mardi 25 juillet 2017

La technologie modifie-t-elle vraiment la communication des mouvements sociaux ?

Cet article a été publié dans Les cahiers de l'éducation permanente, n°50
intitulé éducation populaire et numérique, pp.12-20
 
 

Comment « moderniser » le message ? Comment toucher efficacement le plus grand nombre ? L’émergence des médias sociaux rend-elle obsolètes les formes de communication plus traditionnelles ? Ces questions, et bien d’autres complémentaires, d’autres mouvements se les posent à l’heure où l’on dit les citoyens dépolitisés et moins réceptifs à un message politique. Par un retour sur l’évolution des moyens de propagande, nous nous proposons d’amener une profondeur historique aux réflexions en cours. Un retour à travers l’histoire qui, comme souvent, permettra d’élargir la focale et d’ainsi remettre en cause certaines évidences. Un apport qui se veut une esquisse de synthèse et ne prétend aucunement à l’exhaustivité.

Le mouvement social a toujours dû faire face à plusieurs contraintes pour diffuser le plus largement possible son message. Nous en pointerons ici deux :
 

1° La contrainte de l’éducation, du niveau d’émancipation intellectuelle, de celles et ceux à qui ils s’adressent. Hier, il s’agissait d’arriver à s’adresser à des gens analphabètes. Aujourd’hui, à des personnes qui sont habituées à des messages courts, au zapping. Au point que même le langage vidéo se doit d’utiliser des plans de plus en plus courts, qu’une vidéo sur Youtube doit accrocher dès les premières secondes et ne pas excéder trois minutes (et encore…). Sans oublier que si l’analphabétisme a quasiment disparu, l’illettrisme reste fort présent.

2° La contrainte du coût de l’accès à l’information. L’abonnement à un journal, le coût d’un livre, même l’accès à Internet restent des enjeux. On y mettra en parallèle le coût de la production de l’information. Aujourd’hui, produire un journal quotidien est devenu quasi impossible et la question de la diffusion d’imprimés se pose, surtout par comparaison avec le coût d’une diffusion par les moyens informatisés. Avec alors la question de l’accessibilité qui se repose.


La force de la parole


L’oralité a toujours été au cœur de la communication sociale. Il est évident qu’aujourd’hui comme hier, les échanges directs, les discussions, les conférences, les assemblées, les meetings sont de loin les moyens les plus efficaces non seulement pour faire passer un message, mais aussi pour lui donner du corps par la présence. Un meeting, une manifestation, un piquet de grève jouent ainsi un rôle de politisation, non seulement par les discours qui y sont prononcés, mais aussi – voire surtout – en rendant visible la force du collectif, en montrant à chaque individu qu’il n’est pas seul. En cela, les campagnes présidentielles de Jean-Luc Mélenchon de 2012 et de 2017 sont de bons exemples. En effet, J.-L. Mélenchon ne délaisse aucun média mais, au contraire, les multiplie tout en restant cohérent. Il en va ainsi de ses web documentaires, de ses meetings diffusés en direct sur les réseaux sociaux, de son programme en BD, d’un jeu vidéo (Fiscal Kombat), d’un camion sillonnant la France… qui démontrent qu’un message cohérent peut être décliné en de multiples supports en utilisant correctement les codes inhérents à ces derniers.

Revenons de ce côté-ci de la frontière, mais en remontant le temps. Si l’on sait que l’histoire officielle de la vulgate belgicaine[1] attribue à une représentation de La Muette de Portici le déclenchement de la « révolution » belge, on raconte moins que c’est une conférence/meeting organisée par le « groupe anarchiste de Liège », dont le sujet était la Commune de Paris, qui est à l’origine de la grande révolte de la mi-mars 1886[2] qui toucha le bassin industriel wallon et qui marqua un tournant crucial de l’histoire sociale de notre pays. Un meeting qui avait été annoncé par des affiches, des tracts… et surtout par le bouche à oreille. Cette révolte se déclencha alors que, de son côté, le Parti ouvrier belge, fraîchement créé et encore peu présent dans le sillon industriel wallon, menait un intense travail de propagande en faveur du suffrage universel à travers notamment la brochure d’Alfred Defuisseaux intitulée Catéchisme du Peuple. Ce texte, court et percutant, destiné à mobiliser les travailleurs pour une manifestation en faveur du suffrage universel, est une belle illustration de ce lien entre écrit et oralité. Ce n’est donc pas un ouvrage théorique, mais un outil de mobilisation, qui sera très largement diffusé (sans doute 300.000 exemplaires). Mais outre le tirage, c’est la forme même qui est ici à souligner. A. Defuisseaux, comme d’autres leaders ouvriers à cette époque, choisit d’écrire sa brochure en reprenant les codes des catéchismes catholiques. L’objectif est de permettre une rapide diffusion du message par l’oralité, le raisonnement se développant autour de courtes questions et réponses qui en facilitent la mémorisation et les effets oratoires de celles et ceux qui relayeront le message… « - Qui es-tu ? - Je suis un esclave. » D’emblée, le ton est donné sur la question de la condition ouvrière et du salariat[3].


L’entrain de la musique, la puissance de l’image, la chaleur du rassemblement


Ce lien entre écrit et oralité, l’utilisation de la chanson l’illustre aussi parfaitement. Ce « Pamphlet du pauvre », pour reprendre le titre d’un des nombreux recueils de chansons de luttes sociales[4], fut de tous temps un moyen privilégié pour propager des idées, raconter une lutte, transmettre une mémoire de classe. Nombre de ces chansons étaient composées sur l’air de chansons populaires, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de connaître le solfège pour pouvoir les composer ou les chanter. Ainsi, L’Internationale a d’abord été chantée sur l’air de La Marseillaise avant d’être dotée de sa propre musique. Plus près de nous, les femmes de la FN ont composé lors de leur grève de 1966 une chanson sur leur combat en reprenant un air à la mode d’Henri Salvador, Le travail, c’est la santé. Un grand nombre de ces chansons ne nous sont pas parvenues car elles n’ont pas été transcrites, n’étant pas destinées à la postérité. D’autres nous sont arrivées uniquement sous forme de texte. Certaines furent diffusées dans les journaux de l’époque ou sous la forme de partitions souvent vendues en solidarité. Plus près de nous, c’est l’édition en vinyle puis en CD qui remplit cette fonction. Ce rôle de la chanson dans les luttes s’est perpétué tout au long de l’histoire et est peut-être l’outil de propagande qui a le mieux traversé toutes les époques en gardant sa modernité, son utilité et sa pertinence, tout en suivant l’évolution des styles musicaux. Aujourd’hui, parmi d’autres exemples, la compagnie française Jolie Môme entretient de manière assumée cet héritage qu’elle renouvelle sans cesse et qu’elle lie avec une pratique théâtrale, avec des interventions dans les luttes ainsi que dans la rue et dans les manifestations[5]. Pour la Belgique, on pourrait citer le GAM ou Les Canailles.

Si la chanson revendicative est présente dans les manifestations, et même si l’on doit faire le constat que tout ce qui est diffusé aujourd’hui n’est pas forcément toujours d’une grande cohérence, un autre moyen d’expression y est toujours bien présent : la banderole. Celle-ci a « un rôle essentiel dans l’unité de ce corps manifestant (…). Elle marque la manifestation en même temps qu’elle attire le regard, soit pour susciter une adhésion, soit pour faire peur. Mais elle joue encore un autre rôle : elle structure la manifestation, elle en forme le squelette autour duquel les participants vont s’agréger. Si la banderole de tête unit, les différentes bannières qui lui succèdent permettent, au contraire, d’isoler des groupes, de former, au sein du cortège, des sous-cortèges et de lui donner ainsi son organisation propre »[6]. Son utilisation fluctue et devient de plus en plus institutionnelle et formelle. Au-delà de la question des parcours des manifestations, la question du nombre de banderoles réalisées par les manifestant·e·s pour exprimer leurs revendications semble plus importante dans le cadre d’une (re)politisation de cette forme d’expression de la contestation sociale.

Avec l’arrivée du cinéma, c’est un nouveau médium qui a été utilisé à large échelle. Un cinéaste comme Sergei Eisenstein a incarné à lui seul un cinéma militant au service d’une cause à un moment où, dans le prolongement de la révolution bolchévique, on assista à une explosion et à une diversification des formes d’art au service de la cause révolutionnaire dans le cadre de « l’agit-prop ». L’agitation et la propagande doivent être comprises comme la popularisation des idées révolutionnaires par tous les moyens adéquats selon les différents publics. Plus largement, nombreux ont d’ailleurs été les artistes qui ont apporté leur concours aux luttes sociales, quelle que soit leur discipline[7], et ce bien au-delà des affichistes[8]. Un apport toujours d’actualité.

En parallèle avec une appropriation de l’espace public, le mouvement ouvrier a développé ses propres lieux de réunion et de diffusion culturelle. Les Bourses du Travail en France et les Maisons du Peuple en Belgique sont ainsi devenues des citadelles ouvrières, lieux de sociabilité, de militantisme, d’émancipation et de diffusion culturelle. Le soin apporté aux matériaux, le recours à des architectes renommés, la décoration intérieure, les noms attribués aux bâtiments et aux salles de réunion… formaient un tout cohérent d’affirmation d’une puissance, d’une fierté, d’un mouvement en expansion. Meeting, séances de formation, lieux de réalisation et d’impression des affiches et des tracts, diffusion d’œuvres théâtrales ou cinématographiques, locaux pour les différentes organisations (syndicales, de jeunesse, sportives…) : ces lieux constituaient des ruches de diffusion du message qui se pensaient également, y compris dans leur localisation, comme le contrepoids de l’Église et de sa puissance.


Les NTIC révolutionnent-elles la communication ?


À chaque fois qu’un nouveau médium ou support arrive, le mouvement social s’en empare. Il en est allé ainsi de la radio puis de la télévision. En Belgique, la pilarisation a rapidement conduit au développement d’émissions de radio, puis de télévision, par les organisations philosophiques, sociales ou politiques qui ont ensuite pris la forme d’émissions dites concédées sur les chaînes de service public[9]. Du côté francophone, de telles émissions sont toujours diffusées sur La Première et en télévision. Souvent, les organisations qui en bénéficient veillent à en assurer la diffusion par le biais d’Internet et de DVD ou en les projetant dans le cadre de formations s’adressant à leurs cadres et militants. En dehors des chaînes publiques, des (web) radios associatives ou militantes existent. En télévision, mentionnons l’existence de projets de TV citoyenne et/ou communautaire comme Canal emploi (devenue RTC Télé Liège) ou, plus près de nous, Zin-TV. On peut aussi évoquer l’utilisation de camions de propagande qui circulaient dans les rues pour annoncer des meetings ou des manifestations. Sonorisés ou non, cette technique est un peu tombée dans l’oubli mais fut très utilisée, notamment dans les années 1930 dans le cadre de la campagne en faveur du Plan du travail promu par le POB.

Depuis l’arrivée des NTIC, de nouveaux supports ont fait leur apparition[10]. Si le site Internet est devenu la norme – avec des moyens très variables selon les cas –, on ne peut que constater la grande disparité de la présence suivie et régulière sur les autres supports tels Facebook, Twitter, Youtube… De nombreux mouvements sociaux s’en sont emparés et les ont largement investis. On constate d’ailleurs que cette utilisation est, à quelques exceptions, inversement proportionnelle à la taille et au degré d’institutionnalisation des mouvements qui les utilisent. Sans doute cela tient-il à l’horizontalité et à l’immédiateté de ces nouveaux outils, qui sont plus difficiles à appréhender et à utiliser pleinement par des organisations plus structurées ou plus massives.


Que conclure ?


1° D’autres supports sont ou ont été utilisés par les mouvements sociaux. La bande dessinée, par exemple. La carte postale, dont l’importance de la production et de la diffusion fut centrale pendant plus d’un siècle et qui, aujourd’hui encore, constitue bien souvent la seule trace iconographique d’une lutte menée. Ou encore l’insigne[11], souvent porté à la boutonnière et qui, contrairement à la carte postale, est toujours régulièrement utilisé, que ce soit sous forme de badge ou de pin’s, comportant éventuellement une création artistique qui renforce le message.

2° Aucun nouveau médium n’a totalement fait disparaître ceux qui existaient déjà. Chacun est venu s’ajouter à une panoplie qu’il a ainsi enrichie de possibilités données aux organisations pour faire passer leur message. Les campagnes de J.-L. Mélenchon évoquées plus haut sont à cet égard un bel exemple de l’articulation entre formes traditionnelles et formes ultra-contemporaines.

3° Un médium n’est pas neutre. Chacun a ses codes, son utilité, son public. Le contrôle des canaux de communication est une question importante. Produire sur ses propres machines et distribuer un tract sur un marché ou, au contraire, mettre des informations sur Internet qui transiteront par des serveurs et seront orientées par des algorithmes inventés et possédés par des multinationales ne sont pas des démarches équivalentes. Autrement dit, la volonté du mouvement ouvrier de posséder ses propres imprimeries avait aussi une dimension idéologique, quelque peu négligée aujourd’hui.

4° Le support utilisé, quel qu’il soit, reste d’abord le vecteur de diffusion d’un message. Une communication vide de sens, même ultra-moderne, reste vide de sens. Plus que de la question d’une modernité dans les médias utilisés, c’est de la modernité du discours – modernité qui passe peut-être par un retour aux sources – qu’il faut d’abord se préoccuper.

Au-delà d’une utilisation appropriée d’un médium, ou de plusieurs qui se renforcent, selon les moments et les publics, c’est donc surtout la cohérence entre le fond et la forme, ainsi que la sincérité, qui est gage de réussite. Ce qui était vrai au 19e siècle l’est toujours au 21e. L’arbre des nouvelles technologies ne doit jamais cacher la forêt des idées.



[1]Voir Morelli, Anne (sd), Les grands mythes de l’histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, Bruxelles, EVO, 1995.
[2]1886, La Wallonie née de la grève ?, coll. Archives du futur, Bruxelles, Labor, 1990. Sur l’histoire sociale de Belgique, on peut se référer aux 7 volumes de la Nouvelle histoire de Belgique, Bruxelles, Le Cri, 2010 et au catalogue du parcours En lutte réalisé par l’IHOES : À la conquête de nos droits. Une histoire plurielle des luttes en Belgique, Liège, CAL, 2015.
[3]Même si cela déborde notre sujet, nous ne pouvons que recommander la lecture de Guy Vanthemsche (dir.), Les classes sociales en Belgique : deux siècles d’histoire, Bruxelles, CRISP, 2016.
[4]Brochon, Pierre (introduction et notes par) La Chanson française. Le pamphlet du pauvre (1834-1851), Les Classiques du Peuple, Paris, Les éditions sociales, 1957.
[5]Marisol Facuse, Le monde de la compagnie Jolie Môme. Pour une sociologie du théâtre militant, Paris, L’Harmattan, 2013.
[6]Philippe Artières, La Banderole. Histoire d’un objet politique, Paris, Autrement, 2013, p. 35.
[7]Nous sortirions du cadre de ce texte en le développant plus avant mais on peut relever que le mouvement Bauhaus est en soi une manière de diffuser un message politique, un acte de propagande par le fait de l’idéal social.
[8]Sur le lien entre message et œuvre artistique dans l’affiche, voir Bread and roses. Une autre histoire des affiches syndicales, Bruxelles, Meta-Morphosis, 2017.
[9] Philippe Caufriez, Histoire de la radio francophone en Belgique, Bruxelles, CRISP, 2015,.
[10]Ce qui pose par ailleurs des questions quant à la mémoire de ce qui est produit sur ces supports, et donc de leur étude rétrospective. Voir Julien Dohet, L’ère du numérique sera-t-elle une ère pauvre en archive ?, Contemporanea, tome XXXVIII, n° 1, 2016. Accessible en ligne : http://www.contemporanea.be/fr/article/aan-het-woord-dohet
[11]Ainsi le triangle rouge, qui signifie aujourd’hui pour celles et ceux qui le portent l’affirmation de leur antifascisme et de leur refus des idées d’extrême droite, était-il au tournant du 19e et du 20e siècle l’expression de la volonté d’obtenir une réduction collective du temps de travail via la revendication des 3x8 (8 heures de travail, 8 heures de loisirs, 8 heures de repos). Un symbole fort pour une revendication claire et compréhensible.

jeudi 13 juillet 2017

Un « On est chez nous » d’exclusion



 Cet article a été publié dans Aide Mémoire n°81 de juillet-août-septembre 2017, p.11

Nation semble de plus en plus se profiler comme le seul parti d’extrême droite encore en capacité d’allier présence sur les médias sociaux, actions militantes, et structuration en vue des élections. Cette alchimie en fait certainement la composante de ce courant la plus dangereuse à la veille d’une séance électorale importante. Déjà évoqué dans un précédent article[1], nous revenons ici sur une analyse de deux médias utilisés par ce parti.

Un front patriotique
« On est chez nous ! » ce slogan ayant inspiré le titre d’un intéressant film sur l’extrême droite en France, a été choisi par Nation pour son triptyque tracté ses dernières semaines par ses militant·es. Le slogan, accompagné du trident rouge et noir symbole du mouvement, est placé sur un fond représentant une de leurs manifestations lors de laquelle les militant·es portent des drapeaux belges et wallons ainsi qu’aux couleurs rouge et noir. A l’intérieur trois thèmes sont développés. Les deux premiers « djihad ne passera pas ! » et « on ne peut pas accueillir toute la misère du monde » sont centrés sur l’immigration tandis que le troisième reprend un autre classique de l’extrême droite « ni socialisme, ni capitalisme, troisième voie ! »[2]. On notera que les solutions aux « problèmes » soulevés ne sont que de l’ordre du répressif. Le dos est à nouveau centré sur l’immigration avec un « aidez Nation à garder la Belgique… belge » accompagné de la volonté de défendre « l’identité et la civilisation européenne ainsi que sa culture millénaire » en prônant la « remigration » et une laïcité à géométrie variable comme la pratique Marine Le Pen car « Nation combat l’extrémisme religieux et tous ceux qui veulent transformer notre société européenne au nom de leur religion ». Religion qu’il faut comprendre comme étant uniquement l’Islam.
Parallèlement à ses (tentatives de) distributions de tract, qui sont par ailleurs l’occasion de relancer des coordinations antifascistes larges, Nation annonce sur son site qu’elle s’insère dans une recomposition du paysage politique par la création d’une alliance électorale[3]. Celle-ci, baptisée « coordination patriotique », portera le nom de « on est chez nous ». Cette annonce est renforcée par un « flash actu » enregistré et diffusé à la suite du 1er tour de la présidentielle en France où Van Laethem se réjouit de la qualification au second tour de Marine Le Pen avant de présenter le projet et de céder à la toute fin de la séquence la parole à Joseph Franz du Parti des Pensionnés.

TV Nation
Cette nouvelle est confirmée dans une capsule vidéo mise en ligne le 6 mai 2017. Intitulée « forum », il s’agit d’une « émission de débat ». Le présentateur en est Olivier Frapchot, secrétaire général de Nation, qui accueille… Hervé Van Laethem, président de Nation, qui, très poliment, le remercie pour cette invitation au débat dont on pressent par avance qu’il sera tendu avec de nombreuses questions pièges. On notera que Van Laethem porte à la boutonnière un triangle qui apparait parfois rouge, parfois vert[4], ce qui n’est pas sans interpeller. Il répète que le projet est bien « une coalition électorale des forces patriotiques » basées sur l’acceptation de 10 points, qui sont majoritairement conformes à ce que l’on a analysé plus haut, et dans laquelle chaque formation garde sa liberté d’action. Le but est de favoriser le « vote patriotique » et de faire entendre le « lobby des petits Belges de souche ».
La vidéo est utilisée depuis plusieurs années par Nation qui a créé « TV Nation ». Celle-ci se décline via une chaine youtube (dont les liens à eux seuls démontrent le courant radical auquel appartient le parti) en plusieurs formats : un journal à la périodicité incertaine (en 2017 un numéro en janvier et un en avril), un forum que nous venons d’évoquer, et des « flash actus » plus courts que semble privilégier actuellement le mouvement. Nous allons à présent continuer l’analyse du contenu de quelques-unes des plus récentes vidéos, toutes présentées par Olivier Frapchot qui est loin d’avoir raté une carrière de présentateur. Techniquement, la bonne volonté est là mais les moyens ne suivent clairement pas et l’on frise parfois le ridicule. Par contre, on notera que de nombreux militants apparaissent à visage découvert dans les séquences qui contiennent également des indicateurs intéressants comme dans le journal d’avril 2017 où l’on voit sur le mur[5] un beau drapeau rouge avec en son centre un rond blanc contenant la croix celtique… Ou quand le naturel revient au galop. On constate également que Nation recrute dans les couches défavorisées de la population et que les actions menées le sont par un noyau composé de 5 à 20 personnes.
Nation s’inscrit dans une mouvance dite, pour reprendre la vidéo de présentation, « identitaire » et « solidariste » : « En effet, le terme « national-solidarisme » n’a pas de lieu d’être puisque le solidarisme est, par essence, quelque chose de national. En effet, pour résumé, le solidarisme est une volonté d’appliquer la solidarité pour ceux qui le méritent, dans le cadre de la nation ! Et sans compter la forte connotation identitaire qui est liée au solidarisme, tel que défendu par NATION ! »[6]. L’identité est ici vue comme « les valeurs traditionnelles des peuples européens ». Van Laethem reconnait cependant dans le dernier « Flash Info » mis en ligne que bien qu’il n’aime pas l’expression les dernières semaines et les quelques échos dans les médias montrent que « Nation représente l’Extrême Droite en Belgique francophone ». Cette clarification est suivie par un appel aux dons pour permettre le développement à la veille de la campagne électorale et pour permettre de maintenir actif le local de l’APF[7].
Ce dernier fait l’objet de l’essentiel du numéro d’avril de « TV Nation » à l’occasion de la fête des un an du local dont on souligne l’importance pour la visibilité et la structuration du mouvement identitaire européen. L’occasion d’y interviewer longuement le représentant de Democracia Nacional, mouvement particulièrement radical, qui insiste sur l’importance de la défense de l’Europe, de la culture commune et des liens historiques, du respect de « la foi et de la tradition ». On notera avec grand intérêt cette notion de « foi » dans le chef de partis qui prétendent par ailleurs défendre une vision laïque de la société, ce qui renvoie à notre remarque sur le tract de Nation. Dans cet interview la période qui suit Franco est qualifiée de « démocratie entre guillemets » et il y a une forte insistance sur le « système mondialisé » qui organise un « cordon sanitaire » et la « répression politique » contre les identitaires, cette répression étant un signe que le système tremble devant la contestation grandissante organisée par les « forces patriotiques ». Une thématique que l’on retrouve régulièrement, notamment quand il s’agit de montrer les arrestations des membres ou les interdictions de manifester subies par Nation. Un autre grand thème présent quasi constamment est celui de la « GPS », la « Grande presse subsidiée » ou « presse bienpensante », aussi définie comme les « merdias », qui n’est pas libre et n’est qu’un outil de propagande du système diffusant une « idéologie bisounours » pour endormir la population. Et bien entendu les scandales politiques sont développés et utilisés pour montrer combien le système est corrompu avec mise en avant des actions de manifestation, notamment sur la citadelle de Namur. Un dernier aspect développé dans les outils de propagande vidéo de Nation est celui de l’aide au plus faible, avec la mise en avant d’actions de maraude envers les SDF belges et qui renvoie à l’aspect « solidariste ».
« On est chez nous »
Ce slogan dont, dans une des émissions de « TV Nation », Hervé Van Laethem revendique la paternité, risque donc de fleurir dans l’année qui vient. Si l’aspect amateur peut faire sourire et que le nombre de militant·es reste limité, le danger que constitue Nation, surtout si l’amorce de regroupement se développe, est réel et ne doit pas être minimisé. Son activisme lui permet de compenser son manque de moyen et pourrait lui permettre une présence réelle dans les futures campagnes électorales d’autant que les autres formations ne semblent pas en état de marche. Empêcher une structuration plus importante est donc un enjeu des mois qui viennent.


[1] Le triangle vert et autres découvertes dans le monde virtuel in AM n°79 de janvier-février-mars 2017,
[2] Voir Un vrai fasciste : ni de droite, ni de gauche mais… d’extrême droite in AM n°31 de janvier-février-mars 2005,
[3] Une information qui a été l’objet d’un billet sur La Première.
[4] Sur le triangle vert diffusé par Nation voir à nouveau Le triangle vert et autres découvertes… op. cit.
[5] À 18.13 pour être précis
[6] Toutes les citations proviennent de textes ou de vidéos présentes sur le site de Nation début juin 2017.
[7] Alliance for Peace and Freedom, soit l’alliance pour la paix et la liberté, regroupe les partis de la mouvance radicale identitaire au sein de l’extrême droite européenne. On y retrouve notamment Aube Dorée.