups d’poings sur la gueule
Ils en auront, autant qu’ils en voudront
Avec, avec plaisir et dans les roses,
Ou dans les bégonias, c’est la même chose
Oui nous irons chasser ohé (bis)
Oui nous irons chasser la calotte
La calotte, au poteau! (bis)
La calotte, au zoo,
Libérez les animaux! »
Ce qui est intéressant pour notre propos c’est que ce chant que l’on retrouvera dans la laïcité et dans le monde socialiste, provient de la même sociabilité et de la même convergence que celle décrite plus haut puisqu’il s’agit d’un chant des étudiants de l’ULB s’adressant plus d’ailleurs aux étudiants de Louvain qu’au clergé, mais repris avec une signification plus large en dehors du milieu estudiantin. Mais nos recherches nous ont fait découvrir un autre chant, plus ancien, ayant le même titre et dont le texte dénonce avec plus de force la religion tout en parlant d’une autre société. La chanson de Georges Bargas, datée de 1902 et mentionnée comme « chant révolutionnaire », a pour refrain
« À bas la calotte
La calotte il n’en faut pas
À bas la calotte
La calotte à bas »
Entre le premier couplet disant
« Il est donc venu le moment,
De cesser votre boniment,
Va falloir rat de sacristie
Et vous tous avaleurs d’hosties,
Brûler, sinon gare à votre peau
Vos saints et tous vos oripeaux »
Et le dernier qui évoque
« martyrs des justes vérités
Que le froc a persécuté
Vos noms sont gravés dans l’Histoire
Au marbre rouge de la gloire
Et la neuve société
Applaudit votre impiété »
Trois autres couplets évoquent de manière crue et irrévérencieuse la question des couvents, la pédophilie des prêtres et l’éducation. 

4° Calotins n’est pas synonyme de croyants

Mais que ce soit dans les deux chansons évoquées où dans le cri « à bas les calotins », et contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes, voire de militants, qui s’offusquent de ce complément, ce n’est pas le croyant qui est visé mais le clérical.
Tant l’origine que la définition du mot calotin[13] enlèvent toute ambiguïté sur le sujet. Le mot apparait en 1717 pour désigner un membre d’un ordre imaginaire et burlesque qui distribuait des calottes, soit des petites gifles, à tous les personnages qui prêtaient le flanc à la critique. La calotte, terme datant de la fin du 14e siècle où il désigne une sorte de bonnet avant de désigner spécialement la coiffe ecclésiastique ayant la forme d’un petit bonnet rond couvrant le haut du crâne, prend ainsi au début du 18e siècle une seconde signification. En 1780, le terme calotin prend une connotation péjorative envers le prêtre avant de désigner par extension, à partir de 1851, un partisan du pouvoir temporel des prêtres.
C’est donc bien un partisan du pouvoir temporel des prêtres qui est dénoncé par le cri « à bas les calotins ». Et si la confusion est compréhensible, au point d’être entretenue y compris par certains laïques et/ou socialistes opposés à son utilisation, il nous semblait important de la démonter en reprécisant bien les choses. Une dénonciation des partisans d’un pouvoir temporel du clergé par un tel cri est parfaitement compréhensible à l’époque où cette tradition s’est mise en place au vu du contexte que nous avons décrit. La question est évidemment, au-delà des questions électoralistes déjà évoquées, de savoir s’il est toujours pertinent aujourd’hui.
Si c’est évidemment à chacun d’en juger, nous pensons très clairement que, l’ambiguïté sur la critique du croyant levée, la réponse est positive. Que ce soit sur les questions éthiques comme l’avortement ou l’homosexualité, de la scolarité avec les réseaux confessionnels, de la neutralité des fonctionnaires publics, de la question des préséances lors des cérémonies… on constate que la volonté du clergé des églises, pas uniquement l’église catholique mais de toutes les religions, de se mêler de la vie publique, d’interférer dans le pouvoir temporel n’a pas disparu.
Et donc, aujourd’hui comme hier :
L’Internationale sera le genre humain…
À BAS LES CALOTINS !


[1] Falony, Robert, Le Parti socialiste : un demi siècle de bouleversement, Bruxelles, PAC-Luc Pire, 2006, p.32
[2] Le lecteur ou la lectrice qui en a peut me contacter via FaceBook, Tweeter ou julien.dohet@skynet.be
[3] Pour la France on lira Philippe Boutry, La gauche et la religion in Histoire des gauches en France. Vol.1 L’héritage du XIXe siècle, Paris, La Découverte, 2004, pp.317-341 . Une contribution qui décrit combien pendant la période étudiée dans notre article la France connait une liaison similaire entre mouvement ouvrier et libre pensée qui débouche également sur un anticléricalisme fort mais aucune mention n’est faite d’un « à bas les calotins » après L’Internationale.
[4] Socialisme et religion. Article  publié le 3 décembre 1905 dans « Novaïa Jizn » repris ici de V. Lénine, Œuvres. Tome 10. Novembre 1905 - juin 1906, Paris-Moscou, éditions sociales-éditions du progrès, 1967, p.84
[5] Voir pour un développement plus approfondi notre ouvrage Vive la sociale. Mouvement ouvrier, capitalisme et laïcité, Bruxelles, Espace de liberté, 2011
[6] Gresh, Alain,  Aux origines des controverses sur la laïcité in Le Monde diplomatique, août 2003, pp.18-19
[7] Puissant, Jean, Les grèves générales en Belgique avant 1914 : Paradigmes, paradoxes et réalités. In Grève générale, rêve général. Espoir de transformation sociale, Paris, L’Harmattan, 2016, p.203
[8] Marx, Karl et Engels, Friedrich, La Belgique. État constitutionnel modèle, Paris, édition fil du temps, s.d, pp.285-286.
[9] Tyssens, Jeffrey Origines et développement de la Libre Pensée à Bruxelles in 1789-1989. 200 ans de libre pensée en Belgique, Charleroi, CAL-Charleroi, 1989, p.16
[10] Voir la carte publiée in Hasquin, Hervé, La Wallonie. Son histoire, Bruxelles, Luc Pire, 1999, p.158
[11] Liebman, Marcel, Les socialistes belges 1885-1914. La révolte et l’organisation, coll. Histoire du mouvement ouvrier en Belgique, n°3, Bruxelles, EVO, 1979, p.34
[12] Deneckere, Gita Les turbulences de la Belle époque 1878-1905 in Nouvelle histoire de Belgique. Vol.1 : 1830-1905, coll. Questions à l’histoire, Bruxelles, Complexe, 2005, p.129
[13] In sous la direction d’Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 2006, p.593